- Tu dis ?
- J’y arriverai jamais !
- Où veux-tu aller ?
- Nulle part ! Je veux aller nulle part !
- Alors pourquoi as-tu peur de ne pas y arriver ?
- C’est pas ce que je veux dire !
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Que j’y arriverai jamais, c’est tout !
- Ecris-nous ça au tableau : Je n’y arriverai jamais.
Je ni ariverai jamais.
- Tu t’es trompé de n’y. Celui-ci est une conjonction négative, je t’expliquerai plus corrige. N’y, ici, s’écrit n apostrophe, y. Et arriver prend deux r.
Je n’y arriverai jamais.
- Bon. Qu’est-ce que c’est que ce « y », d’après toi ?
- Je sais pas.
- Qu’est-ce qu’il veut dire ?
- Je sais pas.
- Eh bien il faut absolument qu’on trouve ce qu’il veut dire, parce que c’est lui qui te fait peur, ce « y ».
- J’ai pas peur.
- Tu n’as pas peur ?
- Non.
- Tu n’as pas peur de ne pas y arriver ?
- Non, je m’en branle.
- Pardon ?
- Ça m’est égal, quoi, je m’en moque !
- Tu te moques de ne pas y arriver ?
- Je m’en moque, c’est tout.
- Et ça, tu peux l’écrire au tableau ?
- Quoi, je m’en moque ?
- Oui.
Je mens moque.
- M apostrophe en. Là tu as écrit le verbe mentir à la première personne du présent.
Je m’en moque.
- Bon, et ce « en » justement, qu’est-ce que c’est que ce « en » ?
- ...
- Ce « en », qu’est-ce que c’est ?
- Je sais pas, moi... C’est tout ça !
- Tout ça quoi ?
- Tout ce qui me gonfle !
(D. Pennac, Chagrin d’école, Editions Gallimard, coll. Folio, pp 115-116. Prix Renaudot 2007)
Dès sa sortie et avec la médiatisation qui avait entouré la parution de ce livre, surtout après l’obtention du prix Renaudot, je m’étais promis de lire ce dernier ouvrage de Pennac. De toutes façons, avec Pennac, pas besoin de prix ou d’une médiatisation particulière pour m’y plonger dedans avec bonheur. Servez-moi n’importe quel Pennac, je n’ai aucun doute sur le contentement de mon mon palais et de mon estomac avides de choses bien dites, bien écrites et qui, surtout, ont la saveur du vécu quotidien de l’humanité. C’est ça que j’aime chez Pennac : il dit des choses que vous auriez vous aussi souhaité dire, sauf qu’il le fait beaucoup mieux que vous ne l’auriez fait.
Le thème du livre m’avait interpellée au plus haut point. Qui, à un moment donné de sa vie, n’a pas eu à subir un échec ? Echec scolaire bien sûr, mais pas seulement, on peut aller bien au-delà, échec professionnel, difficulté d’obtention d’un concours par exemple, quel qu’il soit. Chagrin né du sentiment d’être moins bon que les autres, sentiment d’être nul, de ne pas être à la hauteur... Ce livre parle de la « douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs. »
C’est son expérience personnelle que Pennac raconte. Ancien cancre. (« Quand je n’étais pas le dernier de la classe, c’est que j’étais l’avant-dernier » p. 15) A raté plusieurs fois son Bac. Est devenu malgré tout enseignant. Prof de Français de surcroît, lui qui faisait énormément de fautes et qui désespérait sa mère. Mais voilà, il est devenu enseignant et auteur à succès en plus.
Prenez ce Chagrin d’école comme une autobiographie, comme un essai sur l’école, comme un outil pédagogique qui aiderait pas mal de profs, comme un roman... tout cela est valable. Mais que vous le preniez d’une manière ou d’une autre, une chose est sûre : ce livre est une fête du langage, une véritable célébration de la langue et de la littérature. C’est une constante chez Pennac : chacun de ses livres est toujours un hommage à la littérature. Je peux même me risquer à donner un sous-titre à ce livre : Chagrin d’école ou les bienfaits de la littérature. C’est la lecture qui sauva Pennac de sa « cancrerie ».
Bon, plutôt que dire des choses sur ce livre, j’ai plutôt envie de vous mettre le livre entre les mains. Ne me demandez pas d’autres extraits, il y en a tellement que je voudrais citer ! Bon, juste un, car on parle beaucoup de l’école ces temps, de la violence à l’école pour être plus précis. Une violence résultant de la cancrerie. Une violence et une cancrerie qui seraient étroitement liées à l’immigration. Qu’en pense Pennac ?
« Aujourd’hui [...], c’est toute une catégorie d’enfants et d’adolescents qui sont, quotidiennement, systématiquement, stigmatisés comme cancres emblématiques. On ne les met plus au coin, on ne leur colle plus de bonnet d’âne, le mot « cancre » lui-même est tombé en désuétude, le racisme est réputé une infamie, mais on les filme sans cesse, mais on les désigne à la France entière, mais on écrit sur les méfaits de quelques-uns d’entre eux des articles qui les présentent tous comme un inguérissable cancer au flanc de l’éducation nationale. Non contents de leur faire subir ce qui s’apparente à un apartheid scolaire, il faut, en prime, que nous les appréhendions comme maladie nationale : ils sont toute la jeunesse de toutes les banlieues. Cancres, tous, dans l’imaginaire du public, cancres et dangereux : l’école, c’est eux, puisqu’on ne parle que d’eux lorsqu’on parle de l’école.
Puisqu’on ne parle de l’école que pour parler d’eux. »
(p. 243-244)
Bon, pour ceux qui ne connaissaient pas encore Pennac, qui veulent avoir une petite idée du bonhomme, voici un extrait qui le résume bien : « La littérature ! Le roman ! L’enseignement et le roman ! Lire, écrire, enseigner ! »