Yann Moix
Dans "La meute" éd. Grasset, 2010, Yann Moix n'y va pas par quatre chemins : le premier chapitre s'intitule de telle sorte par un "Je suis polanskiste" qu'aucune ambiguïté n'est désormais possible.
L'auteur décide, suite à cette affaire de pédophilie accusant le producteur et réalisateur de cinéma, Roman Polanski, de s'ériger comme son avocat. Il plaide. Pendant 258 pages. Son livre apparait au lecteur comme le dernier soubresaut de la bête avant le coup fatal. Il le perçoit comme un cri dans la meute, à peine entendu. Il voit Moix se démener avec ferveur, foi, possédant ce feu sacré de ceux qui croient encore en quelque chose. Yann Moix croit en Polanski.
(p11) "Roman Polanski n'est pas seulement un accusé : c'est un accusé accusé. Un accusé qui, en plus d'être accusé, est accusé d'être accusé. Polanski n'est pas seulement coupable d'être coupable, mais accusé d'être accusé."
Ainsi commence l'auteur. Il nous met dans le bain. Nous indique clairement de quel bord il est. Ce qu'il n'aura peut-être pas réalisé, Moix, c'est qu'en prenant dès le début une position aussi radicale, il prend le risque de pousser le lecteur à se retrancher vers l'autre extrême, celle de l'accusation. Celle d'entraîner le lecteur, qu'il voudrait clément, à rejoindre la meute qu'il décrie tout au long de son livre.
L'affaire Polanski qui remonte du passé plus de trente plus tard, serait, selon l'auteur, clairement liée au fait qu'il soit juif. "Cet homme est seul, il est juif. Je ne voudrais pas qu'on se trompe en lisant ces lignes. A ceux qui, déjà, m'en veulent de deviner ce qu'ils vont lire, je réponds : il y a une judéité en Polanski sans laquelle l'Affaire est incompréhensible, une judéité chez Polanski qu'on ne saurait passer sous silence" (p27)
Pourquoi pas ? L'idée d'utiliser ce fil pour défendre Roman -visiblement son ami - n'est pas dénuée d'intérêt. Elle permet surtout une médiatisation de l'auteur qui rapidement prendra le relais du "J'accuse" de Zola dans l'affaire Dreyfus.
Le juif a abattre, premier argument donc.
Dans les pages suivantes, Moix utilisera une autre corde de son arc : celle de décrire Polanski comme étant un pédophile qui, comme Jésus-Christ, est "mi-homme mi-coupable". Toujours sur le même ton christique il dit :
"Polanski est le prototype idéal : un modèle de décadence. On a reproché à Polanski de s'être trop donné en spectacle : voici à présent qu'on donne Polanski en spectacle sans qu'il l'ait demandé. On le livre au spectacle comme on le livre aux chiens. A la foule, qui est une chienne."(p50)
Plus loin : "Il faut montrer au peuple la gueule du pédophile mondain, sulfureux, hollywoodien, du salaud lâche enfui qui n'a jamais voulu payer sa dette, rembourser son crime."(p51)
La machine moixienne est lancée : l'accusé est victimisé - tout comme Jésus qui était juif et mi-homme mi-dieu -, la population, la meute lâchée, la vindicte populaire devient le bourreau.
Mais, c'est surtout après le monde du Net qu' il en a. Le Web, qui depuis quelques mois se serait abattu sur l'accusé telle une nuée de sauterelles, dévorant tout sur son passage, dévorant Polanski sans états d'âmes, hurlant à sa condamnation.
"Tous les internautes, obscurs jusqu'au bout des ongles, s'excitent, crachent, ils sont sismiques dans les coups. Ils sont nombreux et davantage encore. Ils cherchent une façon d'exister dans le monde. Internet permet à la planète de mener un perpétuel procès de l'accusé qui, du coup, devient un accusé perpétuel.(...) Lisons, lisez les blogs sur le Web : infernale compétition d'implacabilités ingénieuses, redoutables, sadiques, remplies d'imagination." (p53, 54)
Il ne s'en remet pas, Yann Moix. Des pages entières pour dénoncer les bloggueurs du Net, pour accuser les internautes d'avoir mené une gigantesque campagne de haine, que dis-j e, de destruction à l'encontre de Polanski.
