Septembre en t’attendant, Alissa Torres & Sungyoon Choi

Par Sophielit

« A quoi aurait ressemblé la maternité sans le veuvage ? »

A cette question, que se pose Alissa Torres en page 153 de cet album autobiographique, il n’y aura pas de réponse : car Alissa a perdu son mari, Luis Torres, dans le drame du 11 septembre, alors qu’elle était enceinte de leur premier enfant.

Du premier regard échangé avec celui qui deviendra son mari aux premiers pas de son enfant, Alissa déroule son histoire, victime collatérale des attentats sortant ainsi de l’anonymat. Entre les aides plus ou moins généreuses, les cases dans lesquelles rentrer, les incompréhensions auxquelles elle se heurte, de la part des organismes divers mais aussi de ses proches, Alissa doit sans cesse répéter ce qui s’est passé. Impossible de commencer le travail de deuil dans ces conditions. Et les complications surgissent au fur et à mesure, Luis n’est pas né aux Etats-Unis mais en Colombie, il n’a pas signé de contrat de travail en embauchant le 10 septembre 2001 chez Cantor Fitzgerald, une entreprise financière de Manhattan basée dans l’une des tours…

La douceur des images et du ton permet de tout raconter. Ce n’est pas drôle, et c’est strictement autobiographique. Trois ans de bonheur sur quelques planches, des mois d’errances, de survie pour l’essentiel de l’album. Luis a choisi de devancer la mort plutôt que de l’attendre, il a sauté dans le vide après l’impact.

Mais ce livre n’est pas lugubre non plus, car il y a l’enfant ; l’espoir est en arrière-plan. Et c’est un prisme de cette page du XXIème siècle auquel on n’est pas forcément habitué.

Différent, perturbant ; une autre réalité.

En 1996, Noir Désir chantait comme une étrange prémonition « Septembre en attendant » :

« En septembre, en attendant la suite des carnages il se peut

Qu’arrive la limite

J’y pense encore, j’y pense

Ensemble, maintenant on peut prendre la fuite

Disparus, pfffuit

Avant qu’ils aient fait ouf. »