BESOINS ET PREFERENCES
Un être vivant a des besoins qu’il doit impérieusement assouvir en permanence s’il veut rester en vie et pouvoir se reproduire. Il s’agit là d’obligation au sens strict. Il arrive que cet être, sans parler de besoins impératifs, ait des préférences quant aux conditions climatiques, édaphiques (sol), hydrologiques ou encore topographiques, comme nous avons pu le voir avec l’article précédent.
L’écologue dispose d’un matériel sophistiqué : il ne peut plus se passer de l’ordinateur pour mesurer l’intensité des facteurs abiotiques et l’importance de leur influence sur un individu d’une espèce donnée. L’épistémè biologique (ensemble de nos connaissances du moment) ne permet qu’une approche relative des différentes données concernant les facteurs abiotiques d’un milieu étudié. Plus notre savoir grandit, plus nos modélisations mathématiques s’éloignent de l’inexactitude. Ne nous leurrons pas, nous ne serons jamais maîtres des choses, encore moins leurs dominateurs.
Ainsi, l’hétérogénéité des écosystèmes nous force à conduire notre approche par prises d’échantillons dans le milieu*, échantillons que nous traitons statistiquement et que nous soumettons à nos modèles informatiques complexes, jamais parfaits mais constamment améliorés. Les extrapolations sont justes à quelques degrés de liberté (d.d.l) près et nous pouvons déterminer avec assurance les besoins et les préférences des espèces dans leurs paysages respectifs.
* la science ne peut prendre le complexe comme étude, en tout cas pas directement ; elle en isole, pour les étudier une à une, ses composantes dans les plus petites parties qui le constituent pour pouvoir, par assemblage de savoirs, le comprendre dans son entier ; ceci pose un délicat problème épistémologique, ce qu’a très bien remarqué Goethe - Lire “Goethe l’hérésiarque“.
L’EAU
- les espèces xérophiles sont adaptées aux milieux secs et aux longues périodes de sécheresse (lichens, cactées, larve de mite, rat-kangourou, chameau…),
- les espèces mésophiles (la plupart des espèces animales et des plantes cultivées chez nous) ont des besoins modérés en eau ou en humidité atmosphérique et supportent des alternances de saisons sèches et humides,
- les espèces amphibies vivent en permanence à proximité de l’eau (tritons, périophtalme des mangroves…),
- enfin, les espèces aquatiques qui vivent en permanence dans l’eau (en étang, lac, rivière…).
L’eau contenue dans les plantes du désert ou celles qui poussent en haute altitude s’évapore moins, leur feuillage étant peu développé (la feuille est souvent transformée en aiguille) et une cuticule épaisse, faite de cire, rendant quasiment imperméables les téguments de la tige. Les plantes succulentes (sedum, joubarbe) gorgent d’eau leurs feuilles. Tous ces végétaux de zone aride possèdent un système racinaire fort développé (jusqu’à 50 m de long au Sahara).
Les stratégies pour passer la mauvaise saison sont multiples : s’enfoncer dans un milieu humide comme le sol (crapaud fouisseur de l’Arizona), dans un terrier, une cavité, une coquille ou un cocon (crapaud hurleur du Gran Chaco) ; se contenter de l’eau contenue dans les aliments (antilope, rat-kangourou), même secs ; recycler l’eau de son
LA LUMIERE
Si les plantes sont vertes (en apparence), c’est qu’elles ne captent pas les rayonnements lumineux verts du spectre de lumière visible, elles les renvoient en quelque sorte (les végétaux réfléchissent à leur façon !). Par contre, le végétal chlorophyllien se délecte des rayonnements, dans le rouge et surtout dans le bleu du dit spectre -le bleu étant plus énergétique que le rouge.
- les espèces sciaphiles recherchent l’ombre forte et dense (mousses, nombreuses fougères, oxalis, plantes des forêts tropicales),
- les espèces intermédiaires n’ont pas d’étiquette particulière, on les dira normales (presque tous les végétaux de France et d’ailleurs),
- enfin, les espèces héliophiles ne supportent pas l’ombre et ont besoin d’une lumière intense pour croître et se développer (tomate, jeune mélèze, plantes de la garrigue).
Tout au long de l’année, l’intensité et la durée des jours varient (rythmes nyctéméraux ou jour/nuit). A la mauvaise saison, la plupart de nos végétaux s’endorment (diapause et dormance) et perdent leur feuillage qu’on dit caduc. Chez d’autres, dits à feuillage sempervirent, moins nombreux, ce dernier persiste. Mais la température joue un rôle synergique avec la lumière. Une concurrence pour cette dernière s’installe très vite entre individus peuplant l’écosystème, et si pour l’eau elle se fait à l’horizontale, la quête de lumière force les espèces à gagner de la hauteur. C’est ainsi qu’on définira la stratification verticale d’un peuplement végétal. Nous aborderons ce sujet une autre fois.
