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La fonction oblique

Par Villefluctuante

john cornu fonction oblique 02

Un bit sourd rebondi sur les immeubles d’habitation. Le centre de la placette est habité par le plein d’un blockhaus qui mesure probablement douze mètres sur douze et quatre mètres de hauteur. Sur un de ses flancs, quinze étais de construction semblent pousser ou retenir, on ne le saura jamais, le bloc de béton. Devant, de jeunes gens, bien sous tout rapport, boivent de la bière et mangent des fraises tagada. L’atmosphère est à l’insouciance d’un vernissage tandis que, dans les étages des immeubles, des nantais middle-class vaquent à leur intimité.

Jusque là tout est gentil. Seul le titre de la pièce présentée, « La fonction oblique », pourrait laisser transparaître une contestation : quinze étais à l’oblique en référence à Claude Parent et à sa théorie architecturale. La fonction oblique devait révolutionner l’architecture en confondant sol, murs et plafond dans un vaste champ de mobilité offrant une nouvelle dimension à la vie. Cette topographie totale s’opposait à la pensée moderniste dominante symbolisée à l’époque par la trame constructive des grands ensembles. L’œuvre manifeste de l’église Sainte-Bernadette de Nevers en 1968, bunker composé de deux plans inclinés, apparaît ici dans une citation explicite.

La fonction oblique appartient à un corpus de théories utopiques de la seconde moitié de vingtième siècle où les architectes étaient appelés à changer le monde. Depuis, que s’est-il passé ? Revenons au blockhaus et à son contexte. J’imagine aisément que de nombreux habitants de l’Ile de Nantes doivent rejeter la conservation de ces traces historiques. En tout cas, « pas sous mes fenêtres » doit être un leitmotiv récurrent qu’il convient d’inverser. A bien y regarder, la laideur provient bien plus de ces immeubles d’habitation sans caractère, désertés par une pensée sur l’espace. Ne parlons pas ici de la gesticulation évènementielle de quelques constructions « fashion » situées un peu plus loin, mais de l’expérience architecturale du quotidien, celle que justement les architectes utopistes du vingtième siècle voulaient transcender.

Qu’avons-nous retenu de cet héritage ? Ici, dans un quartier d’habitation comme il s’en monte partout en France, la réponse est lapidaire : rien. Sommes-nous à ce point dans une panne de la transmission pour continuer invariablement cette architecture moderne ramollie par notre manque de culture ? Si nous ne retenons rien de nos pères, qu’espérons-nous transmettre à nos enfants ? Il ne s’agissait pas de reprendre littéralement chacune de ces théories, et la fonction oblique en particulier, mais au moins de profiter de ces avancées salvatrices pour changer de cap. Les quinze étais de John CORNU ne soutiennent pas un blockhaus, elles soutiennent notre mémoire.

SB & JR


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