Le sénateur Masson met les pieds dans le plat. Il ne veut plus de blogueurs anonymes. Du moins, il souhaite que les blogueurs assument leurs propos. Pas révolutionnaire pour un sou, cette proposition. Pour certains agressifs, c'est même carrément souhaitable. Je dois pourtant avouer que l'idée me chagrine.
Je suis l'archétype du blogueur anonyme. J'ai développé l'identité CaRéagit pour à peu près tout ce que je fais sur la toile. Il faut dire que je donne mon avis sur la chose publique, que je tweete assez régulièrement des propos qui pourraient m'être reprochés si Google avait l'aimable gentillesse de les relier à mon identité civile. C'est la raison pour laquelle je blogue sous pseudo. C'est la raison pour laquelle je tweete sous pseudo... et que je ferme mes tweets pour éviter que Google ne les balance a la moindre requête d'un internaute.
Il faut dire que la gestion de l'identité numérique est un sujet qui me tient à coeur. Les outils de recherche étant ce qu'ils sont, je n'ai pas envie d'être jugé sur ce que je pense. Inversement, je n'ai pas envie que mes lecteurs connaissent ma situation sociale au risque de dénaturer les quelques piètres analyses que je peux livrer ici sur le monde qui m'entoure. Or, c'est précisément ce qui se passe en France. On juge d'abord le contenant avant de juger le contenu. Imaginez donc un blog indexé comme "Gérard Robert*, Je suis de droite, mais j'me soigne".
Niveau ranking c'est béton. Pour être recruté, chassé ou simplement contacté par un prestataire, fournisseur ou client, ca le fait beaucoup moins. Je connais un blogueur, Dagrouik pour ne pas le citer, qui a su exprimer ses difficultés à effacer des traces de billets qui liaient son nom et ses idées. Je "connais" des blogueurs, Toréador, H16, Vogelsong et autres, qui estiment, comme moi je le crois, que ce qu'ils ont a dire ne doit pas souffrir d'une analyse pré-conçue de leurs situations professionnelles et personnelles. Ils estiment par ailleurs que leurs propos diffusés sur la toile ne doivent pas dénaturer une seconde les qualités pour lesquelles ils sont reconnus dans le monde professionnel. Cela fonctionne dans les deux sens.
Outre la défense de nos identités numériques et personnelles, le sénateur Masson vise clairement la responsabilité de blogueurs. En pensant à cela, je ne peux qu'imaginer les nouveaux procès pour diffamation qui pourraient fleurir ici ou là après un billet de blog un peu bancal. On nage en plein cauchemar. Considérer un blogueur comme n'importe quel directeur de publication, c'est considérer qu'ils bénéficient tous d'un lectorat pléthorique, divers et assez imposant pour que la conséquence d'un propos non maitrisé soit réellement diffamant pour la "victime". Car il faut le dire, un blogueur ne vaut pas un blogueur. Par exemple, je pèse peanuts dans le débat politique entre blogueurs. Jegoun, Autheuil, Eolas ou Koz bénéficient d'un trafic bien plus important. Cette différence, Masson ne l'apprécie pas et son terme générique "blogueur" masque mal une méconnaissance de ce mini-monde.
Pour ce qui est d'Internet, l'incompétence de ceux qui nous gouvernent n'est plus à démontrer. NKM travaillant ardemment à l'avenir de la protection de nos identités numériques, Hadopi travaillant à débusquer les pirates - jamais vraiment anonymes, eux - et Masson s'occupant de débusquer les blogueurs 100% anonymes - eux. Pirate jamais anonymes, blogueurs toujours anonymes. Il paraît que les deux activités sont pourtant réalisables à partir d'un seul et même appareil.
Cessons donc tout ce spectacle ridicule. Tout un chacun sait qu'en cas d'abus caractérisé (ou non, la justice en décide), tout blogueur est susceptible d'être démasqué... et trainé devant les tribunaux. En moins de 2 ans, je connais au moins deux exemples. Il serait bon que Mr Masson le sache. Ou qu'il donne les vrais raisons de cette chasse aux blogueurs. Remarque temps aidant, on commence à comprendre.
* Je précise que je ne m'appelle pas Gérard Robert, hein.