Le photopériodisme induit par les rythmes nyctéméraux est d’une grande importance écologique sous nos latitudes. Les êtres vivants (animaux et végétaux) possèdent une horloge biologique qui leur donne le sens du temps et des saisons qui passent. La nuit, le plancton marin remonte en surface et redescend la journée. Pour les plantes, le photopériodisme joue un rôle majeur ; la dormance, la germination, la croissance et surtout la floraison (donc la fructification) sont sous son contrôle chez bien des espèces. Les cycles de reproduction des animaux et leurs migrations en dépendent également. “Quand les jours allongent, oiseaux et renards sont portés aux amours. Quand ils décroissent, c’est le tour des ruminants. Le printemps est la saison des nids, la forêt automnale retentit du brame des cerfs. Quand le jour atteint sa durée minimum, le lièvre variable revêt sa livrée blanche et ses ennemis le confondent avec la neige hivernale. C’est un signal d’alarme pour de nombreux insectes qui suspendent toute activité et se figent dans l’attente du retour de la belle saison” In “Le guide illustré de l’écologie” – éditions de La Martinière.
En milieu marin, les algues sont classées en fonction de la profondeur à laquelle elles peuvent pousser. En effet, l’eau filtre les rayons du spectre de la lumière visible et, plus on va en profondeur, moins les rayonnements peuvent pénétrer (les infra-rouges, les UV puis le rouge d’abord, le orange suivi du jaune, du vert et enfin du bleu). Les algues, sous la pression naturelle de l’évolution, se partagent en différentes classes et forment une zonation de peuplements. De la surface en profondeur, nous aurons :
- les algues vertes, ou chlorophycées, qui poussent tant qu’il y a du rouge,
- les algues brunes, ou phéophycées, adaptées pour capter l’énergie du jaune et du orange,
- enfin, à plus de 25 m de profondeur, les algues rouges, ou rhodophycées, dont les pigments surnuméraires captent même l’énergie des rayons verts !
N.B. : la vie peut se passer de lumière dans certains cas bien particuliers (grottes, sources hydrothermales abyssales, hypothétiquement fissures ou failles profondes de la croûte terrestre…).
LA TEMPERATURE
Exemple d’étagement en fonction de l’altitude :
La tolérance à la température, de la plupart des espèces, se situe dans un intervalle compris entre -10 et +50° C. Néanmoins, il existe des espèces de l’extrême (déserts, zones polaires, sources hydrothermales abyssales). Par
Pour la plupart des insectes, la température est le facteur qui déclenche les grandes étapes de leur cycle de développement. La fréquence du chant des grillons et l’intensité de celui des cigales dépendent de la température de l’air.
La chaleur influe sur l’âge des animaux. Le saumon vit plus longtemps en Norvège qu’en France. On dit bien que le froid conserve l’homme (et la femme), c’est assez vrai car le froid ralentit la division cellulaire dans les tissus. Chez les animaux des pays froids, oreilles, nez, pattes et queue sont de taille réduite afin de perdre le moins de chaleur possible leur pelage s’éclaircit, ce qui rend les poils transparents aux rayons du soleil.
Passage de l’hiver chez les végétaux classés selon l’échelle de Rankier :
- les thérophytes sont les plantes annuelles. Elle ne vivent qu’une année au plus et la mauvaise saison, il ne persiste que les graines,
- les hydrophytes sont les plantes aquatiques dont seules les parties souterraines persistent,
- les géophytes ou cryptophytes, dont le bourgeon est sous-terre (plantes à bulbes, à tubercules ou à rhizomes),
- les hémicryptophytes, végétaux dont les bourgeons, protégés par la litière ou par la neige, se situent à la surface du sol (pâquerette),
- les chamaephytes, aux bourgeons situés à moins de 50 cm de la surface du sol. La plante végète de ses parties aériennes qui persistent, sans écorce (plantes buissonnantes, myrtiller),
- les phanérophytes, plantes dont les bourgeons sont à plus de 50 cm du sol ; on les divise en deux groupes : les espèces sempervirentes et les espèces caducifoliées (arbustes et arbres).
LES AUTRES FACTEURS
Le vent :
La neige :
Un sol enneigé conserve une température de 0° C en surface ; les graines et les appareils végétatifs des plantes sont protégés des gelées, de même pour de nombreux petits animaux bien à l’abri dans leur terrier. Les bourgeons peuvent bénéficier des mêmes avantages. C’est ainsi que le versant nord (ubac) de la montagne est mieux protégé que le versant sud (adret), puisque la neige y persiste plus longtemps, et étant moins soumis à l’ensoleillement. Du coup,
Mais la neige, si elle est trop lourde, peut endommager les branches des arbres. En revanche, ces derniers fixent le manteau neigeux, limitant ainsi le risque d’avalanches en montagne.