Apparemment, pour l'auteur, il n'y aurait plus de justice en ce bas monde. Enfin si, il y en a une, mais elle est un peu "trop" juste, à son goût. Il trouve qu'elle devrait être plus clémente, plus humaine, moins sévère quoi. C'est vrai après tout, cela fait plus de trente ans que cette affaire a eu lieu, il y a prescription maintenant, non ? Et puis, la justice américaine, elle est aussi un peu trop figée selon lui. C'est surtout que cette justice là s'appliquerait différemment selon les cas. Polanski est un cas à part, donc celle-ci "s'applique différemment à un seul."
Il va plus loin. Dans l'esprit de Moix, sachant que Polanski est un homme connu et non plus un simple citoyen lambda, la justice appliquerait d'autant plus sévèrement la loi que s'il avait été question d'un simple citoyen.
"La justice ne souffre pas les exceptions, et c'est pour ça qu'elle en fait une. Parce que Roman Polanski doit être soumis de manière lambda aux lois en vigueur, on en vient à cette aberration que ce n'est pas lui le hors-la-loi mais la loi elle-même. La loi, en étant à ce point dans-la-loi, se fait hors-la-loi. Jamais loi n'a été autant dans la loi, dedans elle, au pied de se propre lettre, aussi loin de son esprit. Jamais justice n'a été aussi injuste : jamais justice ne s'est autant appliquée, au sens élève appliqué du terme." (p58)
Yann Moix ne laisse rien au hasard, utilise tous les arguments qui sont en son pouvoir, et il a raison, car certains angles de sa plaidoirie, s'il ne lui donnent raison, auront le mérite de faire sérieusement réfléchir le lecteur. L'auteur explique que Samantha Geimer (celle qui s'est fait violée et qui avait porté plainte, pour la retirer ensuite) aurait une mère tout aussi coupable que le pédophile présumé. En effet, ce serait la mère de Samantha qui aurait poussé sa fille à se rendre à cette "petite sauterie" qui avait eu lieu chez Polanski (enfin, plutôt dans la demeure que Jack Nicholson avait prêté pour l'occasion). Cette mère est une amie de Jack, fréquente la jet-set hollywoodienne, et connait donc parfaitement les us et coutumes de ce genre de fêtes. C'est à dire que l'alcool y coule à flot, la drogue y circule librement et les moeurs seraient, on va dire, assez orgiaque. Sa mère donc, accompagne sa fille jusque là.
"En faisant en sorte que Polanski baise votre fille, c'est vous qui avez voulu baiser Polansky. Vous vous êtes emparée de cette excroissance de vous-même appelée "ma fille" puis vous en avez altéré le destin parce que votre destin à vous avait été détruit au même endroit, par le même milieu" (p72)
Comme si c'était un argument, Polanski explique que Samantha (13 ans à l'époque) n'en était pas à son premier amant. Qu'elle connaissait les choses du sexe, et qu'elle n'était donc pas si "innocente" que cela. Bref, la fille serait selon les propres termes de l'auteur, "un Scud envoyé par la mère pour détruire le cinéaste".
Pour Moix, Polanski n'est pas un pédophile. Et c'est sur le terme "pédophile" uniquement que "la meute" se serait déchainée, voyant au travers de Polanski, avant tout le mot "pédophile". Surtout que, point sur lequel l'auteur insiste beaucoup, Samantha aurait retiré sa plainte suite au déchaînement médiatique qui l'aurait complètement traumatisé. Son enfer n'aurait donc pas été le viol, résume Moix, mais bien les médias. "Samantha a été plus traumatisée par la médiatisation de l'affaire que par ses causes. A tel point que l'acte reproché à Polanski (ce n'est pas moi qui le dis, c'est elle) lui semble "pâle en comparaison"!"
