Les résultats des élections régionales de mars dernier ont démontré que les personnes âgées constituaient la composante principale de l’électorat UMP. Décrypter telle initiative du gouvernement comme un message envoyé à l’électorat FN (débat sur l’identité nationale) ou telle annonce comme un geste en direction de sa clientèle électorale de privilégiés (bouclier fiscal) ne doit pas occulter cette réalité : le cœur de l’électorat de la majorité présidentielle est composé par les seniors. Ce phénomène a d’ailleurs eu tendance à s’accentuer depuis 2007. Comme on peut le voir sur le tableau suivant, le score de l’UMP aux régionales croît linéairement avec la proportion des plus de 60 ans dans la population (analyse effectuée au niveau cantonal), ce qui n’était pas le cas lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007. L’UMP a ainsi obtenu en moyenne 28,1 % dans les cantons les plus âgés de France contre seulement 22,2 % dans les cantons les plus jeunes. Et plus la population d’un canton est âgée et mieux l’UMP a maintenu ses positions par rapport à la présidentielle. A l’inverse, c’est dans les cantons les plus jeunes (où l’on compte donc le plus d’actifs) que le recul a été le plus spectaculaire : – 7,5 points en moyenne par rapport au score de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est également dans ces cantons peuplés de jeunes et d’actifs que le FN a le plus repris du terrain alors que son début de reconquête n’a pas fonctionné dans les cantons les plus âgés. La gauche, quant à elle, a progressé partout mais surtout dans les cantons les moins âgés.
Evolution au niveau cantonal des scores de l’UMP et du FN au premier tour des régionales par rapport au premier tour de l’élection présidentielle en fonction de la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans
Part des plus de 60 ans dans la population cantonale
Sarkozy/UMP
Le Pen/ FN
2007
2010
Evolution
2007
2010
Evolution
Supérieure à 34 %
30,5 %
28,1 %
- 2,4
10,3 %
9,7 %
-0,6
Entre 30 et 34 %
30,1 %
27,9 %
-2,2
10,5 %
10 %
-0,5
Entre 26 et 30 %
31,1 %
27,5 %
-3,6
11,6 %
11,8 %
+0,2
Entre 22 et 26 %
30,5 %
26,1 %
-4,4
11,5 %
12,7 %
+1,2
Entre 18 et 22 %
31,6 %
26,3 %
-5,3
10,8 %
12 %
+1,2
Entre 14 et 18 %
31,1 %
25,2 %
-5,9
9,7 %
11,5 %
+1,8
Moins de 14 %
29,7 %
22,2 %
-7,5
9 %
11,3 %
+2,3
Garder le soutien de cet électorat revêt donc un enjeu décisif pour la majorité, d’autant plus que la baisse de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy constatée ces derniers mois dans l’ensemble de la population s’est également produite au sein de ce « noyau dur » que constituent les seniors, comme on peut le voir dans les courbes ci-dessous.
Il convient dès lors de s’interroger sur les raisons de cette insatisfaction dans cet électorat. Pour ce faire, nous avons analysé les réponses aux questions ouvertes de notre baromètre Ifop / JDD de mars et d’avril dernier.
Analyse des verbatims issus du Baromètre Ifop / JDD sur la cote de popularité de l’exécutif.
Motifs d’insatisfaction à l’égard de Nicolas Sarkozy parmi les « retraités » (vagues mars et avril 2010)
Ordre de récurrence en mars :
1- Le faible niveau de retraite et plus globalement la baisse continue du pouvoir d’achat (loyers, produits toujours plus chers, …)
2- L’absence de lisibilité, de fil conducteur dans les réformes menées (exemple des tergiversations sur la taxe carbone)
3- La mise en œuvre d’une politique catégorielle (bouclier fiscal) dénoncée à gauche mais aussi à droite
4- Les promesses non tenues (il se cache derrière la crise)
5- Rien n’est fait pour sauvegarder l’emploi
6- La montée – ou le maintien – de l’insécurité (surtout à droite)
7- La politique de « casse du service public » et plus globalement de diminution de la solidarité nationale (baisse de remboursement de médicaments, du niveau des prestations sociales…) = uniquement à gauche
8- Une réforme des retraites perçue comme injuste (on va travailler plus longtemps pour toucher moins)
Ordre de récurrence en avril :
1- Le faible niveau des retraites
2- La montée du chômage avec les délocalisations d’usines
3- La mise en œuvre d’une politique catégorielle (bouclier fiscal) dénoncée à gauche mais aussi à droite
4- Le manque de cohérence et de lisibilité de l’action gouvernementales (la gestion de l’après Xynthia)
5- L’insécurité et la violence scolaire (à droite surtout)
6- La suppression des fonctionnaires (à gauche)
7- La réforme de retraites injuste
8- Les promesses non tenues
Des critiques communes à d’autres catégories de la population reviennent fréquemment dans les propos des interviewés (promesses non tenues, montée du chômage, politique « catégorielle » etc.), mais on voit également émerger des griefs spécifiques à cette tranche d’âge : de manière très significative, le faible niveau des pensions et les déremboursements de médicaments et de soins . De manière moins appuyée : la hausse de la délinquance, qui est plus ressentie dans cette partie de la population que parmi l’ensemble des Français.
Cette sensibilité plus forte des seniors à la dégradation de la situation en matière de délinquance ressort également des données des enquêtes quantitatives, comme le montre le tableau ci-dessous. Alors qu’en un an la confiance dans le gouvernement en matière de lutte contre l’insécurité reculait de 8 points dans l’ensemble de la population, ce décrochage atteignait 14 points parmi les plus de 65 ans.
Evolution de la confiance dans le gouvernement sur différents sujets entre décembre 2008 et décembre 2009. (Baromètre Ifop / Dimanche Ouest-France sur le moral des Français)
Ensemble des Français
65 ans et plus
Déc. 2008
Déc. 2009
Evolution
Déc. 2008
Déc. 2009
Evolution
Lutte contre l’insécurité
57 %
49 %
- 8
62 %
48 %
- 14
Lutte contre le chômage
33 %
28 %
- 5
46 %
34 %
- 12
Lutte contre la pauvreté
30 %
26 %
- 4
44 %
37 %
- 7
Baisse des impôts
26 %
26 %
=
31 %
37 %
+ 6
Hausse du pouvoir d’achat
24 %
21 %
- 3
34 %
31 %
- 3
Enjeu électoral crucial pour 2011 et 2012, la population des seniors est, comme l’indique Guillaume Peltier dans la dernière livraison de la Lettre de l’Opinion, « d’autant plus courtisée qu’elle a pour habitude de davantage participer aux scrutins que les autres catégories de la population. Ainsi à l’occasion des élections régionales de 2010, 70 % des 18-24 ans ont boudé les urnes contre seulement 28 % des plus de 60 ans ». A l’heure des victoires électorales fondées sur les différentiels de participation, le défi est de taille pour les états-majors politiques et notamment pour l’UMP.