Nous avons vu dans les articles précédents que chaque espèce, qu’elle soit terrestre ou marine, n’est pas répartie au hasard sur la planète mais sur un territoire plus ou moins vaste que l’on nomme aire de répartition (ou de distribution). La chorologie est la science qui étudie les aires de répartition, actuelles ou passées, quand la biogéographie, elle, s’intéresse aux raisons de la présence d’une espèce en un lieu donné.
Selon la théorie actuelle de l’évolution, toutes les espèces, existant aujourd’hui sur terre, dériveraient d’un ancêtre commun, un protobionte parmi tant d’autres ayant atteint le stade de couple PROTEINE/ARN (au passage, les autres souches, si elles ont existé, ont disparu). Cette théorie dit aussi que les ancêtres de chacune des espèces actuelles étaient répartis sur la terre en fonction de contraintes géographiques et climatiques. Selon ses exigences écologiques, son pouvoir de dissémination et son ancienneté, une espèce donnée aura une aire de répartition de telle ou telle ampleur. Rappelons qu’il ne faut pas confondre les aires de répartition et de reproduction, notamment chez les oiseaux.
Depuis qu’il voyage, l’homme brouille la répartition naturelle des espèces. Il devient parfois difficile de savoir si telle espèce est en déclin (aire morcelée) ou en progression (aire continue). Dans son état naturel, une espèce est soumise à la pression du milieu et les autres individus contrôlent son développement, si bien qu’elle ne trouve sa place que dans son écosystème de prédilection. Quand elle tente de diffuser hors des frontières de son milieu attitré, cela se solde en général par un échec.
Toute modification du milieu voisin peut entraîner une extension de l’aire définie, vers ce nouvel espace rendu plus accueillant. L’homme dissémine de nombreuses espèces à travers le monde, créant ainsi de nouvelles aires séparées.
Une espèce cosmopolite connaît une très large répartition géographique (roseau commun, prêle des champs). Elle est ubiquiste quand elle semble vivre n’importe où sur le globe (cas de microbes).
A l’inverse, quand une espèce ne se rencontre qu’en un secteur géographiquement restreint, elle est dite endémique. L’endémisme des espèces n’est pas sans importance comme nous allons le voir.
L’ENDEMISME
Mis en évidence lors du voyage effectué autour du monde par Charles Darwin, l’endémisme est propre à une région. On mesure le taux d’endémicité en rapportant le nombre d’espèces endémiques d’un lieu donné au nombre total des espèces en présence :
20% pour l’Europe,
30% pour les îles Canaries et pour la Corse,
64% pour la mer Caspienne,
80% pour l’île d’Hawaï,
85% pour Madagascar,
90% pour l’Australie,
100% pour l’île Sainte Hélène.
L’insularité (en général, l’isolement) favorise nettement l’endémisme des populations. D’autres facteurs interviennent : l’altitude, la température externe, la salinité… L’endémisme croît du nord de l’Europe (2 espèces endémiques pour la Norvège) vers son sud (676 endémiques pour la Grèce), et les Pyrénées ou les Alpes du sud ont un endémisme plus marqué sur le continent.Les barrières infranchissables, tels les montagnes et les mers, ou bien des changements climatiques, peuvent entraîner le morcellement de l’aire de répartition d’une espèce donnée. Dans ce cas, soit les descendants des populations isolées évolueront par mutations génétiques que la sélection naturelle pourra trier ; on obtiendra alors de nouvelles sous-espèces de plus en plus éloignées de l’espèce originelle. A terme, de nouvelles espèces apparaîtront et l’on parlera d’endémisme insulaire. Soit, les descendants se figent génétiquement pour ne subsister qu’à l’état d’espèces reliques, en général, archaïques. Ces espèces sont plus menacées que d’autres car elles ne possèdent plus aucune possibilité d’adaptation et il faudra bien les protéger si l’on veut les préserver.
LA BIODIVERSITE
Nous ne connaissons qu’une infime partie des espèces vivantes de la planète (1,5 millions d’espèces sur les 5 à 50 millions que la terre pourrait abriter) tant la vie peut prendre de formes différentes. C’est au terme du Sommet de Rio de 1992 que 157 pays ont signés une convention sur la protection de la diversité biologique. Depuis, les médias emploient le terme de biodiversité et le sujet est devenu une préoccupation majeure de la gent scientifique, au même titre que la problématique de l’eau, que l’effet de serre ou que la démographie humaine mondiale. A travers ce nouveau concept, le regard que nous portions au patrimoine naturel change. La vie n’est pas uniforme sur terre ; la nature invente autant de formes viables et variées que peuvent en contenir ses niches écologiques. Deux niches d’égales natures peuvent abriter des espèces de formes différentes, d’une région à l’autre, d’un continent à l’autre. La variabilité du monde vivant trouve siège à tous les niveaux d’organisation de cette biodiversité : elle agit aussi bien dans le gène qu’au sein d’une population, de l’espèce à l’écosystème. Sans variété ni variabilité, le monde ne serait pas multiforme ; au moindre pépin (changement climatique, par exemple, car rien n’est immuable), la supposée unique population risquerait de disparaître en un clin d’oeil (c’est d’ailleurs le problème des clônes). Cette multiformité assure en grande partie la perpétuation de la vie planétaire.
