J’ai regretté de ne pas avoir un papier et un stylo pendant la projection d’Enter the Void. Déjà parce que cela m’aurait occupé, m’aurait permis de me détacher du film et de ne pas ressortir avec le sentiment d’avoir gâché 2h34 de ma vie. Ensuite parce que tant de pensées ont traversé mon esprit à la vision du nouveau film de Gaspar Noé que cela m’aurait évité de presque toutes les perdre à la sortie du film. Mais je n’avais ni papier, ni stylo. J’ai donc dû subir le film, et me condamner à ne pas pouvoir formuler après coup tout ce que j’aurais voulu en dire.
La première chose que j’ai à dire sur Enter the Void, c’est ma surprise de n’avoir assisté à aucun départ en cours de route de spectateur faisant une overdose du film. Si, un. Mais sur une salle pleine de 60 ou 70 personnes, un seul renoncement face à un tel film, c’est surprenant. Plusieurs fois, l’idée de laisser la lâcheté spectatrice s’emparer de moi afin de détaler, d’arracher mes yeux à ce spectacle fatigant, m’a assailli. Sans se concrétiser, comme d’habitude.
Dix jours après l’insupportable visionnage d’Izo de Takashi Miike, me voici donc si vite devant un autre morceau de cinéma brûlant les yeux. Il y a huit ans, avec Irréversible, Gaspar Noé avait déjà signé un film difficile, mais un film ayant une véritable identité cinématographique, une force pointant avec conviction dans une direction. Un film ne se laissant pas déborder par l’autosuffisance. Ce qu’est incapable de faire Noé avec Enter the Void, bouillie choc laissant espérer pendant une vingtaine de minutes que l’on va assister à une œuvre forte, avant de se rendre compte que le cinéaste va plutôt nous embarquer dans un dédale sans créativité, sans lumière, sans puissance.
Oscar est un protagoniste qu’on ne voit presque pas. Tout le récit est filmé en caméra subjective, du point de vue d’Oscar, qu’il soit vivant ou mort. Cette approche séduit avant de n’être qu’une bonne idée se dissolvant dans la mêlasse. Passées les vingt premières minutes, balade nocturne tokyoïte dans laquelle on pressent un sentiment d’urgence terriblement prometteur, Enter the Void se noie dans le néant créatif suffisant de Gaspar Noé. J’exagère. Pendant les deux (longues) heures qui vont suivre, le réalisateur va avoir une idée de mise en scène. Une seule. Faire glisser sa caméra d’un lieu à l’autre, à travers les murs, à travers les corps, et introduisant les changements de cadre par une plongée dans un objet du plan, la plupart du temps un objet lumineux. Cette idée plait tellement à Noé, elle lui semble tellement être le point d’ancrage du film, celle qui définit son œuvre, qu’il ne fera rien de plus pendant deux heures. Faire glisser sa caméra le long de la ville, dans une pièce, dans une rue, avant de s’en échapper par un objet lumineux. C’est tout.
Au passage il explore la vie de son protagoniste sans visage (on le voit seulement dans la glace à deux ou trois reprises pour l’oublier aussitôt, il redevient vite une nuque), une vie de malheur, une vie de perdition, une vie de cris que l’on semble revoir à l’infini avec une infinie douleur. Noé ne semble pas tenir à ce que l’on aime son film ou ses personnages. Il fait de Tokyo une ville de bas-fonds sans lumière aucune sinon celle des néons perçant la nuit.Où se trouve cette lumière qui côtoyait l’ombre dans Irréversible ? Cette lumière qui donnait son importance au film, et son style à Noé ? Cette lumière qu’il s’appliquait à assombrir pour la rendre plus précieuse ? Elle est ici totalement absente, faisant de la noirceur du film un spectacle de misérabilisme sans ambition, sans perspective, sans saveur. Il s’amuse à filmer des parties de jambes en l’air à tout-va dans un love hôtel comme si le général fou de Docteur Folamour l’avait convaincu que son obsession des fluides corporels étaient la base de tout. Il s’amuse à filmer une éjaculation de l’intérieur, précédant l’étincelle de vie qui n’a rien d’étincelant.
Gaspar Noé s’amuse beaucoup, à l’évidence, à concocter un objet très particulier qu’il voudrait très dérangeant. Mais il a oublié au passage qu’il ne suffit pas de forcer les traits pour faire du cinéma électrochoc. Il faut surtout des idées, de l’ouvrage, et du cœur, même pour exprimer la noirceur du monde. Sinon, un film peut vite être bête et fatigant. Comme le sien.