La bande à crampon

Publié le 22 mai 2010 par Doespirito @Doespirito
«Ha ! Ha ! Hu ! Hu ! Ho ! On a super bien mangé. Trop bon, ton carré d'agneau, Ted. Et le Pessac, le p’tit Jésus en culotte de velours. Allez, vas-y, raconte-nous encore une histoire drôle, une dernière, t’es trop drôle comme mec. Moi ch’sais pas les raconter.»
Houlà… Moi, la viande saoule, j’ai aucune envie de m’en trimballer ce soir. Ni demain. Ni jamais, d’ailleurs. Les hommes avinés qui ramènent leurs idées fixes pendant des heures en refoulant du goulot pire qu’une plaque d’égout, les femmes imbibées qui se marrent d’un rien, vous montrent leurs seins et veulent vous rouler des pelles dès que leur ivrogne de mari est tourné, tout ça ne me dit vraiment rien. J’ai juste envie de ranger le lave-vaisselle et d’aller me coucher.
Mais Dupont et Pondu s’incrustent lourdement, façon haltérophiles de l’insiste. C’est la bande à crampon, le duo sticker, le père et la mère Glu. Je ne vais pas m’en débarrasser comme ça. Ils vont restés scotchés. Je vais les retrouver demain, affalés sur le clic-clac, baignant dans une odeur de clopes, de chaussettes hors d’âge, de culotte sale et de vomi. Elle roupille à moitié en laissant tomber sa tête vers moi, sur le canapé. Et lui qui continue à me seriner sa chanson en boucle.
- «Vas-y, Ted, raconte à Momone l’histoire du pilote de ligne.»
- «Non ben tu sais, elle est pas vraiment drôle et puis là je suis un peu fatigué.»
- «Mais vas-y, rooooooh, fais pas ton timide !»
- «Bon, mais après, vous vous barrez, parce que moi, je bosse demain…»
- «Promis, juré, raaac, ptou, craché…»
- «Merde, le parquet ! T’es chiant, Carlos ! Si je perds la caution à cause de toi, je t’arrache les yeux.»
- «Ben allez raconte, et après on rentre, ‘ce pas, Momone ?»

Momone est parti pour sa nuit. Elle me ronfle même dans le cou, en s’accrochant comme un bébé à ma chemise pour ne pas s’affaler complètement. Il faut absolument que je me débarrasse de ce couple infernal.
- «Ok, alors c’est un commandant de bord qui fait une annonce au micro : «Mesdames, messieurs, bienvenue à bord de ce vol Air France à destination de Los Angeles. Nous atteindrons notre destination dans 9 heures. » Et puis il raccroche son micro et balance, sans savoir que le micro est toujours ouvert : «Bon maintenant je prends un petit café et je me tape l’hôtesse de la classe Business.» L’hôtesse en question entend ça. Outrée, elle se rue vers le cockpit pour engueuler le commandant. Mais un passager l’arrête et lui dit : «Attendez, il n’a pas encore eu le temps de prendre son café…»
 
- «Bon voilà, maintenant, on a bien ri, ha ha… Maintenant, les amis, désolé, mais cassos, vous prenez vos clic-clac... Enfin, je me comprends... Vous faites un tour de magie, vous disparaissez. Moi, je vais me coucher.»
- «Excellent, hein Momone. Ch’te l’ai dit, Ted c’est un marrant. Ah moi les quiproquos, ça me fait pisser de rire. Tiens, sers-m’en un dernier, ça m’fera une occasion d’y aller.»
- «Chez toi ? Cool…»
- «Non, pisser de rire. Suis ç'qu'on t'dit, t’es bourré ou quoi ? Ah ma biche, ça me rappelle une fois, avant que je te connaisse, je ramène
en voiture une meuf avec qui je sortais. On monte dans la caisse et là, tu sais ce qu’elle me dit, ark ark, trop drôle, j’en ris encore. Elle me demande «Tu t’attaches ?» Elle parlait de mettre la ceinture de sécurité. Et moi, j’ai cru qu’elle me demandait si des fois, je tombais amoureux quand j’étais avec une nana. Ark ark ark...»
C’est la phrase de trop, Pépère... La poivrôte sort soudain de sa torpeur, pire que si on lui avait branché une clé USB dans le cul.
- «Carlos, tu te fous de ma gueule ?»
- «Ben quoi, ma biche, qui c’est-y qu’y a ?»

- «Quand je t’ai connu, tu avais une R5 pourrie et il n’y avait pas de ceinture de sécurité dedans. Après, on a acheté tous les deux la Megane qui en avait. C’est donc à ce moment-là que tu te l'es tapée, cette meuf. Saligaud ! Menteur ! Minable!
- «Euh moins fort, mes voisins dorment...»
- «Mais Momone, ch'te jure que non, c'est pas à ce moment-là. Promis, juré, craché, raaaac…»
- «Non, déconne pas Carlos, mon parquet !!!!!»
- «Appelle un taxi et rentre !»
- «Mais Momone…»

- «Fous-moi l’camp !»

Le débris alcoolisé sort lentement sa carcasse de mon appart. La porte blindée claque au bout du couloir. J'ai une éponge dans une main et deux bouteilles vides dans l'autre. Momone quitte ses escarpins et s’assied à genoux sur le clic-clac.
«C’était quoi ton histoire de pilote de ligne ? Raconte-moi là encore. Mais d’abord, fais-moi un café…»