L’Echiquier
Je suis seul sur l’échiquier de la cour,
ni cavalier, ni roi, mais le fou.
La main du joueur hésite entre les tours.
Je fais trois pas, je déserte le lierre
pour la lumière épaisse où je m’englue.
Le lézard règne aux aisselles de pierre.
Où sont les filles d’or et de saveur,
ce bruit de blé qui froisse leur épaule,
et le figuier, son feuillage de coeurs,
le premier pas timide, sur les eaux,
du jour qui jouit de visibles trésors?
Rien n’a trompé le zèle des créneaux.
Car il ne vient que l’ombre d’une lame
aiguiser au grès ses tranchants mortels
pour de très lents combats avec les flammes.
Ici veillent le sphinx et la fourmi:
patience de dément dans sa cellule,
et mort repliée qui s’ouvre la nuit.
Mais je sens des formes collées aux murs,
dans l’odeur de sang des chambres désertes,
et qui m’épient par toutes les fissures.
(Jean Joubert)