La meilleure façon de marcher c'est encore la nôtre, c'est de mettre nos pas, nos pieds, dans ceux des autres, dans les traces des autres, des illustres autres s'il le faut. Jean-Baptiste Poquelin y est bien arrivé, il a quitté la quiétude de l'atelier paternel pour porter ses pieds bien chaussés à la suite de ceux, chaotiques, des Béjart. Pourquoi n'arriverions-nous pas à voir pousser les plumes de nos ailes, à trouver chaussures théâtrales - cothurnes - à nos pieds ?
La meilleure façon de marcher c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer. Recommencer, recommencer, remettre cent fois sur le métier s'il le faut notre ouvrage, continuer cette si belle aventure. Notre aventure c'est le pied ! Le pied, entre tous ces pieds qui voudraient nous faire des croche-pied. Ces pieds bots, ces pieds-plats, ces pieds de nez du destin, ces portes de nos coeurs forcées parfois au pied-de-biche par le doute ravageur qui voudrait s'insinuer.
Qu'importe ! Fonçons, nous avons tous le pied marin, bon pied bon oeil et pied à l'étrier à présent ! Qu'importe si nous avons la sensation de jouer comme des pieds, parfois... On prend son pied dans "l'illustre compagnie de But en Blanc" on fera tous ensemble un pied de nez à la face noire du destin.
Nous n'avons rien, nous ne pouvons donc rien perdre ! Notre pied-à-terre est situé rue des Courants d'air à Dax (Landes), jamais la même salle, toujours la même errance, jamais en vue la moindre planche-radeau-havre d'accueil, le moindre rideau derrière lequel on pourrait se cacher, derrière lequel on pourrait espérer. Tous les mardis faisons le pied-de-grue à la porte d'une hypothétique salle publique pour répéter, tendant le coeur, tendant la main "à votre bon coeur messieurs, dames, laissez entrer les artistes..."
Toujours le pied. Le pied, le pied, toujours recommencé... Octobre 2010 en Ardèche, festival national des théâtres amateurs : Nous préparons pour nous y produire "la Vieille dame qui fabrique 37 cocktails molotov par jour" de Matéï Visniec. Mission impossible, on est aussi loin du premier filage que ne l'était de Paris, l'ami Blaise quand il griffonnait dans un wagon glacé sa prose du Transsibérien "... j'étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance..." Qu'importe, on le fera ! Il n'y a pas de doute on y arrivera ! Mission impossible : c'est pour nous !
On y arrivera parce que le théâtre c'est l'essence même du vivant, c'est sa lente distillation, c'est la fragrance essentielle de la vie. Le théâtre c'est une floraison de coeurs en plein hiver. Le théâtre c'est gagné d'avance parce que ce sont des comédiens - des gens - bien ordinaires qui vivent ensemble une aventure extraordinaire.
Treize, chic ! Ça porte bonheur ! Treize, nous sommes treize à table : Evelyne, Marie-Paule, Dominique, Joëlle, Nathalie, Julie, Maéva, Manon, Gérald, Éric, Pierre, Micka et moi. Treize corps, treize coeurs, treize âmes, multipliés entre eux à l'infini. Treize bouches vives et affamées, chantant cependant à l'unisson pour remercier la vie :
"Ma plus belle histoire d'amour c'est toi !
Toi : chacun d'entre nous treize, multiplié par treize,
Ma plus belle histoire d'amour, c'est toi, public !
Ma plus belle histoire d'amour c'est toi Théâtre,
source de tous les possibles, de tous les imaginables,
de toutes les vies, c'est toi Théâtre,
ultime frontière bordée d'un rideau de velours rouge
s'ouvrant, aux trois coups frappés, sur l'éternité..."