Peut-être faudra-t-il que Yann Moix tente l'expérience de se faire violer pour comparer cet effet avec les comptes-rendus médiatiques. Il nous racontera, qui sait, le jour où cela lui arrivera.
La pédophilie, selon les dires de l'avocat Moix, a plusieurs définitions, et son sens est aujourd'hui tronquée. Comme je le disais plus haut, Maître Moix pense que ce terme a donc été démesurément gonflé par rapport à l'acte commis. Il résume plutôt bien sa pensée ici : "Le désir ne parvient pas à refluer; il sent que la rature est illusoire. Les deux corps, l'adulte et l'adolescent, ne sont pas celui d'un corps profiteur et violeur au faîte de sa science dans la chasse aux chairs fraîches d'une victime perdue dans l'inconnu. Ils savent ce que les muscles signifient quand ils se tendent : nous voudrions ne pas exclure, contre toutes les juridictions qui auront raison quand même, un instant de faiblesse qui est aussi un instant d'amour."(p98)
Visiblement lui-même gêné d'avoir eu à prendre Marc Dutroux comme exemple pour étayer son argumentation pro-Polanskiste, Moix explique au lecteur durant des dizaines de pages, plus glauques les unes que les autres, que Roman n'est pas un Marc car celui-ci cherchait la destruction de ses victimes en les tuant, mû par une haine indescriptible. Tandis que Polanski, lui, non seulement ne tuait pas, mais n'était qu'un pédophile (ce qui en plus n'est pas vrai selon Moix) Bref, était-il bien nécessaire que l'auteur nous rappelle des faits immondes, pour en venir à défendre son ami ? Je trouve cette méthode pour le moins douteuse, car effectivement, Polansky n'a pas, à ce que je sache, enterré ses victimes, violé, torturé, ou emmurés vivantes ces petites filles.
"Polanski aime les jeunes filles; Dutroux les hait. Pour Polanski elles sont l'objet d'une attirance (d'une exhaltation), pour Dutroux, elles sont l'objet d'une phobie (d'une malédiction)."(p112)
Je crois que nul ne contestera le génie de Roman Polanski en tant que réalisteur de cinéma. Or, ce serait aussi à cause de cela que ce dernier se retrouverait avec la justice à ses trousses : son génie dérange, et parce qu'il est au-dessus du lot, parce qu'il réussit, parce qu'il est une sorte de surhomme, l'homme est à abattre. Un peu court, Moix. Parce que la société ne comprend pas les génies, parce que les génies lui échappent, parce qu'elle ne peut avoir une mainmise sur eux, alors il faut qu'elle les détruise.
Yann Moix aura plaidé. Il a écrit cet ouvrage avec son sang. Il s'est battu. Aux côtés de Polanski. Cette attitude induit l'envie de respecter Moix pour son courage. Cependant, il reste pourtant une donnée qu'il n'a pas abordée. Celle d'insister sur le fait que ce fameux soir de l'affaire Polanski, s'est déroulé aux Etats-Unis, et non pas en France. Oui, oui, il l'a dit. Mais a-t-il vraiment compris ce que cela signifiait les Etats-Unis ? Là-bas, on ne rigole pas avec la loi, et la peine de mort est encore d'application. Là-bas, on ne rigole pas non plus avec la morale. Et aux Etats-Unis, tout le monde le sait, la loi est très stricte concernant les faits de moeurs et de pédophilie. Or, qu'un homme ait eu une relation sexuelle avec une mineure de treize ans, est un acte pédophile, selon la loi. En France, on ferme les yeux, on sait, mais on ne dit pas, il y a la loi, mais on fait semblant, il y a justement toutes ces circonstances humaines et atténuantes dont Moix nous faisait part au début de son ouvrage. Mais aux Etats-Unis, non. Ils sont comme ça les américains. Ce ne sont pas des rigolos. Et le tort de Roman Polanski, est non seulement d'avoir violé la loi en toute connaissance de cause, mais surtout, vu les circonstances atténuantes de Moix, de ne pas avoir intégré qu'il était aux Etats-Unis au moment des faits.
Panthère.