AVEC LE TEMPS
à mon petit frère Dany
Irions-nous encore au bois
Les lauriers sont coupés
Et les roses sont mortes
Nos balades auront-elles encore
L’ivresse des quêtes incertaines
Qu’est-il advenu à ce havre d’innocence
Où s’infiltraient les rayons tremblants de l’aurore
Le sablier du temps poursuivait alors déjà
Sa course lente et inéluctable
Le physique a grandi, appris
La mémoire un peu vieilli
Et les couleurs pleurent parfois
Celles disparues
Hélas ! qu’il faille que le physique grandisse et apprenne
Et pourquoi ne pas garder éternellement en soi
Ce qui est perdu l’ivresse des balades
Les rayons tremblants
Illuminant les limbes
De l’exil présent
Les piaillements l’innocente rumeur tue
Et le sablier qui court
Mais au poète
Ces effluves passés
Seront toujours ravivés
Sous les cils de l’aurore
Il faudra beaucoup apprendre encore
Et se raconter.
BALADE ENDIMANCHÉE À BEAU-BASSIN
à Umar Timol
Dimanche
Les flamboyants sont rouge vif
De gaieté l’aube s’est parée
De sa robe argentée
Et l’attend à l’ombre des arbres
La sombre quiétude des songes déchus
Et ces rus tranquilles
À l’abri des touffes
Reluiront d’un bonheur simple
Ces rues songeuses de Beau-Bassin
S’animeront soudain d’un train
Vermeil
Et se jetteront dans ses bras
Sa horde de flâneurs endimanchés
Portant en eux encore
La douceur d’une nuit argentée
Le soleil rira rouge vif
Respirera allègrement cet air
De bohème les souvenirs
Nimbés de mille et une romances
Iront conter fleurette au ruisseau esseulé
Quelque part sûrement plane
L’âme de Renaud
Parce que Beau-Bassin change
Et ne change pas
L’après-midi venu
Ce dimanche comme les autres
Arborera un sourire de sombre convivialité
Ses rumeurs s’éteindront
Une à une
Senteurs de feuilles mortes et d’étoiles
Deux vieux amants s’en iront
Le long des venelles désertes.
BALADE DANS LE TEMPS
“Le poète aime les ruines.”
Wysten Hugh Auden
Je me suis approché d’elle
Ruines bruyères désolation
Il faisait beau
Comme auparavant
J’avais un refrain sur les lèvres
Parce qu’au-dessus d’elle
Un ciel bleu chantait
Qu’êtes-vous devenue
Chère maison de mon enfance
Vous qui vous pariez des premières lueurs
Du soleil
Les oiseaux passaient
Traçant dans le ciel bleu
Le trajet qu’empruntaient parfois, la nuit
Vos rêves de tendre solitude
Et l’étendue d’un bois
Vous découvrait ses sentiers et ses laies
Qu’empruntaient, chaque aurore
Des fées psalmodiant
Le songe de la nuit
Vous souvenez-vous
La mélopée étrange et joyeuse
Des enfants qui jouaient
Coulait en vous...
Je me suis approché d’elle
Ruines bruyères désolation
Couleur de boue et de regret
J’avais le coeur aride de pleurs
Parce que je ne pouvais entendre la mélopée
De vos souvenirs
Pourtant le soleil brille toujours
Innocemment sur vos méconnaissables
Reliques
Et quelques rares oiseaux
Passant dans le ciel bleu
Empruntent quelquefois encore
Le trajet de vos rêves passés.
ERRANCE
Des mots cognent à la vitre. Un froid d’abandon et de brume grésille sous l’auvent. Dans le verger des astres, une pâle lune grelotte. Le vent gémissant effleure les feuilles mortes qui jaunissent le sol, il s’en ira se réchauffer, ce soir, loin de ces bras noueux qui dégourdissent sans parure. Sans parure, les arbres sont comme des lentisques qui pleurent. Là-bas, la nuit apaise son insomnie au bord d’un étang en claquant des dents : des vocables indécis, comme un souffle, s’échappent de ses lèvres, furètent, se camouflent tels des fantassins en déroute. La lune est le fanal des fugueurs.
Un peu de songe vermeil bruit cependant dans le silence qui pleure les
dernières clameurs de l’après-midi et les frissons tièdes des champs. Comme un monolithe élancé et sculpté par les dents de l’ombre, un pin médite, pour la gloire du Verbe, une lueur qui cajole son peignoir de morillon. C’est parce que les mots ont vite fait, avec l’intrépidité d’un baiser volé, d’arracher au pin esseulé et de sucer des lèvres humides de l’étang un zeste de tendresse. Pour pérenniser les minutes qui passent, ils portent en leurs festons et leurs segments la révolte défeuillée des arbres et les premiers balbutiements des astres, galopent en amont d’un tertre où se dresse une hutte de roseaux, sanctuaire d’hyperdulie à Calliope.
La solitude se fait Muse pour des noces cérébrales...
Réjouis-toi, ô saison, de la tiédeur reconquise, offerte telles des prémices pour griser des dieux !
Après la frondaison des mots, la nuit s’éprendra de nouveau de ce
charmant paysage où le frisquet s’aventurera dans un chenet d’oubli.
L’héliotrope fleurira à minuit.
Des mots cognent à la vitre. Une chandelle attend les confessions échevelées d’un regret d’amour.
NOCE VESPÉRALE
“Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon coeur.”
Albert Camus
Temps cher qui passe
On est assis on rit
Le cliquetis des verres
Les guerres, les conquêtes sont de vieux souvenirs
On chante la vie
Aves des mots couleur voyage
La nuit est douce
Et démente
Le bonheur murmure un air
Vaporeux ...
Le passé s’égrène l’avenir
Se dessine comme les volutes bleuâtres
D’une cigarette
Et le son d’une cloche au loin
Semble résorber tous les âges
Immuabilité d’un instant
On savoure le présent
Telle une eau-de-vie
Et le ciel si pur se gorge encore
D’étoiles
Le bonheur guette ailleurs déjà.
Sylvestre LE BON.
in Ballades d'ici et d'ailleurs, recueil édité en 2004 aux Editions A3 (Ivry / Seine, France).