Au cours de nos études, on nous apprend souvent à éviter soigneusement de répéter dans nos écrits le même mot. Il s’agit là vraisemblablement de nous inciter à élargir notre vocabulaire. En même temps, ce rapprochement de termes voisins peut faire naître des images qui viennent embellir notre quotidien. Mais, dans le monde scientifique, il faut sacrifier à la rigueur. Si deux choses ou deux notions sont différentes, il convient de les désigner par des mots différents. Par contre, si elles sont identiques, elles doivent être invoquées par un seul et même terme.
Les techniques de communication excellent à s’affranchir de ce principe d’exactitude. C’est ainsi que, dès l’origine, les opérateurs de téléphonie mobile se sont évertués à nous proposer des forfaits qui ne sont en rien des forfaits. Un forfait est une somme convenue à l’avance pour laquelle un prestataire s’engage à réaliser une tâche donnée, quels que soient le temps et les matières effectivement consommés pour sa réalisation. En contrat de téléphonie, le plus souvent, il s’agit simplement d’un engagement minimum de dépenses pour le client, qui pourra se voir facturer des montants plus importants. Pour moi, c’est cette confusion soigneusement entretenue qui mérite le nom de forfait, entendez de crime.
Sous prétexte d’adoucir la sévérité de certains mots, on en est venu à rebaptiser les aveugles des non-voyants, les sourds des mal-entendants, les handicapés des personnes à mobilité réduite, les chômeurs des demandeurs d’emploi, etc…Un de mes patrons se proposait d’introduire le mot de mal-comprenant pour désigner une personne que l’on qualifie d’ordinaire d’un mot de trois lettres, avec la voyelle o en son milieu, vous l’avez deviné je suppose, un sot.
Ce genre de pratique a conduit à l’abominable. Qu’y avait-il de déraisonnable à déporter des gens, à les déplacer d’un pays vers un endroit avec davantage d’espace disponible ? Et était-il criminel, pour mieux les répartir vers leurs nouveaux séjours, de les rassembler, les concentrer dans des camps ? C’est le même type de mensonge que nos gouvernants profèrent régulièrement. Pendant sa campagne, le candidat Sarkozy nous a assommés de son slogan imbécile : « travailler plus pour gagner plus ». Bien évidemment, si l’on travaille plus, c’est pour gagner plus, la belle trouvaille ! Et comment fait-on pour travailler plus lorsque le chômage progresse ?
Autre découverte génialissime, de Christine Lagarde : la croissance négative, l’exact inverse de l’apostrophe célèbre : « en descendant, montez donc, venez voir le petit comme il est grand ! ». Maintenant, Eric Woerth et consorts s’emploient à cacher le mot rigueur. Pour leur cause, voici qu’ils inventent des définitions : « la rigueur, c’est quand on augmente les impôts. » Jamais une famille n’aura à augmenter les impôts, elle n’en perçoit pas. Il n’empêche qu’elle sait très exactement ce qu’est une politique de rigueur. Lorsqu’elle n’a pas la possibilité d’augmenter ses revenus, il ne lui reste plus qu’à tailler dans ses dépenses, renoncer à celles qui ne sont pas de première nécessité, réduire ses achats de nourriture en quantité comme en qualité, supprimer des sorties. La rigueur existe, même sans impôts. Jusques à quand ces éminences nous prendront-elles pour des sots ?