Un photographe de guerre meurt, laissant un carnet où l'on découvre qu'il a tué une femme...
Le début du spectacle dérange, agace. Tandis que les nouvelles arrivent, que les danseurs comédiens de la Compagnie racontent leurs voyages et les situations qu'ils ont vécues, les uns et les autres se livrent à des jeux sexuels auxquels je ne trouverai de sens que longtemps après le spectacle. Corps de femme qui se dénude ou qu'on déshabille, images évoquant la pornographie et annonçant les images de guerre : enfant mort à l'entrée d'un théâtre, propos xénophobes jetés comme par jeu dans les loges... Le théâtre est-il hors du monde ? Le monde est-il hors du théâtre ?
Acte II, le photographe arrive à la Maison des cerfs pour rendre la femme qu'il a tuée à sa mère. La maison des cerfs, c'est un lieu hors de la ville, choisi par une famille pour ne pas vivre les turpitudes urbaines, humaines, pour partager l'existence de cerfs, animaux nobles, fragiles, fiers, craintifs. La première chose que fait la mère, c'est habiller sa fille morte, comme pour couvrir, effacer tout ce que nous avons vu dans l'acte I, retrouver un peu de dignité, mais elle n'y parvient pas seule. L'arrivée du photographe va, d'une part, réveiller les vieilles histoires familiales, et, d'autre part, faire entrer dans la maison le grand fracas du monde et de la guerre dont on ne peut éviter la réalité dans notre environnement quotidien. Et, comme dans les grandes tragédies, grecques ou shakespeariennes, la famille va être un lieu de meurtres. Tuer le photographe, puis celui qui a tué le photographe, seront les grandes questions de ce spectacle. Les morts eux-mêmes se lèvent et participent à la discussion. L'horreur ne s'arrête pas à la vengeance. Ce serait sans compter avec l'enfant de cette femme tuée par le photographe et qu'il n'a pas pu sauver... L'humanité ne connaîtra pas le salut.
Sauf si l'on se met à écouter Grace, la fille dérangée (c'est à dire qui n'est pas dans le rang, qui sort du rang) qui masse le cœur des cerfs et invite les danseurs comédiens à se prendre par la main, après une dernière scène chorégraphiée, pour venir « saluer les gens », le public. Le théâtre est le lieu où les humains peuvent raconter quelque chose aux humains.
Trois phrases me restent en mémoire : « Personne ne peut écrire sa propre histoire. » - « Nul ne peut savoir quelles seront ses pensées dans la seconde qui suit. » - et, contredisant le slogan de 1968 (« Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi »), cette phrase relevée sur un mur : « Le monde n'est pas derrière toi ».
Spectacle vu au Théâtre de la Ville, à Paris