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« A moveable Feast ». Tel fut le titre de l’œuvre d’Hemingway célébrant Paris.
La fête : elle commença donc là, dans les décombres de l’après guerre, dans les flonflons de la Libération pour trouver son apothéose dans la fumée et la défonce des lacrymogènes, sur ces barricades de 68 sur lesquelles on ne mourait pas mais où l’on jouait à la révolution avec des couvercles de poubelles pour boucliers.
La fête n’est pas affaire de vieux. Il lui faut la naïveté et l’illusion de l’enfance, il lui faut l’espace d’un futur pour un rêve à construire.
Pour les vieux, la jeunesse perdue est souvent un cancer qui ronge certains au point de les transformer en Gérontes acariâtres, en juges qui, du haut de leur solitude érigée en temple de la sagesse, voudraient imposer la pluie acide des vitupérations et des mots aigres, le suaire de leurs désirs morts pour bâillonner ceux qui ont l’arrogance de revendiquer la vie devant eux.
Les vieux ont cette façon d’être le pouvoir qui nie et encadre. Pas tous les vieux bien sûr, mais ceux qui usent de leur férule flasque comme ultime joujou. Ceux qui vous enferment dans un groupe, une communauté, qui flattent, par défaut, cette inversion de la fête - qu’on appelle « devoir de mémoire », le culte commémoratif.
On refait l’histoire, on laboure lourdement le passé, on tue le présent.
Qu’ils nous emmerdent tous ces porteurs de drapeaux, ces singes médaillés arc boutés sur un fantasme de gloire! Qu’ils nous emmerdent avec leurs souffrances - aussi réelles fussent elles - quand plus une journée ne s’écoule sans la célébration de tel drame ou de telle injustice ! Anciens combattants de toutes les causes, ceux des camps, ceux de 68, ceux des tranchées, ceux des kéfiés, des kipas, des voiles, des marcels aux hormones, des femmes, des animaux, de la nature ou du reste ! Les anciens combattants, hélas, ne manquent pas. Plus ils vieilliront plus ils vous pourriront la vie. Et l'on rafle dans les écoles pour trouver des figurants serviles devant les monuments aux morts!
Mais le pire, le plus insidieux, c’est quand on absorbe le désir, qu'on le récupère dans la fête d’un communautarisme obligé: Rappelons-nous ce devoir de fête décrété par cet éternel jeune, Jack Lang - celui qui n’est en réalité que l’icône du vieux éternel, celui qui jouit par l’autre quand il n’est que l’image du pouvoir. Lang qui fut le symbole de tous les communautarismes, qui en fut le Cheval de Troie... Oui ce cheval, cette promesse de fête qui portait en réalité la destruction dans son ventre.
Ce qui signifiait dès lors récupérer le passé pour le réduire à une bouffonnerie, quand la culture classique devrait s'effacer dans un travestissement social et sexuel. Quand toute communauté se voyait flattée, encadrée dans sa « manifestation », son Love Parade, sa Gay Pride, Sa Techno Parade…Quand l’individu était embrigadé dans le tout culturel d’une consommation étouffante et de l'univers wahrolien de la célébrité misérable. Et quand aujourd'hui les manifestations revendicatives se font avec des ballons, des sifflets et des feux de Bengale. Ah, la fête!
Infantilisation de ceux qui arborent leur chaînes et leur baillons quand ils croient brandir un étendard ! Mais au moins préférera-t-on la movida madrilène aux vieilles ténèbres sèches du franquisme. Mais que reste-t-il de la gravité, de la dureté même des luttes ?
La fête absorbe les révoltes à moins que les individus se chargent de l’inventer, de lui trouver de nouvelles formes avant que le travail du temps ne la ritualise et ne la transforme de nouveau en machine à recycler du pouvoir.
Il faut donc défendre ces « apéros géants » justement parce qu’ils sont vides de toute représentation. Ils ne revendiquent rien que du désir, que l’affirmation d’une convivialité physique interdite par la camisole cybernétique dans laquelle on voudrait asphyxier le monde. Pas besoin de rêves et de faux semblants. Les temps ne sont plus à la plage sous le pavé. Qu’ils soient à la biture sur le bitume n’est que la rançon d’une génération vaincue par la télé réalité et le strass qu’on lui promettait. La biture quand l’horizon qu’on lui propose n’est qu’une longue gueule de bois.
Comment reprocher à ceux-là qui se croyaient promis à un avenir starisé de ne plus croire en rien, quand les politiques ne font que radoter un passé de père fouettard. Quand jour après jour, de façon obsessionnelle, il leur faut subir la matraque moralisatrice du juif ou de l’arabe, quand vous êtes désigné comme éternel coupable de ce passé et victime expiatoire…
Alors, il faut occuper l’espace, ne plus demander l’autorisation. Se débarrasser de ces oripeaux moralisateurs pour s’emparer de sa vie. L’apéro comme ouverture, commencement… Ce n’est qu’un début ?
Attention à ceux qui ne savent qu’étouffer !