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Il se trouve toujours quelque bonne raison de fuir, lorsque nous laissons nos âmes dériver d’île en île.
Les uns voyagent sans se retourner sur les pas accomplis. Un monde s’ouvre à eux, meilleurs que celui qu’ils viennent de quitter.
D’autres arrivent là dans des soutes infâmes, boivent l’eau croupie d’un bagne et laissent leurs os blanchir sous les effets conjugués du sable, du sel et du soleil.
D’autres ne font qu’une courte escale avant d’autres déportations, bien plus terribles, en des îlots lointains, perdus en d’autre océan.
Tous ne sauront jamais revenir sur leurs pas, sans laisser un peu ou beaucoup de leur âme sur cette langue de terre arrachée aux marées et aux tempêtes.
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Prêtres refusant d’abjurer leur foi, soumis aux pires tortures d’un peuple vengeur.
Communards attendant sans frémir leur sort, de la bouche d’une bourgeoisie triomphante, mais non remise de sa peur d’avoir perdu un moment sa domination sans partage.
Simenon fuyant des amours de mygale, venu là pour écrire face à une place d’arme sans arme, où les fleurs ont définitivement remplacé les fusils.
L’île d’Aix est un refuge, une villégiature rêvée, tant que la foule ne s’y précipite pas.
Frappée de plein fouet par la foudre conjuguée de la marée d’équinoxe et de la tempête, elle négocie avec l’énergie du désespoir un avenir pour quelques îliens désemparés de devoir perdre plus que ce qu’ils ont déjà perdu.
Car non content que des architectes n’aient pas su prévoir les risques d’invasion maritime, que l’entretien de digues ait été négligé, les voici prisonnier d’un état qui se défausse, botte en touche et fait porter aux victimes le poids de leur condamnation.
C’est agir en bourreau que de défrayer de si peu un maigre pécule amassé une vie durant, emporté par deux vagues noyant les deux cent cinquante mètres les plus bas d’un îlot dont la seule fortune tient à deux mois de fréquentation vacancière.
Nos édiles sont très forts pour imposer aux autres un régime qu’ils ne savent s’appliquer à eux-mêmes.
On vole au secours d’Haïti à grand frais d’avions particuliers, on vole d’un bout à l’autre du monde en des jets étatiques rutilants et onéreux, et on demande au petit peuple de se serrer la ceinture.
Marie-Antoinette intimant au peuple de manger de la brioche alors qu’il demandait du pain, en perdit la tête.
Les gouvernants sont, dans leur aveuglement, les ferments d’une violence dont ils s’étonnent parfois d’être les victimes.
S’ils descendaient parfois de leur piédestal doré, s’ils prenaient la mesure concrète d’une vie morcelée de devoir se contenter de fort peu, non simplement pour faire un tourisme sordide en s’invitant à dîner aux frais de leurs hôtes, mais en délaissant un peu leurs immenses fortunes pour vivre d’un RSA ou d’un SMIC anémique, peut-être la face du pays s’en trouverait changée.
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Je reviens donc à cette vie îlienne qui, malgré tout, est un havre.
On y mesure tout ce que l’Homme peut connaître d’abnégation à combattre contre une nature hostile.
L’île, comme la montagne, ne promet rien, ne donne rien volontiers. Il faut leur arracher notre survie. On sait en y venant que les éléments prendront un malin plaisir à vous faire mesurer que voue n’êtes pas grand-chose, devant des forces planétaires dont notre prétention au savoir ne peuvent mesurer toutes les parties.
L’île est cet espace qui invite à rester humble, non pour se résigner mais pour s’engager dans une philosophie de la survie.
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Se cachent ici tant de grâce et de beauté
Tant de bonté généreuse prompte au partage
Avec l’humilité comme seule condition
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S’y dévoilent de belles âmes
Farouches partisanes du retrait
Souriantes sirènes apparues entre deux éclats de phares
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L’île est un port
A l’abri des dunes
Fragile esquif dressé contre les assauts du vent
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S’y aventurent de tendres beautés
Ames errantes cherchant à y survivre
Amours éphémères déposées sur des quais sans avenir
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L’île est à l’image de notre destinée
Dernier avatar que la vie sait créer
Avant de se fondre dans les abymes
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Saint-Pierre d’Oléron, 10 avril 2010
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