Nous avons vu comment la théorie du moment explique l’apparition de la vie et son évolution. Dans un article précédent, je donne le nombre de crises majeures qu’aurait traversé ce monde. Sur les 25 répertoriées, 5 ont été d’une ampleur magistrale puisque, à chaque fois, plus de 50% des espèces disparaissaient. Lorsque la nature repart à zéro, elle réinvente très rapidement (en quelques dizaines de millions d’années) des milliers de nouvelles espèces aptes à nicher dans les nouveaux écosytèmes qu’elle met en place. C’est dire, que la sixième grande extinction que nous semblons avoir déclenché depuis les 200000 dernières années n’est pas un problème pour mère Nature, car s’il y a réellement crise majeure, l’homme disparaîtra, entraînant à sa suite une multitude d’espèces certes, mais le vivant reprendra toujours le dessus. La niche type humain sera reprise par un nouvel être aux propriétés incroyables.
80% des richesses biologiques de la planète se trouvent entre les deux tropiques. La moitié des espèces du globe ont leur habitat au sein de la forêt tropicale qui ne couvre pourtant que 7% de la surface terrestre. Si le Royaume Uni possède environ 40 espèces de fourmis sur son sol, c’est le nombre d’espèces que peut présenter un seul arbre de l’Amazonie. La biodiversité croît des pôles vers l’équateur et elle est proportionnelle au nombre de niches écologiques qu’un écosystème présente. Plus grande est l’hétérogénéité des structures de ce dernier, plus le nombre d’espèces rencontrées en son sein est important. On constate qu’à l’intérieur d’une même population, les gènes divergent d’un individu à l’autre. Cette diversité génétique permet -comme je l’ai dit plus haut- à une population de faire face aux variations de son environnement. Plus elle est importante, plus l’espèce a des chances de survie en de nouvelles formes, engendrant ainsi de la diversité à un niveau supérieur, soit de la biodiversité.
IMPORTANCE DE LA BIODIVERSITE
En un mot , vitale :
- sur le plan économique : L’industrie agroalimentaire, celle du médicament comme celle de l’habillement trouvent dans la biodiversité leurs matières premières. C’est en elle et en son stock génétique qu’on pourra puiser les ressources pouvant répondre à des besoins futurs et imprévisibles. Les médicaments de demain sont dans les arbres ;
- sur le plan scientifique : La diversité biologique est à l’origine de processus permettant la régulation de la biosphère à différents niveaux (formation et protection des sols, régulation des climats, des courants marins et aériens…), donc le maintien de paramètres tout simplement vitaux. C’est dans sa richesse et par son hétérogénéité que la biosphère trouve les solutions et les réponses appropriées aux problèmes d’aléas qu’elle rencontre, ses possibilités évolutives. Un monde homogène stagnerait d’un point de vue de l’évolution, et s’appauvrirait au point de compromettre le fonctionnement écosystémique. Un écosystème varié, produit plus de biomasse qu’un système appauvri ;
- sur le plan de l’esthétique et de l’éthique : Qui niera l’importance de la diversité sur la vie contemplative, source d’épanouissement personnel, de créativité et d’élévation ? En convention du Sommet de la Terre, L’UNESCO a lancé son projet scientifique DIVERSITAS qui s’engage à faire un inventaire de toutes les espèces terrestres et marines encore vivantes. Le programme permettra de mieux comprendre l’origine de la diversité biologique, son action sur le fonctionnement des écosystèmes et, de façon plus globale, de la biosphère. L’Union européenne, quant à elle, tente d’imposer la directive HABITAT visant à protéger les êtres vivants et les habitats naturels.
