Pour son réveil, il donne une interview au Monde du dimanche 23 mai. Titré comme il se doit « il faut », le citoyen observateur retrouve le côté donneur de leçons de ce professeur estimable dont les postes ministériels n’ont pas brillé par l’action. François Bayrou adore étudier, nommer des commissions, faire parler pour s’entendre avec tout le monde. Pourquoi pas ? C’est une option politique pour climat serein et rythme de croisière. Les Français aiment ça, ce pourquoi ils l’ont préféré un temps au couple agité Sarkolène.
Ils voient en cette option politique une quiétude à la Suisse où la stabilité irait de pair avec le pacifisme. Le côté père tranquille, moralisateur et un brin pétainiste de Bayrou est en phase avec cette France moyenne, aigrie de voir le monde aller sans elle et fatiguée pour cause de vieillissement des baby-boomers. Hélas, cette utopie n’est pas en passe de se réaliser. La France n’est pas autarcique, ni aussi indépendante que du temps du général : elle est insérée dans la mondialisation, la construction européenne. Son endettement la fait dépendre des autres : les marchés. L’anti-sarkozysme primaire a inspiré longtemps Bayrou. Mais cette posture est-elle encore payante ?
« Il faut » c’est un yaka en plus courtois. Bayrou égale discipline. Il l’a montré dans son duel avec Cohn-Bendit sur la morale sexuelle, à son détriment – n’est pas Henri IV qui veut. On ne badine pas avec les déficits : « Inlassablement, depuis dix ans, j’ai défendu le principe d’une disposition constitutionnelle… » En distinguant ce qui est investissement d’avenir, pour lequel on peut impliquer les générations futures, et dépenses de fonctionnement, pour lequel « c’est inadmissible et scandaleux ». On ne peut pas « s’en tirer sans effort ». Et les efforts ne sont pas toujours « pour les autres ».
Après la discipline, la morale, on ne se refait pas. « Nous vivons dans la frénésie du court terme » : c’est pas bien. Frénésie, ça fait sexe. Des milliards sont débloqués à chaque accident (médiatique) de la vie. Bayrou tente l’ironie, qui est à l’humour ce que le gros rouge est au millésimé grand cru : « Et en effet, on n’a pas arrêté de débloquer, à tous les sens du mot… » C’est que la morale, c’est sérieux. Le mot est usé deux fois par François Bayrou : la critique de l’interdiction des déficits dans la Constitution « est sérieuse » et pour le budget, « il faut se mettre ceci dans la tête : nous sommes entrés dans le temps des choses sérieuses ». Exit donc le rapprochement trop marqué avec une gauche qui dérive de plus en plus vers le yaka gauchiste et l’irréalisme style 81 – ou bien vers le mensonge et la manipulation des électeurs, tropisme stalinien dans lequel ils (et elles) sont tous tombés petits.
« On nous a fait vivre dans l’illusion ». Qui ça « on » ? La gauche c’est sûr, mais Bayrou l’a-t-elle dénoncée en temps et en heure ? S’en démarque-t-il clairement sur le projet du PS et sur le cas concret des retraites ? La droite aussi, et surtout sous Chirac, « l’illusion que l’Etat pouvait répondre à toutes les demandes à partir de ressources qu’il n’avait pas ». Mais Bayrou n’a-t-il pas été l’un de ses ministres ? Il a donc cru l’air du temps, aussi naïvement que tout le monde. Est-ce ça le centrisme, l’air du temps qui passe ? François Bayrou oppose DSK qui dénonce le « tabou des 60 ans pour la retraite » au « PS officiel » qui n’a pas évolué et régresse au niveau d’un vulgaire Marchais écorchant la langue française : « il faut prendre l’argent là où elle est ». ‘Elle’, oui, parce que l’argent commence par « la » qui est un article féminin et que le populo transpose de soi. Le professeur ressort sous le politicien.
Donc interdiction des déficits, hausse des prélèvements, réforme de la fiscalité. François Bayrou est au centre du consensus. Ni droite ni gauche, mais clairement à droite pour un tiers (constitutionnaliser l’interdiction des déficits), à gauche pour un tiers (réformer la fiscalité) et un tiers dans les deux (« aucun gouvernement n’échappera » à la hausse des impôts). La balle au centre ! A condition qu’il soit « indépendant », ni chiraco-sarkozyste, ni PS. « Libre d’approuver des décisions qui me paraissent équilibrées » et avec des « textes raisonnables ».
Rassemblement ! Ce sont pourtant tous les gens de droite qui sonnent le rassemblement (au-dessus des partis) et clament leur indépendance (des idéologies). Le centre serait-il ce point focal d’ajustement droite-gauche, d’équilibrisme entre les extrêmes, de juste milieu ou d’eau tiède ? Dommage pour le courant classes moyennes qu’il représente, François Bayrou est trop marqué par son côté ça-rigole-pas, professoral pour l’analyse mais indécis d’équilibrisme pour l’action… Ses électeurs ne le propulsent (au second rôle) que par dépit, faute de mieux, pas en positif. S’ils préfèrent une France gouvernée au centre comme le disait Giscard, cela ne signifie pas gouvernée par un centriste velléitaire, incapable de trancher lorsqu’il le faut. Mieux valent les contrepouvoirs, cette invention du libéralisme français sous Montesquieu. A ne pas le comprendre, François Bayrou passe à côté, lui qui se verrait bien Henri IV (mais la brayette au repos et la gouaille en berne).
Si Paris valait bien une messe, la présidence valait bien un compromis. Etre Premier ministre de Ségolène ou ministre sous Nicolas lui aurait permis d’incarner un recours. Las, Bayrou n’en a pas eu l’audace, persuadé qu’il demeure d’être touché par le doigt de Dieu. Cela changera-t-il en 2012 ? Peut-être si nous avions à nouveau le duo Royal-Sarko, probablement pas si les acteurs sont autres. Le temps de l’équilibrisme est aboli, la crise est passée par là.
Les autres notes de Fugues sur François Bayrou :
- Pauvre Bayrou
- La tentation de l’extrême centre
- Papa, maman, grand-frère et moi