Je suis aussi effarée que catastrophée devant l’avalanche de mesures anti-sociales qui nous tombent sur le coin de la gueule. Autant d’armes de destruction sociale massive. La dernière pierre ou peu s’en faut du chantier de démolition sociale. Il ne resterait plus qu’à poser sur la cheminée le drapeau, tradition ancienne que je vis souventes fois dans mon enfance et qui semble avoir aujourd’hui totalement disparu. Cela vaut sans doute mieux : pour autant que je m’en souvienne, il devait être rouge ! Comme notre colère. Combien de temps supporterons-nous d’être les dindons de cette mauvaise farce ?
J’avais gardé en réserve une interview donnée par Dominique Strauss-Khan au Figaro le 24 novembre 2009 «Il faut revoir notre modèle de croissance», sachant pertinemment qu’il serait tôt ou tard pris dans ses propres contradictions sinon mensonges. D’autant que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz affirmait en août 2009 que la prétendue reprise n’était qu’illusion (article d’E24) et que dans le même temps l’économiste Nouriel Roubini, l’un des rares - avec Paul Jorion - à avoir prévenu dès la fin 2006 des risques de grave récession aux Etats-Unis, craignait un “Grand risque” de rechute de l’économie mondiale.
Or donc, Dominique Strauss-Kahn s’inquiétait du fait que les banques tinssent encore dans leur bilan des actifs «toxiques» cachés – peut-être 50 % ! – et que la reprise restât fragile. Mais je vous donne le clou de cette entrevue qui m’avait bien fait tilter à l’époque. S’agissant de la question des bonus qu’il jugeait à la fois d’autant plus scandaleux sur le plan éthique que les banques avaient bénéficié de l’aide publique et dangereux sur le plan économique du fait du lien entre les rémunérations démesurées et des prises de risques excessives, il ajoutait que sur le plan politique la question des bonus est essentielle «car une nouvelle crise financière peut toujours survenir et la réaction risque de ne plus être la même : on ne verra pas deux fois des centaines de milliards de dollars d’argent public ainsi déversés sur le secteur financier !». Non par manque de moyens mais «Parce que les opinions publiques et les Parlements n’accepteront pas de payer deux fois une telle facture».
Or, n’est-ce pas précisément ce à quoi nous assistons aujourd’hui ? Un plan de secours de 750 milliards d’euros ! (20 minutes). Paris y contribuant pour 90 milliards lis-je sur Le Figaro. Avec la bénédiction de Dominique Strauss-Kahn, qui plus est ! Qui semble donc bien se moquer désormais des opinions publiques !
Il s’en contre-fiche à peu près autant que François Fillon qui “se contrefout” du débat sur la rigueur lis-je sur un article du Monde du 11 mai 2010. Du moment que Sarkozy et Fillon peuvent “punir” les Français - et notamment les plus défavorisés – à la place des spéculateurs. J’ai d’ailleurs aperçu récemment un titre du Figaro (pas eu le temps d’explorer l’article) indiquant que Nicolas Sarkozy promettrait même de mettre 110 milliards d’euros au pot ! C’est autant qu’on piquera aux “salauds de pauvres”…
Il s’agit non seulement de geler les dépenses de l’Etat pour 3 ans (Le Monde du 6 mai 2010) et en valeur : donc compte non tenu de l’inflation dont j’ai lu qu’elle était repartie à la hausse (0,3 %) mais de soumettre à un “coup de rabot budgétaire” de 10 % les dépenses dites “d’intervention” : entendre les mesures sociales destinées à limiter tant les effets de la pauvreté – minima sociaux en général : RSA, Allocation adulte handicapé (dont Nadine Morano jurait il y a encore peu qu’elle serait revalorisée jusqu’en 2012 !) – qu’à favoriser la consommation des ménages les plus fragiles et encourager l’emploi des chômeurs et exclus - “contrats aidés” notamment. Sans oublier l’APL (aide personnalisée au logement, sous condition de ressources) qui permet de soulager le budget des plus démunis.
Pour avoir une idée assez complète du sort qui nous est réservé, je ne peux que vous recommander un excellent article de Neptune paru le 13 mai 2010 sur Agoravox La “rigueur” va frapper les pauvres de plein fouet qui souligne à juste titre que les mesures envisagées par Sarko et Fillon s’attaquent aux «SEULES sources de revenus pour les gens LES PLUS PRECAIRES».