LE DECLIN DE LA BIODIVERSITE
L’apparition d’Homo sapiens sapiens (Cro-Magnon) n’a pas été sans incidence sur la biodiversité depuis le paléolithique moyen, mais il semblerait que l’érosion de la diversité biologique de la planète se soit aggravée au cours des trois derniers siècles (83 espèces de mammifères et 113 espèces d’oiseaux ont disparu depuis le XVIIème siècle). Des milliers d’espèces végétales ont encore péri en quelques décennies et le phénomène, purement anthropique, obère grandement nos chances d’inventer de nouveaux médicaments dans le futur. Dans les pays en voie de développement, cette dégradation de la diversité entraîne la disparition de biotopes et d’écosystèmes entiers. Morcellement des écosystèmes, consanguinité puis épuisement des réservoirs génétiques : les répercussions économiques et sociales sont ensuite énormes. Nos agrosystèmes ultra-simplifiés et nos espaces mangés par les villes sont autant de déserts biologiques dont on ignore, à terme, les effets sur le fonctionnement général de la biosphère.
La durée de vie d’une espèce allait jusqu’à hier -quand l’homme ne confondait pas encore prédation et utilisation de la nature- de 1 à 10 millions d’années. Les conditions, étant largement perturbées par Homo sapiens sapiens, les espèces auront de plus en plus de mal pour se perpétuer aussi longtemps. La destruction des écosystèmes et leur sur-exploitation sont aggravées par les invasions biologiques, les diverses pollutions, la surpopulation, l’altération des cycles bio-géo-chimiques, le tout augmenté par le réchauffement climatique. 34 hauts lieux (hotspots) de la biodiversité ont été recensés qui souffrent abominablement ; abritant 50% des espèces végétales vasculaires et 42% des vertébrés terrestres à eux tous seuls, ils ne représentent pourtant que 2,3% de la surface planétaire.
Les aires de répartition de la faune et de la flore sauvage régressent de façon alarmante sur les six continents. En 6000 ans, l’homme a abattu un tiers des forêts du monde. La chasse de brousse est, contrairement à ce que l’on pourrait croire, très destructrice (dizaines de millions d’animaux détruits chaque année, surtout en Amazonie et dans le bassin du Congo) car elle est devenue trop commerciale.
Un individu (végétal ou animal) disparaît, suivi d’autres ; la population s’évapore à son tour jusqu’à disparition complète de l’espèce dans le pire des cas. S’en suit une désorganisation de la chaîne alimentaire et des réseaux trophiques (producteurs, consommateurs et décomposeurs). L’écosystème est atteint. Sa simplification entraîne la chute de sa productivité. Il périclite et meurt. Or, nous le savons par les articles précédents, les biens fournis et les services rendus aux hommes par la nature sont bien quantifiables, nous ne saurions nous en passer. Cette dernière nous offrirait de 3000 à 40000 milliards de dollars annuellement, selon les estimateurs (le PNB du monde est d’environ 20000 milliards de dollars). L’homme veut toujours plus que nécessaire, il est atteint de pléonexie autant que d’égoïsme. Son irrationalité l’empêche jusqu’à prendre conscience des dangers qu’il se crée, contre lui-même. Le mode d’extractivisme américain s’est généralisé (technique du criquet pèlerin ou de la ville fantôme) et l’on est loin du système où un arbre abattu c’est un arbre replanté, un sur dix dans les faits.L’homme a oublié qu’il faisait des petits. Quel monde laissera-t-il aux générations suivantes ? Démographie jamais vue, problèmes d’eau potable, malnutrition par manque de ressources, climats déréglés… De nombreux conflits insolubles en perspective, en vérité. Vous me direz qu’on fait déjà pas mal de choses pour sauver la planète. Je vais en dire quelques mots mais auparavant je tiens à donner un avis tout à fait personnel. Premièrement, la planète n’a pas à être sauvée car elle ne risque rien en son histoire propre, qui est géologique et non anthropo-chronique ; s’il y en a un qui doit craindre pour sa vie, c’est l’humain, car il faut considérer l’humanité comme une entité qui naît, qui vit un temps, en s’éduquant, et qui meurt. Accepterons-nous, une mort prématurée et suicidaire ? Titre des journaux : L’humanité est morte dans son berceau, la Terre. Dommage car, science et conscience devait la conduire à essaimer vers les étoiles… et elle bénéficiait d’au moins un milliard d’années pour aller à son train. Manquent l’éducation et la conscience. Deuxièmement, le temps n’est plus à l’égoïsme. Si chaque nation persiste à s’accrocher à ses intérêts propres, si chacun, continue à tirer la couverture à lui, alors le pire est à redouter. Ceux qui aiment leurs enfants, c’est à dire tous les enfants de la Terre, qu’ils le prouvent.
DES ACTES ?