Les biologistes classent les associations végétales de l’étage alpin en fonction de la durée d’enneigement que peuvent supporter les plantes de cet habitat. Cette durée dépend des précipitations neigeuses, du terrain, de l’exposition, de la température :
- L’association de mode nival supporte 8 à 9 mois d’enneigement par an (saule herbacé + sibbaldie rampante + alchémille à cinq feuilles + gnaphale couchée),
- l’association de mode intermédiaire supporte 5,5 à 6 mois d’enneigement par an (grande fétuque + centaurée uniflore + trèfle des montagne + arnica des montagnes + anémone à fleurs de narcisse + asphodèle blanc),
- l’association de mode thermique bas supporte 4 à 6 mois d’enneigement par an (élyne en épi + laiche courbée + edelweiss + raiponce du Piémont + antennaire des Carpates) ; En mode thermique élévé, l’association supporte 3,5 à 5,5 mois d’enneigement par an (seslérie bleuâtre + avoine des montagnes + hélianthème alpestre + pédiculaire de Jacquin).
Le sol :
Les propriétés du sol (acidité ou pH, teneur en calcium ou calcaire, salinité, teneur hydrique, atmosphère interne, présence de métaux lourds…) influencent directement la croissance et le développement des végétaux. Leur répartition dans l’écosystème en dépend également :
critère de sélection des espèces végétales, le pH (potentiel Hydrogène) d’un sol peut avoir une valeur allant de 3 (tourbières acides) à 9,5 (prés salés ou shorres). En agronomie, le pH neutre d’un sol vaut environ 6,5.
La droséra (plante carnivore de nos tourbières) et la sphaigne des tourbières se complaisent dans un substratum de pH très acide (pH 3,5-3 ; on les dit acidiphiles. La fougère aigle (très commune dans nos bois et nos forêts) préfère un sol podzolisé (à humus de type mör dont le pH est compris entre 4 et 4,5). Le genêt à balai (autre plante courante des landes) est aussi une plante acidiphile et son sol préféré à un pH de 5,5-6.
Les plantes neutrophiles, qui sont les plus nombreuses, poussent sur des sols à pH compris entre 6,5 et 7,5 (humus de type mull).
Enfin, les végétaux basiphiles (ou acidifuges) affectionnent les sols alcalins (inverse d’acide) et cette alcalinité est le plus souvent due à une forte teneur du sol en ions calcium : bleuet, thym, noyer sont moyennement basiphiles (pH de 7,5 à 9). Carex firma l’est davantage (pH > 9) et la salicorne ne pousse qu’aux abords des vasières et sur les shorres ou prés salés, le pH y est maximal.
Les végétaux se répartissent en fonction de leur préférence vis à vis de l’ion calcium. S’ils affectionnent un sol calcaire, ils sont dits calcicoles alors que ceux qui ne supportent pas ce minéral seront dits calcifuges (ou silicoles). Plus un sol contient de calcaire, plus il sera alcalin. A l’inverse, s’il est dépourvu de calcaire, il sera plutôt acide.
Respectivement et par ordre de tolérance et/ou de besoins croissants des végétaux vis, à vis du calcaire, nous aurons : la primevère auricule, le saxifrage aizoon, le prunus mahaleb et le buis pour les calcicoles, le pin sylvestre et la renouées des oiseaux sont dits indifférents car ils supportent des teneurs moyennes en ion calcium ; pour finir, la digitale pourpre, la petite oseille, le genêt à balai et la myrtille sont calcifuges.
Une trop grande teneur en sels du sol empêche déjà de croître la majeure partie des végétaux terrestres. On rencontrera, sur un sol moyennement salé, le genevrier de Phénicie et la salsepareille (donc des schtroumphs bleus à bonnets blancs. n.d.l.r ). Si la teneur en sel est importante (shorres), croîtront l’obione et la saladelle. Plus salé encore et rares sont les plantes comme la grande salicorne à s’y être adaptée.
Le génie génétique oeuvre (quand on laisse faire l’INRA qu’il ne faut pas confondre avec la firme Monsanto !) pour fabriquer des plantes génétiquement modifiées pouvant pousser sur ce genre de sols, très nombreux à la surface du globe. De quoi nourrir les milliards d’humains programmés de l’an 2050. A ce propos, les OGM existent depuis les années 70 et ont permis de sauver de nombreuses vies à moindres frais et sans risque de contaminations exogènes. Des bactéries modifiées fabriqueuses d’insuline ou d’hormone de croissance sans les risques du naturel… cela ne vous dit rien ?
Un sol est plus ou moins poreux et les microcavités intersticielles sont, le plus souvent, remplies d’air. Les racines ont besoin d’une atmosphère dans le sol pour assurer leur respiration cellulaire. Quand elle est présente, l’eau prend la place de l’air, rendant le sol asphyxiant. Plus un sol est compact et plus il se comportera comme du ciment (on le dit battant) ; moins les végétaux s’y plairont… Cette propriété, qui varie d’un sol à l’autre, sélectionne les espèces adaptées ou pas à des conditions plus ou moins prononcées d’asphyxie racinaire.
- Certains végétaux sont spécialisés dans l’absorption et l’accumulation de métaux lourds et toxiques. Ils sont bien connus des prospecteurs miniers car ce sont des indicateurs de minerais : la violette calamine absorbe le zinc, la passerage de Bertelon accumule le nickel et l’astragale se nourrit de sélénium.
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