2. Manifester la nouveauté chrétienne de l'intérieur de la foi
Il est facile de chercher à l'extérieur de l'Eglise les causes de ces épreuves actuelles de la mission chrétienne. Il ne s'agit pas de nier ces causes extérieures : elles sont réelles et liées à des phénomènes complexes, comme celui de la sécularisation, qui sont des composantes à la fois sociales, culturelles et spirituelles.
Cette culture et cette société sécularisées ont tendance à marginaliser, à réduire et parfois à caricaturer les réalités religieuses, et tout particulièrement le christianisme. Plus radicalement peut-être, à cause des « ruptures de traditions » intervenues dans notre histoire depuis une quarantaine d'années, la Tradition chrétienne est pratiquement méconnue, ignorée ou assimilée à ce qu'elle peut avoir de plus superficiel de plus extérieur.
Il nous faudra évidemment revenir sur ce grave phénomène de rupture et sur l'urgence qu'il y a à réhabiliter les héritages dont nous sommes porteurs, comme des philosophes agnostiques tels que Marcel Gauchet nous y incitent. Il n'y a aucune incompatibilité de principe entre les sociétés démocratiques et l'inscription de l'Eglise dans ces sociétés, mais il y a urgence de discerner quels déplacements doivent s'opérer dans la culture catholique pour pratiquer effectivement ce travail d'inscription.
Pour l'instant, il s'agit de réhabiliter en nous-mêmes une attitude fondamentale : au lieu de chercher et de dénoncer des obstacles à l'extérieur, il est urgent d'oser manifester la nouveauté chrétienne, l'identité chrétienne de l'intérieur même de ce qui nous est donné par Dieu.
Au lieu de nous laisser déterminer par des critères étrangers à la foi, il est indispensable que nous nous déterminions nous-mêmes comme des croyants, qui se fient aux promesses de Dieu, à la fidélité du Christ, à la force de l'Esprit Saint.
Cela vaut pour notre identité essentielle des chrétiens, de baptisés, qui s'exprime, précisément à partir du baptême, en termes de paternité, de filiation et de fraternité. Comment faire pour que cette réalité de notre être filial et fraternel d'enfants de Dieu puisse inspirer une « forme de vie » qui puisse attester une authentique figure de l'existence humaine, surtout face à l'individualisme qui entretient l'illusion de se donner à soi-même son origine et sa fin ?
Cela vaut pour la transmission de la foi dans notre société sécularisée, qui ne peut pas ne pas s'enraciner dans le mystère pascal du Christ, avec ce que ce mystère comporte à la fois par rapport à l'affrontement du mystère du mal et par rapport à la confiance faite à Dieu face au mal et à la mort.
C'est dire simplement que la transmission de la foi, quelles que soient les obstacles qu'elle rencontre, repose toujours sur une expérience spirituelle, et non pas sur des stratégies.
Cela vaut aussi pour la façon de comprendre et de pratiquer le mystère de l'Eglise et la visibilité particulière qui est la sienne. Tout en s'inscrivant dans le domaine des réalités visibles, l'Eglise est une réalité essentiellement sacramentelle : elle est de Dieu, du Christ, de l'Esprit Saint pour la vie et le salut du monde. Elle est elle-même inséparable et de cet amont de Dieu, où elle trouve sa source, et de cet aval du monde, où elle est envoyée en mission.
De sorte que pour l'Eglise, à cause de cette identité sacramentelle qui est la sienne, évangéliser, c'est désirer et faire en sorte que la révélation du temps de Dieu en Jésus Christ vienne toucher, façonner, transformer notre humanité réelle, notre société actuelle, et très concrètement tout être humain en attente de Vérité et d'Amour.
À ces trois données fondamentales (l'identité chrétienne, la transmission de la foi, la mission de l'Eglise), on pourrait joindre bien d'autres éléments constitutifs de la Tradition catholique. Pour l'instant, il s'agissait surtout de mettre l'accent sur ce « retournement », cette conversion du regard, de l'intelligence et du cœur qui nous est demandée, si nous voulons reprendre l'initiative de l'intérieur de la foi, au lieu d'avoir à résister à des pressions et à des évaluations venant de l'extérieur, au risque de devenir dépendants de cela même que nous critiquons.