J’ai déjà parlé plus-haut du programme international DIVERSITAS et de la directive européenne HABITAT. Précisons que la protection des ressources génétiques naturelles s’étend à plus de 4500 sites à travers le monde, soit 3,7% des terres émergées. En France, le coût de gestion et de protection du milieu est d’environ 1000 €/ha. Une loi de 1976 est stricte quant à la protection des espèces végétales comme animales. Des conservatoires botaniques (Porquerolles, Gap-Charance) et des arboretums sont mis en place. Des banques génétiques de semences diverses (cellules, sperme, ovocytes, embryons, tissus…) sont organisées et la France possède ainsi plus de 75000 échantillons génétiques agricoles (moins de 2% des échantillons mondiaux), ce qui ne doit être qu’un début pour une nation placée en tête de l’ensemble des pays agricoles. On réintroduit des espèces disparues comme le gypaète barbu ou le bouquetin dans les Alpes, le vautour fauve dans le Massif Central ou encore comme le lynx dans les Vosges. Quelques écosystèmes dégradés (herbiers à posidonies de Port-Cros) sont pris en charge mais c’est trop peu. Toutes ces applications sont ponctuelles et il reste à construire les stratégies de gestion idoines, et écologiquement rationnelles du territoire, ce autour d’une notion déjà vieillie de développement durable. Comment enrayer la destruction des habitats naturels et l’usage de doses massives de pesticides et d’engrais chimiques préjudiciables, sinon à reconnaître que la décroissance (par plus d’économie) peut avoir du bon en quelque domaine. Quelle doit être la juste place de l’homme dans la biosphère ? c’est à dire la sphère qui lui est propre : l’éconosphère.L’ECONOSPHERE
L’homme est-il un objet naturel ? la culture n’est-elle pas qu’une protubérance produite par la nature ? Une ville est naturellement constituée après tout.
Le lien de l’homme à la biosphère s’est fait par l’entremise de son agriculture et de son industrie. L’ensemble des processus qui en découlent, doit être inséré dans le schéma d’ensemble représentant la dynamique de la biosphère afin de rendre compte des impacts typiquement anthropiques de nos activités sur la nature. De la biosphère, les hommes tirent l’énergie et les matières premières dont ils ont besoin. Ils y rejettent des quantités considérables de déchets dont peu sont enfouis dans les sédiments. Tant que la nature renouvelait les prélèvements que nous y effectuions, il y avait équilibre. La démographie et les progrès technologiques (à ne pas confondre avec la science) ont entraîné un extractivisme forcené duquel résulte un épuisement de la nature. Les matières premières essentielles au développement d’une société agréable et confortable viendront un jour à manquer à cause d’un gigantesque gaspillage. Enfin, nous ne savons plus comment traiter nos déchets qui s’accumulent puisque la biosphère ne peut plus ni les assimiler ni les recycler. Les cycles bio-géo-chimiques dans leur ensemble risquent des perturbations préjudiciables que nous serons certainement amenés à regretter amèrement.
On ne pourra comprendre la biosphère sans y inclure les structures complexes de la société humaine. Le temps d’un cycle bio-géo-chimique peut varier selon l’élément considéré, d’une minute au million d’années. Il faut en tenir compte comme facteur limitant : les quantités sont finies et doivent être recyclées. Le flux d’énergie, que nous procure le soleil, peut être considérée comme à peu près constante et éternelle. Il nous faut donc composer avec cette quantité tout de même limitée par l’incidence de l’atmosphère et de la terre, une partie du rayonnement solaire se perd à jamais dans l’espace.
On peut comparer le fonctionnement cyclique de la société humaine (production, distribution, consommation et gestion des biens) à celui de la biosphère. L’homme y joue à la fois le rôle de producteur et de consommateur, de proie et de prédateur malheureusement. Le flux d’énergie, initiée par son emprunt à la biosphère sous forme animale et végétale, y circule sous forme de biens, de services et de travail. Couplé à ce flux et en sens inverse, le flux monétaire permet une mise en relation plus sophistiquée que ne peut être un système de troc car, en émancipant du temps et de l’espace, il permet des échanges à tous niveaux (Lire l’Anti-manuel d’économie de Bernard Maris).
Au lieu d’être basé sur le recyclage permanent des matériaux, l’équilibre de cette machinerie humaine repose actuellement sur la construction de réservoirs dans lesquels s’entassent les produits (capital, savoir) d’un pillage planétaire effectué en règle par les pays riches. l’économie, si elle était réellement au service de tous, devrait tenir compte des avancées cognitives faites dans le domaine de l’écologie depuis une vingtaine d’années, elle y gagnerait en philosophie. Une autre gestion des ressources plus solidaire et plus responsable pourrait être proposée où chacun serait comme le propriétaire de ce lieu commun qu’est la Terre.
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