A l’heure où le centre George Pompidou expose avec succès, l’oeuvre de Lucian Freud (né en 1922), je me suis demandé quelle place Gombrich, lui consacrait dans sa fameuse Histoire de l’art ? On découvre que de façon pertinente l’historien met en parallèle les Deux plantes (1977-80; ill. n°1) aux Herbes d’Albrecht Dürer qui date de 1502 (ill. n°2): “les deux oeuvres, écrit Gombrich, révèlent la fascination d’un artiste pour la beauté de plantes communes, mais tandis que l’aquarelle de Dürer est une étude à usage personnel, la grande peinture à l’huile de Freud est une oeuvre à part entière, aujourd’hui exposée à la Tate Gallery à Londres.” Il est vrai qu’à cette différence près soulignée par l’historien, le rapprochement n’a rien d’incongru, puisque Lucian est né en Allemagne, y a vécu jusqu’à l’âge de onze ans, et qu’il est le petit-fils de l’inventeur de la psychanalyse. Sauf qu’il a quitté l’Allemagne en 1933, et qu’il a grâce aux relations de sa famille, pu rejoindre l’Angleterre et être rapidement naturalisé sans souffrir aucunement des désagréments liés au statut de réfugié. Depuis lors, il n’a plus jamais voulu parler allemand. La rupture est à peu près complète et définitive puisqu’encore aujourd’hui, Lucian Freud déteste qu’on lui rappelle ses origines et surtout que les spécialistes s’évertuent à relier ses tableaux avec quel qu’héritage allemand que ce soit, préférant lui-même s’inscrire dans la lignée de Cézanne ou de Watteau.
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Cependant pour aller dans le même sens que Gombrich, dont incidemment le parcours avec Lucian Freud est assez similaire (né à Vienne, il quitta son pays en 1936 pour les mêmes raisons et s’installa lui aussi à Londres) on pourrait dire qu’un artiste revendique rarement les influences qui ont vraiment compté, laissant aux spécialistes le soin de faire des hypothèses, de vous ranger dans des cases, des catégories, des mouvements ou des écoles. Au surplus, force est d’admettre que l’Allemagne de Dürer, grand peintre humaniste de la Renaissance, existe à peine en réalité, ou en tout cas qu’elle n’est pas celle de Bismarck et encore moins celle des années sombres. Enfin, gageons que son illustre grand-père tant critiqué aujourd’hui par Michel Onfray, aurait expliqué que le rejet de cette enfance en Allemagne est tel, qu’il est normal que sa peinture en porte des traces inconscientes ou non…