Cela n’aura échappé à personne sinon aux imbéciles qui fustigent l’assistanat, comme si les pauvres se complaisaient dans la pauvreté ! et qui n’ont très certainement jamais postulé à un emploi misérable, en concurrence avec un millier d’autres comme me le dit il y a peu de temps au téléphone une amie qui venait de participer à un “forum pour l’emploi” dans l’Hérault. Prête à accepter n’importe quoi, bien en de-ça de sa qualification pour échapper à la portion si congrue du RSA qui faisait suite au chômage et ce n’était point faute de chercher… Pourquoi ne dit-on plus aujourd’hui que les chômeurs constituent une “armée de réserve”, aubaine pour le patronat : faire baisser les prétentions salariales ?
«Après la suppression de l’aide de 150 euros pour les jeunes ménages ainsi que l’aide ponctuelle - et déjà très restrictive dans les conditions - de 500 euros pour certains chômeurs en difficulté particulière (…) en période de crise – où la responsabilité des gens n’y est pour rien ! – les plus faibles sont frappés en premier». Le monde à l’envers ! Parce que j’aimerais que l’on m’expliquât comment l’on peut espérer sortir d’une telle récession – qui frise la dépression ! – en s’attaquant aux revenus des plus pauvres, en n’ayant garde d’oublier qu’aujourd’hui les classes moyennes sont laminées et risquent tout autant de basculer dans la pauvreté et la précarité que l’économie ira vers un maouss-costaud effondrement : en effet, à quoi servira-t-il de produire quoique ce soit si presque plus personne n’a les moyens d’acheter ou de recourir à des services du secteur marchand ou même public, pour ce qu’il en reste ?
Enfin, les agriculteurs – que Nicolas Sarkozy disait vouloir soutenir – apprécieront très certainement de voir les aides qu’ils perçoivent, également rabotées des mêmes 10 %… Qu’il y ait depuis déjà pas mal de temps un agriculteur qui se suicide tous les jours, lui aussi s’en contrefout manifestement.
Ségolène Royal a eu parfaitement raison de déclarer le 12 mars 2010 sur Europe 1 qu’il fallait que Nicolas Sarkozy se ressaisisse – encore faudrait-il qu’il en soit capable ! - et “qu’il perdait le sens des choses” (…) “Aujourd’hui, il y a 12 millions de familles qui ne bouclent pas leur fins de mois, est ce que c’est vraiment le moment de leur retirer 150 euros ? On trouve des milliards pour renflouer et sauver la spéculation et en même temps, on abat des mesures de rigueur sur les familles. je crois que c’est totalement incohérent”.
Quant à DSK, je ne saurais oublier l’étrange délectation - certainement la même qu’en se bâfrant d’un saladier de mousse au chocolat – avec laquelle le sumo libidineux accueillit le plan de rigueur asséné au peuple grec, n’hésitant pas à se dire “admiratif de l’extrême rigueur choisie à Athènes”…
Nul doute qu’il applaudisse de même façon au plan «d’austérité» draconienne qui nous attend. Paul Jorion a parfaitement raison d’utiliser ce terme plutôt que celui de rigueur qui supposerait qu’une quelconque forme d’intelligence présidât à sa conception. Je ne peux que conseiller de lire son dernier article du 14 mai 2010 L’instinct de survie des peuples. Où il fait un très intéressant parallèle entre les parasites du règne animal et ceux de la finance. Assez stupides pour coloniser les organismes au point de faire succomber l’animal hôte : ils entraînent ce faisant leur propre mort.
Je rappellerais que Marx aurait dit que «le dernier capitaliste tresserait la corde qui servirait à le pendre»… Il souligne à juste titre «que les Etats et les organismes supranationaux peut-être encore davantage, au lieu de tenter d’exterminer le parasite, se tournent au contraire vers l’animal et exigent de lui un effort supplémentaire. Comme c’est de sa propre survie qu’il s’agit désormais, la réaction de celui-ci est prévisible». Et saine !
Certes, je suis la première à déplorer et condamner la mort de 3 personnes à Athènes. Les petits cons qui ont lancé un cocktail Molotov contre une banque sont eux aussi des parasites à leur manière : ils sont comme les “autonomes” des années 70 aussi peu préoccupés du sort réel du peuple qui n’est qu’un prétexte à la violence aveugle, pour hâter la survenue d’un “grand soir” dont il ne pourrait rien sortir de bon.
Il n’en est pas moins vrai que la colère est tout à fait légitime. Je ne saurais dire quelle forme elle prendra. En ce qui me concerne, c’est bien au-delà de la colère et même de la hargne. Une haine farouche aussi bien qu’inextinguible. En béton armé, en acier trempé voire en titane qui serait à ma connaissance encore plus solide. Devant le sort que nous réservent les banquiers véreux et leurs traders déjantés et tous ces politiciens non moins vérolés, j’aurais bien plutôt envie de les étrangler de mes blanches mains.
