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Marina Silva, en vert et contre Lula

Publié le 21 mai 2010 par Thedailyplanet

Depuis qu'elle s'est déclarée, en août dernier, candidate à la prochaine élection présidentielle brésilienne, l'ancienne ministre de l'Environnement Marina Silva a un agenda plus que chargé. Ses obligations de sénatrice la retiennent au moins trois jours par semaine à Brasília. Le reste du temps, elle sillonne le pays pour préparer le scrutin du 3 octobre, enchaînant déjeuners, dîners, réunions, conférences, tables rondes et interviews à la télévision ou à la radio. Au départ, les sondages lui accordaient 12 % des intentions de vote, ce qui la placait en troisième position [derrière Dilma Rousseff, dauphine du président Lula, et José Serra, candidat d'opposition PSDB]. Les chiffres sont aujourd'hui moins favorables mais sa candidature sous la bannière écologiste continue de rassembler toutes sortes de mouvements hétéroclites aux intérêts souvent divergents. On voit défiler dans son bureau des caciques inconnus du Partido Verde [PV], “parti vert”, dont elle est désormais membre, des nantis ayant une conscience écologique, des déçus du Parti des travailleurs [PT, le parti de Lula, qu'elle a quitté] et des radicaux anonymes du Parti socialisme et liberté [PSOL], sans compter de nombreux pasteurs évangéliques... Ce matin-là, Marina est à São Paulo. Dans le parc d'Água Branca, la voilà assaillie par une foule de gens qui veulent à tout prix l'embrasser et la photographier. “Sénatrice, nous sommes avec vous ! Changeons le ­Brésil, vous êtes la meilleure !” clame une dame portant chapeau en la prenant par le bras. La sénatrice sourit. “Vous êtes la seule à pouvoir moraliser cette société”, assène un barbu. Elle répond par un autre sourire timide. Elle finit par prendre le micro pour un court discours, insistant sur la nécessité de construire une nation “à faible empreinte carbone”. Marina est naturellement élégante. Robe longue, châle ceignant la taille (elle en possède une cinquantaine), cheveux bouclés attachés par une fine tresse. A l'annulaire gauche, elle porte une alliance en or marquée au nom de “Jésus”. Son sac noir carré contient une bible reliée en cuir noir dont les pages sont annotées au crayon. Menue, elle ne pèse que 53 kilos, en raison d'un régime imposé par sa santé fragile, réminiscence d'une enfance passée dans l'Etat d'Acre à récolter du caoutchouc. Elle est allergique à toute une série de produits alimentaires mais aussi aux parfums, à l'encre des imprimantes et aux poussières nichées dans les tapis... Le moindre contact avec ces éléments provoque immédiatement chez elle des démangeaisons, un risque d'étouffement ou des crises de tachycardie. Nous la retrouvons à une autre occasion dans son bureau de Brasília. Le téléphone sonne. Un de ses conseillers lui annonce qu'un de ses projets de loi va à nouveau être retiré de l'ordre du jour. “Ça fait maintenant huit ans que ça traîne : certains demandent à présent un complément d'information, au motif que le gouvernement n'a pas établi de rapport technique...”, fulmine-t-elle. En quatorze ans passés au Sénat, Marina a présenté près de soixante projets de loi, quatre propositions d'amendement de la Constitution et deux décrets législatifs. Et l'un de ceux qu'elle considère comme le plus important – instituant un complément de dotation budgétaire pour les Etats possédant des conservatoires naturels, des réserves ou des terres indigènes délimitées – attend depuis trois ans d'être voté par la Chambre. Elle demande à l'une de ses conseillères si elle a lu les journaux. La veille, l'ex-ministre José Dirceu a écrit dans son blog que les alliances recherchées par Marina révélaient “l'absence de programme de sa candidature”. Sans lever les yeux de la revue de presse, elle commente, ironique : “Il a déjà raconté que je voyageais