… mange comme les Anglais.
Mal ? Vite ? Mal et vite ?
Non : mange chinois, thaïlandais ou indien.
Ce WE, dans un souci d’intégration, Prince et moi décidons de tester un petit restaurant chinois dont l’un de mes collègues m’a dit le plus grand bien. “Very authentic”, “sooo good”, et que sais-je encore. Comme le collègue en question a un accent liverpoolien (ça se dit, ça ?) à couper au couteau, je me suis concentrée sur l’essentiel : c’est bon, et c’est pas cher.
Vendredi soir, 19h30 : Prince et moi nous aventurons dans les petites rues de Chinatown, à la recherche du fameux restaurant (pour ne froisser personne, appelons-le Delicious China). 19h30, c’est pas un peu tôt, ça, pour un dîner romantique, vous demandez-vous ? Rappelez-vous : ce soir, nous sommes dans l’esprit “on fait comme les Anglais” ; le but n’est pas de passer une soirée tranquille en amoureux. C’est de se caler l’estomac le plus rapidement ET efficacement possible pour se lancer sans trop de dégâts dans la première cuite du WE. Et si vous pensez que j’exagère, je vous mets au défi de soutirer trois mots d’affilée à mes collègues le lundi matin.
La porte de Delicious China s’ouvre alors que nous arrivons. Sans réaliser la chance que nous avons, nous pénétrons dans la minuscule échoppe. Le couple suivant, qui a eu l’impudence de rentrer sans permission, se fait réprimander d’un sec “Wait outside please !”. Un accueil qui présage bien (mal) de la suite du repas.
Impassible, notre serveuse nous fait asseoir sans un mot de bienvenue. Son badge nous apprend quand même qu’elle s’appelle Wendy (prénom typique s’il en est ?). A côté de nous, vision rassurante : un couple de “vrais” Chinois passe commande, en chinois s’il vous plaît, à Wendy. Leurs plats arrivent promptement, tellement nombreux et copieux qu’ils tiennent difficilement sur la table. Sans se laisser démonter, nos voisins empoignent leurs baguettes et font un sort à leurs huit assiettes à grands coups de slurp avant même que nous ayons eu le temps de nous décider . « So authentic ! »
En effet, perdus dans la carte que notre aimable serveuse a jetée sur la table, nous commandons la spécialité de la maison, d’énormes beignets farcis à la viande ou aux légumes, des nouilles à la Chengdu ainsi qu’un porridge de millet (?) censé accompagner les beignets.
Toujours optimiste, j’oublie la légendaire réticence de Prince à manger des aliments verts et/ou apportant moins de 500 calories aux 100 grammes, et lui demande :
- Et si on prenait aussi des épinards au gingembre et une salade comme accompagnement ?
Grimace de Prince :
- Heu… la prochaine fois ?
Bien tenté.
En guise de boisson, nous demandons courageusement de l’eau du robinet – c’est très tendance dans le Londres post-crise financière. Quelques minutes plus tard, alors que nous nous débattons avec nos beignets, nous ne voyons toujours rien venir. Un verre d’eau s’avérerait pourtant bien utile pour nettoyer la chemise blanche de mon banquier de Prince, toute éclaboussée de sauce Chengdu.
Heureusement, Wendy réapparait :
- Nous ne servons pas d’eau du robinet le vendredi soir.
Ca, c’est une réponse énigmatique. Je ne compte pas m’en tenir là.
- Ah bon ? Pourquoi ? Le robinet ne marche pas le vendredi ?
J’ai beau protester pour la forme tandis que Prince s’enfonce dans son siège, rien à faire. Je finis par céder et commander de l’eau plate. Je vous passe l’épisode où, servis par David (un autre prénom typique ?), nos voisins ont, eux, le privilège de boire de l’eau du robinet, je fais un scandale, Wendy engueule David en chinois, et finit par nous retirer nos bouteilles d’eau minérale (sans jamais les remplacer par ces fameux verres d’eau du robinet).
Réjouie par cet accueil chaleureux, je décide de marquer mon mécontentement en payant uniquement en petite monnaie – et quand je dis petite monnaie, je ne plaisante pas : uniquement des pièces de 50, 20, 10 et 2 pence. La réaction de Wendy ne se fait pas attendre. Elle arrive à notre table, alertée par les grands signes de Prince et mon sourire jusqu’aux oreilles, jette un coup d’oeil à la coupelle débordante de monnaie, et lance :
- Nous ne prenons pas les pièces de 2 pence.
- Le vendredi soir uniquement, ou c’est toujours comme ça ?
Notre serveuse a dû apprendre « Comment résoudre un conflit avec un client en dix leçons », car elle répète simplement, mais non moins agressivement :
- Nous ne prenons pas les pièces de 2 pence.
- Ah bon ? Pourquoi ? Ce n’est pas de l’argent ?
Wendy a beau grogner, elle finit par empocher 500 grammes de petite monnaie. Plutôt que de savourer cette petite victoire, nous préférons quitter rapidement les lieux : David vient de jeter nos manteaux sur la table, signe subtil s’il en est que notre présence n’est plus requise.
Finalement, c’est dommage qu’on n’ait pas testé les épinards au gingembre, parce qu’il y a peu de chances qu’on y retourne, à Delicious China.