Que va devenir Holden Caulfield ? Celui-ci désespère ses parents, ses professeurs - à l’exception de quelques uns qui ont mis le doigt sur ses capacités - Il a connu plusieurs établissements scolaires pour avoir souvent été renvoyé. Il vient une fois de plus de se faire renvoyer du collège où il était interne. Holden ne s’en fait pas pour lui, mais ses parents, comment vont-ils réagir ? Ça va être sa fête lorsqu’il va rentrer, ainsi il décide de ne pas rentrer, pas tout de suite. Il s’enfuit.
Holden raconte donc sa fugue, mais pas seulement. Ce sont ses expériences qu’il nous confie, ses rencontres, ses rapports avec les autres. Le connaissent-ils vraiment ? Le comprennent-ils ? Savent-ils quel garçon il est ? Il y en a, comme sa petite sœur Phoebé, comme son frère écrivain, qui constituent comme des points d’équilibre, des bouées de sauvetage. Est-il vraiment un cancre comme il le prétend ? Au fond c’est quelqu’un qui refuse d’être ce que les gens attendent qu’il soit. Il a simplement envie d’être lui. Lui, il ne veut pas jouer la comédie, il ne veut pas faire partie de ce monde où tout se joue sur les apparences, où on soigne les dehors ; et le dedans alors !
Nécessairement, on se sent seul quand on ne fait pas comme les autres, on est isolé, pourtant Holden n’a pas envie d’être seul, il recherche la compagnie, quelqu’un avec qui parler. Parler de choses et d’autres. Parler des canards du lac par exemple : où vont-ils quand l’eau est gelée ? Parler des dedans peu reluisants sous des dehors impeccables. Ça, ça le ''tue'', comme il dit. Cette expression m’a ''tuée’’, moi aussi. L’histoire de ce garçon, qui apprend à voir le monde tel qu’il est, est émouvante, mais en même temps j’ai eu du mal à contenir des éclats de rire durant toute ma lecture, j’avais vraiment envie de rire un bon coup, et quand on se trouve dans le train, avec plein de passagers plongés dans leurs lectures et leurs pensées respectives, ce n’est pas vraiment indiqué.
Holden sortant du théâtre :
« Alfred Lunt et Lynn Fontane jouaient le vieux couple et ils étaient très bons mais je ne les aimais pas tellement. Je dois dire pourtant qu’ils étaient particuliers. Ils jouaient pas comme des gens ordinaires, ils jouaient pas non plus comme des acteurs. C’est difficile à expliquer. Ils jouaient plutôt comme s’ils savaient qu’ils étaient des célébrités et tout. Ce que je veux dire c’est qu’ils étaient bons, mais qu’ils étaient trop bons. [...] Quand on est trop bon, alors, après un moment, si on n’y prend pas garde, on a tendance à se donner des airs. Et on est plus bon du tout. [...]
A la fin du premier acte, on est sortis avec tous les autres connards pour fumer une cigarette. Vous parlez d’un plaisir. Dans toute votre vie vous avez jamais vu autant de mecs à la gomme qui fumaient comme des locomotives en discourant sur la pièce et en s’arrangeant pour que tout le monde puisse entendre leurs remarques subtiles. [...] Vous auriez dû le voir quand Sally lui a demandé comment il trouvait la pièce. C’était le genre de mec bidon qui a besoin d’espace pour répondre quand on lui pose une question. Il a reculé, et il a marché en plein sur le panard de la dame qu’était derrière lui. Il lui a probablement cassé tous les orteils. Il a dit que la pièce elle-même était pas un chef-d’œuvre mais que les Lunt bien sûr étaient tout simplement des anges. Des anges. Putain. Des anges. Ça m’a tué. » (p. 154-156)
Difficile parfois de savoir ce qu’on veut, ce qu’il faudrait faire, quand on a seize ans, et même plus. Difficile de prendre la vie à bras-le-corps quand elle semble vous échapper. Alors, pour éviter la déprime, Holden essaie de profiter de l’instant présent, de se créer des instants de bien-être, car il suffit parfois d’un rien pour se sentir bien, il suffit d’être avec un autre humain, d’écouter un morceau de musique et de danser, pour chasser le cafard qui vous guette, pour oublier ses soucis. Et là j’ai retrouvé un passage du Ballet noir à Château-Rouge d'A. Ngoye.
« Elle s’est mise à danser un boogie-woogie avec moi mais pas ringard, tout en souplesse. Elle était vraiment douée. Je la touchais et ça suffisait. Et quand elle tournait sur elle-même, elle tortillait du cul si joliment. J’en restais estomaqué. Sans blague. Quand on est allés se rasseoir j’étais à moitié amoureux d’elle. Les filles c’est comme ça, même si elles sont plutôt moches, même si elles sont plutôt connes, chaque fois qu’elles font quelque chose de chouette on tombe à moitié amoureux d’elles et alors on sait plus où on en est. Les filles. Bordel. Elles peuvent vous rendre dingue. Comme rien. Vraiment. » (p. 92)
Envisageant la mort :
« Et puis j’ai pensé à toute la bande qui me foutrait au cimetière et tout, avec mon nom sur la tombe et tout. Au milieu de ces foutus trépassés. Ouah, quand on est mort, on y met les formes pour vous installer. J’espère que lorsque je mourrai quelqu’un aura le bon sens de me jeter dans une rivière. N’importe quoi plutôt que le cimetière. Avec des gens qui viennent le dimanche vous poser un bouquet sur le ventre et toutes ces conneries. Est-ce qu’on a besoin de fleurs quand on est mort ? » (p. 188)
Suffit d’un bon roman parfois pour vous faire vous sentir bien. En fait le rêve de Holden à propos de la lecture s’est réalisé pour moi en lisant L’Attrape-cœurs :
« Mon rêve, c’est un livre qu’on arrive pas à lâcher et quand on l’a fini on voudrait que l’auteur soit un copain, un super copain et on lui téléphonerait chaque fois qu’on en aurait envie. Mais ça n’arrive pas souvent. » (p. 30)
Quel plaisir ça a été de lire ce roman. A lire et à faire lire sans modération !
Jerome David SALINGER, L’Attrape-cœurs, Robert Laffont, collection Pocket.
256 pages. Publication en 1945. 1986 pour la traduction française.