pour le compte du Sénat, ce qui n'a jamais été le cas. Il voulait que je démissionne.” Marina revient de loin. Car elle a été l'une des étoiles du premier gouvernement de Lula. Au lendemain de sa prise de fonction, en janvier 2003, le nouveau président s'était rendu à New York, où il avait dévoilé les noms de ses principaux collaborateurs : Marina Silva était appelée à gérer le ministère de l'Environnement nouvellement créé. Cette information avait été immédiatement reprise par The New York Times et le Financial Times. “Son entrée au gouvernement constituait en effet une avancée, l'ouverture d'un débat éthique et d'avenir sur le développement durable”, rappelle Fábio Feldmann, ex-député du PV. “Elle représentait certainement une bonne carte de visite pour le gouvernement Lula dans ce domaine.” Tout au long du premier mandat du président, Marina Silva a semblé jouir d'une certaine autonomie. Elle a affiché des réussites inédites : l'arrestation de plus de 700 personnes pour des délits environnementaux et un chiffre record en matière de délimitation des terres préservées. Elle a également lancé le système de permis environnementaux et a réussi à ralentir la déforestation en Amazonie. Puis les choses ont commencé à se gâter. Alors qu'elle s'était engagée à mettre en œuvre un moratoire commercial sur l'importation de produits et de semences génétiquement modifiés, elle n'a pas réussi à tenir ses promesses. “Le sommet de l'exécutif a tout fait pour faire approuver l'autorisation des produits transgéniques, en écartant Marina des débats ; personne, dans les autres ministères, ne répondait à ses coups de fil”, raconte Marijana Lisboa, une environnementaliste qui travaillait à l'époque dans son cabinet. Prenant une mesure “provisoire”, le gouvernement a officiellement autorisé la première récolte de soja transgénique. Marina Silva a alors envisagé – pour la première fois – de démissionner. “Le gouvernement a ensuite approuvé la loi sur la biosécurité, qui permettait l'usage commercial des semences, et il est devenu clair que la situation allait continuer d'empirer”, poursuit Marijana Lisboa. Les choses se sont encore envenimées au cours du second mandat de Lula. Il y a eu le problème du goudronnage de la route BR163, en Amazonie, qui relie Cuiabá à Santarém en traversant l'une des régions les plus riches en ressources naturelles du pays. Marina y a mis son veto, exigeant des études d'impact environnemental. Même situation face aux projets de construction de deux centrales hydroélectriques sur le fleuve Madeira, dans l'Etat de Rondônia. Mais elle a été désavouée par Lula, qui a déploré les retards des permis environnementaux et n'a pas hésité à critiquer son ministre. Marina Silva a dû aussi faire marche arrière sur la loi de gestion des forêts publiques. Elle a perdu dans le débat sur la reprise du programme nucléaire. Et elle n'a jamais été entendue sur ­l'éthanol. Lorsque le gouvernement a envisagé la possibilité d'amnistier les principaux responsables de la déforestation de l'Amazonie, Marina Silva a une fois de plus menacé de démissionner. Elle n'est cependant passée à l'acte que le jour où elle a appris, par hasard, lors d'une cérémonie publique, que le plan ­Amazonie durable, dont elle était l'une des principales instigatrices, serait confié à un autre ministre, Mangabeira Unger. Elle est alors partie, mais sans rompre avec Lula. C'était le 13 mai 2008, après cinq ans à la tête du ministère de l'Environnement. Les journalistes qui entrent dans le bureau de Marina Silva transpirent abondamment : la sénatrice refuse que sa pièce soit climatisée. Quand on l'interroge, Marina parle sans s'arrêter, de façon presque mécanique. Elle insiste sur le fait que le réchauffement de la planète est une bombe à retardement que nous avons cinquante ans pour désamorcer, que le Brésil possède le modèle énergétique le