Mieux vaut d’ailleurs s’habituer à transporter une valise d’euros pour aller acheter une baguette de pain ou quelques courses aussi courantes avec la catastrophe financière et monétaire qui semble se profiler sur un horizon de plus en plus sombre. Mon père en fit l’expérience pour régler des repas au resto alors qu’il terminait la guerre de 14–18 avec les troupes alliées qui occupaient l’Allemagne, le mark se dévaluant tous les jours davantage. Quatre ans dans les tranchées comme artilleur n’ayant sans doute pas semblé suffisant aux yeux l’Armée française. D’autant que sans doute doté d’un humour à toute épreuve, elle l’appela ensuite pour faire son… service militaire !
Je ne saurais dire ce qu’il en est pour vous : emprunteriez-vous le tram avec 35.000 euros contenus dans un sac en plastique et ensuite seriez–vous assez étourdis pour l’y oublier ? Si vous avez si peu de tête ou que vous n’ayez pas l’utilité de ce magot : pssitt… SVP ! n’oubliez pas la rédactrice !
C’est pourtant la mésaventure advenue à une quinquagénaire bordelaise d’après ce que je lis sur 20 minutes du 22 mai 2010 35.000 euros oubliés dans le tram : un suspect interpellé. Le récit plus détaillé qu’en fait Sud-Ouest Bordeaux : Le magot dans le tram est tout à fait croquignolet. Il paraît que même la presse africaine a relaté cette rocambolesque affaire qui les a dû fort amuser : ils sont fous ces toubabs !
Madame X. avait retiré le 17 mai 2010 cette somme de son coffre à la banque. Elle était destinée à désintéresser ses ex-associés de leurs parts sociales à la suite de la vente d’un bar-PMU en 2009. Je trouve déjà étrange que ce genre de transaction et pour un tel montant s’effectuât en liquide. Si le fisc s’en mêle, contrôle fiscal à l’appui, cela risque de faire un beau rififi supplémentaire.
Le même jour, ayant placé son trésor dans une caissette glissée dans un banal sac de supermarché, elle emprunte la ligne C du tramway reliant Bègles au quartier des Aubiers, à Bordeaux. C’est en descendant à la Porte de Bourgogne pour prendre la correspondance en direction de Cernon où l’attendent son compagnon et ses anciens associés qu’elle l’oublie le sac dans la rame. Elle en prend immédiatement conscience et s’effondre, victime d’un malaise. Les pompiers interviennent et la conduisent à l’hôpital.
Là tout se corse. C’est à se demander ce qui a pu lui passer dans le têtiau ! Force est de constater qu’elle ne manque pas d’imagination. Elle est de toute évidence plus destinée à écrire des polars qu’à tenir un rade.
Au lieu de dire la vérité – le sac étant resté deux heures dans la rame sans que personne ne s’en inquiétât ni a fortiori ne le chouravät, il était encore possible de le retrouver – elle invente une histoire à dormir debout : elle aurait été agressée par quatre ressortissants bulgares qui l’auraient menacée avant de la dépouiller. Se disant de surcroît en mesure de les identifier. Pourquoi Bulgares ? Elle les aura sans doute reconnus à l’accent.
Et qui plus est, elle téléphone à la police de son lit d’hôpital pour porter plainte… Les flics se déplacent pour enregistrer sa déposition et se livrent bien entendu à une petite enquête. Dont le visionnage des bandes vidéo enregistrées dans la rame de métro. Où ils ne peuvent que constater que madame X. n’a nullement été agressée mais qu’elle est descendue du tram en oubliant le corpus delicti.
Toutefois, la poursuite du visionnage ne leur aura pas été inutile car vers quatorze heures ils constatent le curieux manège d’un homme d’une soixantaine d’années, portant casquette et lunettes noires. Lequel n’aurait pas prêté attention au sac dans un premier temps et puis s’est soudain agité, ils le voient «regarder dans un sens, puis dans l’autre, hésiter et, finalement, s’emparer du sac avant de quitter le tramway sous les yeux d’une personne en fauteuil roulant».
Depuis, les policiers auraient interpellé et placé en garde à vue un suspect dont «le profil correspondrait en plusieurs points à celui du passager parti avec le magot». Selon ce que je lis sur 20 minutes, la perquisition diligentée à son domicile n’aurait apporté aucun élément probant. Il devrait toutefois être poursuivi pour vol. Sans aucune preuve tangible ni l’argent et avec comme seul élément une bande vidéo montrant une personne avec une casquette et les yeux cachés par des lunettes noires ? Cela me semble un peu mince.
Quant à l’oublieuse passagère du tram, elle aussi gardée à vue, et qui a essayé dans un premier temps de vendre sa salade, elle a dû reconnaître la vérité quand les policiers lui ont montré la vidéo et admettre qu’elle avait monté de toutes pièces cette fable pour ne pas encourir le courroux de son compagnon et de ses ex-associés. Elle aura eu la chance de ne faire l’objet que d’un simple “rappel à la loi” pour «dénonciation de délit imaginaire».
En tous cas, une chose est désormais certaine et les apprentis voleurs voire les malfrats confirmés sauront que les vidéos de surveillance – à défaut d’avoir une quelconque utilité pour prévenir la délinquance et les agressions – permettent à la police d’élucider plus rapidement les affaires, de rétablir la vérité et parfois confondre les suspects.
Quant à madame X. à l’imagination si prolixe, plutôt que de monter de telles charres invraisemblables, elle devrait l’exercer dans l’écriture de romans. Comme elle n’est sans doute pas prête de revoir la couleur de ses 35.000 euros – qu’elle doit toujours à ses créanciers ! – et si elle a quelque talent elle pourrait toujours espérer gagner quelques sous avec sa plume.
D’ailleurs, si elle n’avait pas été prise d’un malaise et ne manquant pas non plus d’imagination, j’aurais bien volontiers élaboré un scénar encore plus machiavélique en la supposant complice du voleur. Ce ne serait pas la première femme (ou homme) à mener double vie et faire marron son conjoint.