Il y a belle heurette que je sais parfaitement à quoi m’en tenir à l’égard de Dominique Strauss Khan. J’en veux pour preuve un article de Serge Halimi dans le Monde diplomatique Flamme bourgeoise, cendre prolétarienne surtitré «L’univers social et politique de M. Dominique Strauss-Kahn» qui analysait son livre «La Flamme et la cendre». Serge Halimi notant que d’une citation de Jean Jaurès «C’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre» DSK n’avait gardé que ces deux mots mais que les références à Jaurès étaient quasi inexistantes.
Que Dominique Strauss-Kahn ne soit pas vraiment de gauche est un secret de Polichinelle. Ce qui explique qu’il soit plébiscité par une partie de l’électorat de droite. Il a les mêmes relations dans le milieu des affaires que Nicolas Sarkozy. Serge Halimi n’y va pas avec le dos de la cuiller : «Depuis vingt ans, la gauche de gouver-nement a appliqué des politiques favorables aux hauts revenus, y compris ceux du capital. Peut-être était-il temps pour cette gauche, pas très à gauche, de passer enfin par pertes et profits les exploités, après avoir sacrifié leurs intérêts en accomplissant le « sale boulot de la droite».
Pour résumer le plus brièvement possible, il reproche à DSK de s’intéresser au «groupe intermédiaire» - vous pensez bien qu’il n’entend nullement parler de “classes” fussent-elles moyennes. Cela sentirait trop le marxisme. Et dont, sans vraiment le définir – mais il n’est pas sociologue – il résume la position comme celui que «les évolutions de nos sociétés malmènent le plus. Cela ne signifie pas évidemment qu’il appartienne au groupe le plus malheureux» et qui serait «Cette partie de la population, dont le sentiment profond est qu’elle mène une existence toujours plus dure et toujours plus complexe, est le socle même sur lequel repose notre démocratie».
Tiens, donc ! Parce que nous, qui appartenons précisément «au groupe le plus malheureux», la cohorte de plus en plus nombreuse qui peuple la Planète pauvre - smicards et “working poors” en général, chômeurs et rmistes, exclus, petits retraités, handicapés, etc… ne mènerions sans doute pas une «existence toujours plus rude et complexe» ? Mais suis-je bête ? Nous ne sommes que des Ilotes. Habitués à subir le joug mais incapables de comprendre pourquoi.
En un mot comme en cent, DSK se méfie des pauvres – classes dangereuses d’hier – leur préférant «les membres du groupe intermédiaire, constitué en immense partie de salariés, avisés, informés et éduqués, qui forment l’armature de notre société. Ils en assurent la stabilité, en raison même des objectifs intergénérationnels qu’ils poursuivent. Ces objectifs reposent sur la transmission à leurs enfants d’un patrimoine culturel et éducatif, d’une part, d’un patrimoine immobilier et quelquefois financier d’autre part, qui sont les signes de leur attachement à l’“économie de marché”». Tout est dit !
Serge Halimi a sans doute raison d’évoquer la méfiance d’un Tocqueville à l’égard du suffrage universel. Nous ne sommes pas loin d’un retour au suffrage censitaire – seuls les plus riches qui s’acquittaient du cens, impôt essentiellement basé sur la propriété et la fortune, pouvant être électeurs. Il me semble entendre Guizot et son célèbre «enrichissez-vous», sous entendu pour avoir le droit de vote. Aujourd’hui, le très fort taux d’abstention dans les classes populaires qui redouble le phénomène d’exclusion est une forme de suffrage censitaire virtuel.
Ne vaudrait-il pas mieux s’attacher à mieux éduquer les enfants des classes sociales défavorisées plutôt que perpétuer le système des «héritiers» dénoncé par Pierre Bourdieu qui, lui, ne craignit pas en décembre 1995 de prendre parti pour les salariés en grève ? Contre la mondialisation et l’économie de marché et leurs effets pervers. Je suis depuis toujours favorable aux mouvements d’éducation populaire comme il en existait tant dans ma jeunesse lointaine. J’en ai bénéficié et j’ai toujours considéré que ceux qui avaient la chance d’avoir pu faire des études devaient partager leur savoir.
Dominique Strauss-Kahn se méfie à l’évidence des classes défavorisées dont ils redoute les sursauts de colère. «Du groupe le plus défavorisé, on ne peut malheureusement pas toujours attendre une partici-pation sereine à une démocratie parlementaire. Non pas qu’il se désintéresse de l’Histoire, mais ses irruptions s’y manifestent parfois dans la violence».
A tant nous prôner de mettre la ceinture pour payer les excès des financiers, il risque d’être drôlement servi !