Le 12 avril dernier deux milles personnes, dont la plupart immigrante, manifestaient leur indignation, devant le bureau montréalais de la ministre Yolanda James, de priver les nouveaux arrivants de leurs cours de français écrit. Par la suite, nous apprenions que des classes avaient également été fermées du côté d’Emploi-Québec (Le Devoir, 22 avril 2010)
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une personne étudie le français qu’elle l’apprend. Différents facteurs entrent en ligne de compte : l’âge, la langue maternelle, la scolarité, la motivation, les aptitudes). Apprendre le français ne signifie pas non plus vivre en français. Après leurs cours de français, bon nombre d’immigrants, qui se font accueillir, servir, renseigner, soigner en anglais, choisissent de poursuivre des études à Dawson, Concordia, McGill. Il faut se rappeler que 40 % d’entre eux persistent à croire qu’ils peuvent se passer du français pour vivre au Québec à l’instar des Anglais qui sont nés ici. Quelques mots suffisent et encore, les Québécois ne rechignent jamais à venir à la rescousse de quelqu’un qui ne parle pas français et à faire l’étalage de leurs connaissances en anglais. On admet sans difficulté qu’une employée de banque de langue anglaise mais d’origine italienne emploie le terme « traveller’s cheques » (la pauvre, elle fait des efforts. Quel mal ça peut faire ? Tout le monde sait ce qu’elle veut dire). Pourtant, selon certains et non les moindres, les Québécois ne seraient pas encore suffisamment bilingues. Personne ne s’indigne du fait que des gens vivent au Québec sans avoir un mot de français, une langue, tranchent-ils, trop difficile à apprendre et parfaitement inutile. Pour apprendre une langue, il faut l’aimer.À quoi sert-il de posséder le français comme seule et unique langue officielle si personne n’en tient compte et que Montréal, la ville la plus populeuse du Québec, est anglaise ? Viendrait-il à l’esprit d’un individu de vivre dans une autre langue que le bulgare en Bulgarie ? Dans cette république d’un peu plus de 7 millions d’habitants, certains sans doute utilisent le grec ou le turc à la maison, d’autres connaissent possiblement quelques notions d’anglais ou de français, mais la langue commune à tous reste bel et bien le bulgare. C’est vrai que la Bulgarie, aussi petite soit-elle, est un pays avec tout ce que cela comporte : un territoire, une langue, un drapeau, un hymne national, un passeport, un Président, une armée, des athlètes olympiques, un siège à l’OTAN, un siège à l’ONU, etc.
Puisque le Québec qui est un pays mais qu’il n’est pas indépendant, tout ce qu’il fait pour préserver sa langue et par conséquent son identité, sa différence, sa richesse, sa beauté, est systématiquement réduit en bouillie par le Canada qui a le pouvoir d’amender les lois québécoises en se basant sur la constitution canadienne que le Québec n’a pas signée. On est en droit, à cet effet, de se demander si le fait de ne pas avoir signé cette constitution ne revient pas à l’avoir signée puisque, selon toute logique, le refus de signer devrait suffire à rendre irrecevables les jugements de la Cour suprême.
Les décisions des juges canadiens sur la loi 101, les 45 000 immigrants (et plus) reçus chaque année au Québec, de même que l’attitude des élites politiques québécoises à l’égard du français, l’omniprésence de la culture américaine, l’enseignement de l’anglais dès la première année du primaire, les ouvrages de références en anglais (même pour les futurs professeurs de français) n’aident en rien à l’épanouissement du français au Québec. Au contraire. Le français connaît un déclin inégalé. En mettant l’accent sur l’anglais, c’est celui-ci qui progresse.
Dans plusieurs pays, l’apprentissage d’une langue seconde survient à l’école secondaire de façon à permettre à l’enfant d’apprendre sa langue maternelle. De plus, les jeunes ont le choix d’étudier une langue qui n’est pas forcément l’anglais.
La pression exercée sur les Québécois pour qu’ils parlent anglais et l’absence de pression sur les Anglais et les immigrants pour qu’ils apprennent le français, dévalorisent le français. Sans qu’ils ne s’en rendent compte, le vocabulaire des Québécois s’en trouve affecté. Ceux-ci sont ainsi persuadés qu’une pastèque est un « melon d’eau » ou qu’une annulation est une « cancellation » et que l’on peut dire « bienvenu » au lieu de « de rien ».
Les gens qui ont à travailler en anglais ou qui ont fait le choix de vivre en anglais à la maison, finissent par penser en anglais et par traduire de cette langue ce qu’ils cherchent à dire en français. Ils en viennent même à oublier des mots en français et recourent sans complexe à leur équivalent anglais. Peu à peu les mots deviennent des phrases. La langue se perd. Elle meurt.
Tôt ou tard, ces gens adoptent un autre mode de vie. Ils trouvent normal de regarder la télé en anglais, d’aller voir des films en anglais, de lire en anglais, de recourir aux écoles passerelles pour leurs enfants et de leur donner des prénoms anglais. Ils applaudissent à l’idée d’introduire des spectacles en anglais au Festival d’été de Québec, lors des fêtes de la Saint-Jean, aux FrancoFolies, à la Cinquième salle de la Place des Arts. Ils méprisent les politiciens qui parlent mal l’anglais mais tolèrent des élus canadiens, des juges de la Cour suprême, des militaires de Petawawa qu’ils ne parlent pas français. Ils ont tellement l’habitude d’utiliser l’anglais qu’ils abordent parfois des Québécois dans cette langue. Ils sont convaincus que les chansons ou les films québécois sont plates et déprimants. C’est entre-autre ce que beaucoup de commerçants (dont ceux du marché Jean-Talon) pensent et c’est pourquoi ils accablent leurs clients d’émissions de radio en anglais lors desquelles on entend rarement une chanson en français contrairement aux émissions de radio en français où cohabitent chansons en anglais et en français.
Depuis l’adoption de la loi 101 (dont il ne reste presque rien), l’équation demeure la même : Sur dix personnes qui se réunissent pour le travail, entre amis ou en famille, si l’une d’elles ne parlent pas français, on passe à l’anglais.
Avec la piètre opinion qu’ils ont de leur langue (et forcément d’eux-mêmes), négligeant le fait qu’elle est partagée par des millions d’autres locuteurs dans le monde, les Québécois ne voient plus la nécessité de se battre pour elle. L’anglais continuera ainsi à s’étendre à travers tout le territoire du Québec comme cela s’est produit dans les provinces canadiennes. (lire : LE GÉNOCIDE CULTUREL DES FRANCOPHONES AU CANADA – Les Éditions du Québécois)
Le Québec ne disparaîtra pas. Ce sont les Québécois qui disparaîtront et, avec eux, leurs chansons, leurs poèmes, leurs journaux, leurs séries télévisées, leur théâtre, leur littérature, leur cinéma, leur humour, leur façon d’être, de voir les choses, leur caractère latin, leurs racines, car une langue c’est tout cela. Il n’y a qu’à voir la différence entre les Japonais nés au Japon et ceux originaires du Brésil.
Et malgré nos noms à consonances françaises, notre devise sera « I forgot ».
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Anglicisation du Québec : La mort dans l’âme