Pif et paf, nouveaux héros des débats français

Publié le 20 mai 2010 par H16

A lire l’actualité, on s’étonne de s’apercevoir que la France n’est plus ce grand pays calme et jovial où les discussions franches, viriles, mais toujours courtoises, se déroulent dans une ambiance bonne enfant autour d’un plantureux repas. Il semble en effet que l’océan de béatitude gentille, en République du Bisounoursland, se soit soudainement acidifié, ce qui risque de mettre en danger toute la vie douillette des petits mollusques qui forment le corail sociétal de cette France éternelle et resplendissante…

Ici, je passerai rapidement sur les attractions habituelles des fins de festivités organisées ; les comportements de certains citoyens, parfois déçus, parfois jeunes, parfois les deux, dans certains cas (réguliers ou non) ne constituent pas un exemple probant de ce phénomène nouveau de léger délitement de la qualité du débat en France.

Pour donner un peu de matière à mon propos, j’aimerai illustrer la réflexion (décousue, certes, mais pleine de crêpes au sucre) de quelques cas tirés de l’actualité.

On découvre ainsi qu’une violente altercation s’est déroulée entre des gentils représentants LGBT organisateurs d’un charmant petit kiss-in devant la cathédrale St-Jean de Lyon, et les gentils catholiques intégristes souhaitant conserver leur charmant lieu de culte loin des opérations marketing du groupuscule d’action comique aux sexualités alternatives.

De loin, on trouve tout de même étonnant qu’un groupe qui prône la tolérance et le respect de l’autre vienne se frotter vigoureusement le pubis et les amygdales, en toute tolérance et tout respect de la tradition chrétienne, devant un autre groupe qui prône la tolérance et le respect de l’autre, et se retrouve à vouloir, en toute tolérance et tout respect des différences sexuelles subies ou voulues, leur casser la gueule.

Notons cependant, comme l’a fort justement remarqué l’éminent Chitah, qu’on ne peut s’empêcher de trouver étrange cette obstination des groupes LGBT à aller se faire des petits bisous devant les églises, et pas devant des mosquées ou des synagogues. On peut envisager à ce sujet que la réaction des fidèles de ces derniers lieux de culte ne serait peut-être pas tout à fait différente de ceux des églises et cathédrales…

L’acidification des débats est, évidemment, encore plus visible lorsqu’on s’attarde un peu sur la tarte à la crème citoyenne du moment, à savoir le Voilintégral, la Burqua, le Niquab, bref, les différentes versions des vêtements à connotation religieuse.

Ici, c’est un véritable feu d’artifice d’aigreur et de petites invectives, voire de pugilats, qui s’ouvre à nous. On découvre, stupéfaits, que les gens se crispent à Trignac, qui – en Loire-Atlantique, du côté de Saint-Nazaire – n’est pourtant pas réputé pour être une cité totalement conquise aux mœurs sarrasines.

On en vient aux invectives, quasi aux mains, et on va terminer tout ça au tribunal avec des dépôts de plainte.

Mieux, ça se castagne carrément avec intervention policière du côté de Montreuil. Il s’y tenait un de ces fameux débats où, dans un premier temps, on propose aux gens d’échanger des point de vue, et où ensuite, on distribue des vues de poings et quelques coups de lattes.

On ne peut pas écarter la possibilité que la présence de Manuel Valls dans les intervenants n’ait un tantinet excité les gens venu débattre : il est vrai que quelques mandales bien placées à proximité d’un nez de politicien, indépendamment de toute discussion, est une joie nécessaire et compréhensible, participant à l’équilibre mental de tout citoyen se faisant régulièrement redécorer la tuyauterie basse par la clique de ces joyeux suceurs d’impôts.

Mais cependant, on ne peut s’empêcher de penser qu’un débat argumenté pour ou contre l’autorisation du port du voile intégral ou pas en République ne devrait pas, selon toute logique, aboutir à une distribution de baffes républicaines et de giroflées religieuses à cinq pétales.

Pas de doute : les gens se crispent. Et une excellente question serait de savoir dans quelle mesure le politicien a lui-même participé à cette crispation. Jugez vous-même : quel sentiment général ressentez vous lorsque vous voyez l’un d’eux se pavaner sur un écran de télévision ? Est-ce le bonheur serein et apaisé lorsque vous voyez Mélenchon s’exciter sur les Lituaniens ou les journalistes  ? Le calme vous envahit-il lorsque Cécile Duflot passe dans les ultrasons ? Est-ce un sentiment de plénitude qui vous envahit lorsque vous décodez les borborygmes de Borloo ? Ressentez-vous un grand moment de zénitude lorsqu’un Sarkozy survolté vient frétiller un discours déjà utilisé trois fois dans des circonstances diverses ? Est-ce l’écoute attentive sachant qu’une profonde réflexion va sortir de la bouche de Royal ?

En général, non. Deux gammes de sentiments surnagent.

Dans la première, on retrouve l’agacement, la colère, l’énervement, l’irritation ou une envie phénoménale de satelliser l’orateur en orbite géo-synchrone à coups de pied au derche.

La seconde concerne plutôt ce goût un peu malsain de l’entendre dire des choses qui, basées sur la jalousie, la suspicion, les sous-entendus lourds d’implications, exciteront les instincts les plus faciles à toucher ; on aime savoir qu’on peut officiellement haïr quelqu’un, qu’il soit l’orateur ou un type désigné par lui. C’est simple, c’est animal, reptilien même, et ça marche à tous les coups, d’autant plus qu’on est en période de crise et que des coupables, il en faut pour expier les fautes commises.

Dans le cas de la burqua, comme dans les cas divers et variés des discriminations, des phobies diverses, des racismes ou des variantes, cela fait maintenant des années qu’on aura largement contribué à l’établissement d’un climat propice aux déclenchements violents du Pif dans la mâchoire et du Paf dans le nez, avant le Pandanlgl qui ne saurait tarder maintenant.

Et c’est bien par le travail constant de toute une clique d’intervertébrés trop régulièrement élus aux plus hautes fonctions de l’Etat que l’ambiance générale s’est légèrement acidifiée : tous les jours, plutôt que résoudre des problèmes, ceux-ci se sont rodés et entraînés à désigner des coupables.

« Éliminez les coupables, et vous éliminerez le problème« , nous disent-ils avec insistance.

La pauvreté ? C’est la faute aux riches.

La crise ? C’est la faute aux banques, aux spéculateurs.

Le chômage ? C’est un peu la faute de ceux qui bossent et ne veulent pas partager leur travail, beaucoup la faute des patrons qui ne veulent pas embaucher, pas mal aussi la faute aux méchants pays qui font moins cher ce qu’on faisait avant chez nous, ou c’est la faute aux libéraux (n.b. : pratiques, ces derniers sont l’alpha et l’oméga de la culpabilité).

De coupables en pêcheurs, de vilains qui ne pensent pas droit aux méchants qui sont contre les gentils, on trouve ainsi toute une panoplie de foules expiatoires plus ou moins nombreuses, pour chaque problème.

Certes, une fois la cible désignée, voire détruite, le problème ne se résout pas plus. Zut.

C’est donc qu’on s’est trompé de coupable.

Voilà qui promet, encore, de beaux moments de citoyenneté festive. Surtout lorsque la chasse aux coupables sera officiellement ouverte et que leur pendaison en lieux publics sera à nouveau tolérée.

Pariez alors que les tolérants et les gentils seront les premiers à oeuvrer, et sauront débarrasser avec la nécessaire violence et la juste colère la société des vilains et des intolérants.

Comme on écrase un cancrelat.

Sprotch.