plus propre du monde et qu'il doit par conséquent donner l'exemple, que les études montrent que les Brésiliens préfèrent payer certains produits plus cher pour préserver l'Amazonie. Quand elle s'exprime ainsi, son regard part sur le côté, comme si son interlocuteur n'était pas là. Marina se caractérise également par son refus de toute attaque directe. Dans les colonnes hebdomadaires de la Folha de São Paulo, elle recourt à des ­messages chiffrés ou à des paraboles pour critiquer le gouvernement. Il en va de même dans les conversations plus personnelles. A la question simple : “Si vous perdez l'élection, vous consacrerez-vous à une mission, comme l'ex-vice-président ­américain Al Gore ?” elle se perd en digressions ­pendant cinq minutes et finit par répondre par la négative. Impossible de dire si elle tergiverse de façon consciente, si elle est tout simplement prolixe ou si elle a du mal à synthétiser sa pensée. Le fait est qu'elle ne dirait jamais simplement : “Lula veut être le père des pauvres.” Mais elle affirmait récemment dans une réunion : “Notre société est patriarcale. Les gens veulent un leader qui joue un rôle de père. En démocratie, on ne parle pas de destin. On peut offrir la possibilité d'un monde meilleur. Pas un sauveur pour la patrie”. A propos de son programme, elle propose qu'une commission d'intellectuels et de politiques débatte de ses propositions. “Nous avons le temps. Je l'ai dit, j'avance lentement.” S'il lui faut néanmoins citer un exemple, elle affirme qu'une fois élue, elle favorisera les producteurs qui prennent en compte le développement durable. “S'il faut modifier la loi sur les appels d'offres pour exonérer les exportations et attirer le développement technologique, nous n'hésiterons pas”, ajoute-t-elle. “Nous devrons favoriser ceux qui agissent de façon éthique, qui certifient leur éthanol, leur bois, qui respectent les réserves légales. Quand ils voient les autorités exonérer les coupables, ils se sentent bafoués.” Pendant ses heures de loisir, Marina aime coudre, fabriquer des bijoux ethniques (qu'elle porte elle-même) et écrire des poèmes inspirés du quotidien ou d'événements marquants de sa vie personnelle. Deux d'entre eux ont déjà été mis en musique par des compositeurs. “Nous devrons favoriser ceux qui agissent de façon éthique” En fin d'après-midi, l'entrée de son bureau grouille de monde. Un monsieur bronzé sort de la pièce de Marina Silva et s'adresse avec un fort accent carioca à une femme pasteur bien coiffée et maquillée, en tailleur crème et collier de perles : “Chère Madame, je ne vous oublie pas dans mes prières !” Cinq autres pasteurs évangéliques attendent d'être reçus à leur tour. La sénatrice, bien que fatiguée, doit encore rencontrer une journaliste du journal argentin Clarín. Elle prend une demi-heure pour répondre à ses questions. Quand elle parvient enfin à quitter son bureau, il est 21 heures. Nous sommes maintenant dans le bureau de la sénatrice à Rio Branco, dans l'Etat d'Acre. Très simple, la petite maison n'a pas l'air conditionné. La température ambiante atteint 39 °C. Nous rencontrons Pedro Augustinho da Silva, le père de Marina. Il est vêtu d'une chemise verte, d'une paire de jeans et de tongs. Il a 82 ans mais en paraît 60. Originaire du Ceará, il est arrivé dans l'Etat d'Acre à 19 ans pour tenter sa chance dans les plantations d'hévéas. Rejoignant un membre de sa famille établi au seringal Bagaço, à 70 kilomètres de Rio Branco, il s'est mis à travailler seize heures par jour. Il récoltait quotidiennement trois boîtes de latex, reversait la moitié de son salaire au propriétaire de la plantation et 20 % au gérant. Au bout de huit ans, il est allé chercher sa mère et sa fiancée, Maria Augusta. Ils se sont alors mariés et ont eu onze enfants, dont huit ont survécu, sept filles et un garçon. Marina – dont le nom de baptême est en fait Asmarina – était très souvent malade. A l'âge de 6 ans, elle a été contaminée par du mercure, ce qui est à l'origine de tous ses problèmes de santé. Elle a aussi été frappée à cinq reprises par le paludisme, a eu la leishmaniose et trois hépatites. “Elle ne pouvait plus se rendre dans la forêt, se souvient son père. Elle avançait doucement, en traînant des pieds. Un jour, nous étions en train de construire une porcherie, Marina nous a déclaré qu'elle voulait partir étudier à Rio Branco.” Une vocation à laquelle Marina a rapidement renoncé. Elle est alors allée travailler comme domestique dans une famille. “Je les aimais beaucoup, ils m'ont toujours très bien traitée”, raconte-t-elle. Elle évoque divers épisodes de sa vie de domestique, et rit encore de certaines situations. Mais sa santé était toujours fragile. Avec l'aide de l'évêque de Rio Branco à l'époque, Dom Moacyr Grechi, elle a pu se faire soigner à São Paulo. Les déplacements ont été pris en charge par ses parents, qui ont vendu pour cela leur jument. Sur le chemin du retour, elle a rencontré Raimundo Souza, un électricien, qu'elle a épousé. Ils se sont installés dans un baraquement en périphérie. Après avoir achevé ses études secondaires, elle a réussi à entrer à l'université fédérale d'Acre pour étudier l'histoire. Puis elle s'est inscrite en troisième cycle en psychopédagogie, à Brasília cette fois. A la faculté, Marina a fait ­partie d'une troupe de théâtre, Semente, qui réunissait des étudiants ­trotskis­tes. Elle s'est frottée à la politique, adhérant au Parti révolutionnaire communiste, une organisation clandestine au sein de laquelle militaient José Genoino et Tarso Genro [devenus par la suite dirigeants du Parti des travailleurs aux côtés de Lula]. C'est au cours d'un entretien à l'université que Marina a fait la connaissance de Chico Mendes. “Leur entente a été parfaite, se souvient Binho Marques. Elle avait un charisme incroyable, elle était un personnage exotique, aux cheveux longs, qui n'avait l'air d'avoir peur de rien.” Le groupe a alors décidé qu'il fallait adhérer au Parti des travailleurs pour aider Chico Mendes à être élu député d'Etat. C'est à cette époque que Marina, qui avait déjà eu deux enfants (Shalon et Danilo), a divorcé. Elle s'est par la suite remariée avec un étudiant, et a eu de lui deux filles, Moara et Mayara. Son mari, Lima, a quitté Santos, où il étudiait dans un établissement agricole, pour vivre à Acre au sein d'une communauté alternative. Membre du PT, il occupe actuellement des fonctions dans le gouvernement de l'Etat d'Acre. Mais il préfère rester dans l'ombre de Marina. Sa carrière politique à elle a commencé en 1988. Après un premier échec, elle s'est fait élire conseillère municipale de Rio Branco sous les couleurs du PT. Elle a ensuite été députée fédérale à partir de 1990, avant d'arriver au Sénat en 1994. Peu après, elle est victime d'un malaise. Hospitalisée d'urgence, elle est considérée comme condamnée. On lui explique que c'est une séquelle de sa contamination par le mercure. Elle vit ensuite un an et huit mois dans la maison de sa belle-mère, à Santos, où on la nourrit à la cuillère. “Je ne dormais que sur les genoux de mon mari, pour qu'il entende mon cœur battre, j'avais tellement peur de ­mourir”, raconte-t-elle. En décembre 2004, Marina rejoint l'Eglise évangélique, ce qui ne manque pas de surprendre ses amis, même les plus proches. Selon sa sœur Lucia, qui fait partie de la même Eglise, “Marina a guéri grâce à Dieu. Les frères de l'assemblée ont beaucoup prié pour elle.” Pour sa sœur, Marina était la plus curieuse de la famille. A 16 ans, elle est arrivée au couvent des Servas de Maria, où elle a enfin pu apprendre à lire. Sa grand-mère, qui lui racontait les histoires de la Bible, avait suscité chez elle une vocation.

Daniela Pinheiro, Piaui


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