Déficits de classe
Les régions et départements refusent qu'on leur impute la responsabilité dans les incroyables déficit et dette publics du pays. Il faut avouer qu'ils n'ont pas tort. La dette publique atteignait ainsi 1 457 milliards d'euros en 2009, dont 80% de l'Etat (1 159 milliards), et 10% des collectivités locales. La même année, le déficit budgétaire se chiffrait à 144 milliards d’euros en 2009 (contre 65 milliards l’année précédente), dont 118 milliards d’euros pour l’Etat (versus 56 en 2008), 6 milliards pour les collectivités locales (contre 9 en 2008), et 24 milliards d’euros pour la Sécurité sociale. Concernant l'Etat, quelques 50 milliards d'euros sont à trouver du côté de l'accroissement des niches fiscales et autres allègements d'impôt depuis le début des années 2000. Cinquante autres milliards sont issus des intérêts de la dette publique, en explosion également.
L'ampleur des déficits et la promesse de les réduire de 8% du PIB en 2010 à 3% en 2013 laissent prévoir le plus gros plan de rigueur que la France ait connu depuis 1959. Et la crise n'explique pas tout. En février dernier, la Cour des Comptes livrait une vision à contre-courant de l'argument sarkozyste : la politique fiscale depuis 2002 est responsable de l'envolée de l’endettement public français. Le déficit structurel du pays est désormais évalué à 4% du PIB. Pour tenir la promesse faite aux autorités européennes, la France doit connaître une croissance du PIB de 2,5% par an de 2011 à 2013, niveau à partir duquel déficit et chômage commencent à reculer. Ces prévisions, retenues par le gouvernement Sarkozy, sont tout simplement farfelues ou incomplètes... A l'inverse de ses collègues européens, Nicolas Sarkozy a la trouille d'annoncer la couleur. Semaine après semaines, reculade après reculade, le plan de rigueur se dessine pourtant. A ce jour, on peut déjà lister la réduction de 10% des dépenses de fonctionnement de l'Etat( (6 à 7 milliards d'euros espérés), un toilettage des niches fiscales pour 5 milliards d'euros, une diminution des dépenses d'intervention (aides sociales notamment), et contribution exceptionnelle des hauts revenus pour les retraites.
En Espagne, le gouvernement Zapatero est confrontée à des difficultés similaires. Mais il a décidé d'augmenter prioritairement les impôts des plus riches. Ironie du sort, l'annonce a été faite mercredi, la veille de la conférence de Nicolas Sarkozy.
Jeudi, le député UMP Gilles Carrez a présenté le rapport de sa commission de travail sur les déficits. Il a proposé un gel des dotations de l'Etat français aux collectivités locales, soit 70 milliards d'euros par an. l'information est loin d'être neutre. C'est une façon d'imposer la «rigueur» sur nombre de prestations sociales transférées aux régions et départements. Gilles Carrez reconnaissait d'ailleurs le problème de certaines dépenses sociales très lourdes des départements comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH), ou le RSA : «Là, nous pensons qu'il faut poser le problème au plan national. Et on va probablement être obligé de venir en aide à une quinzaine de départements qui sont en grande difficulté.»
Rigueur de classe
Jeudi, Nicolas Sarkozy a énoncé ses pistes d’économies budgétaires. L’effort est évidemment insuffisant. Il est surtout imparfait et injuste. Le discours de Sarkozy, ce jeudi, annonçait une séries de mesures de classe. Rien sur l'impôt, très peu sur les niches fiscales, et haro sur les services publics et les aides sociales. De surcroît, la démarche est hypocrite, car insuffisante. Au total, les mesures annoncées ne représentent qu’une quinzaine de milliards d’euros d’économies :
- « La poursuite du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux ». Le gouvernement se félicite ainsi de la suppression de 100 000 emplois depuis 2007, mais on sait que la mesure n’économise que 500 millions par an (six fois moins que la baisse de la TVA dans la restauration), et qu'elle affaiblit les services publics : les effectifs de police et de gendarmerie sont revenus au niveau d'il y a 10 ans. Et on manque d'enseignants et d'encadrement adulte dans l'Education alors que les effets du (mini-baby boom des années 1998-2000 se fait sentir.
- La réduction des dépenses de fonctionnement courant de l'Etat de 10% en trois ans. Sarkozy promet une baisse de 5% « dès 2011 », grâce à des économies déjà identifiées « notamment sur les achats, les systèmes informatiques, les véhicules ou la mutualisation des concours et des formations ». Sarkozy ressort l'argument libéral d'un Etat trop gras qu'il faudrait amaigrir. Bizarrement, il n'a pas mentionné les frais de transports présidentiels et gouvernementaux. Le réaménagement de la flotte présidentielle coûte un peu moins de 300 millions d'euros à lui seul (nouvel Airbus présidentiel, travaux à Villacoublay, etc).
- la réduction des «dépenses d'intervention» de 10% sur la période également. D’un coût total de 66 milliards d'euros par an, elles désignent l’ensemble des subventions et aides sociales. Quel dispositif social sera donc annulé ? En Sarkofrance, on préfère le langage technique: «dépenses d'intervention», plutôt qu'allocations sociales.
- Le gel des dépenses des 655 opérateurs de l'Etat suivant les mêmes règles transversales que pour l'Etat ;
- La suppression des niches fiscales et « sociales » pour 5 milliards d'euros d'économies « en deux ans» : Sarkozy explicite cette fois clairement qu’ici encore, la Sécurité sociale sera affectée. C’est une surprise. Il y a quelques semaines, Christine Lagarde ne parlait que de 5 milliards d’euros à trouver dans les niches fiscales. Voici donc que le périmètre des économies s’est élargi aux niches dites sociales. Assimiler le bouclier fiscal aux tickets restaurants est une gageure qui n'effraye pas Sarkozy.
Le Monarque a ensuite repris à son compte plusieurs propositions du député UMP Gilles Carrez :
- le gel des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales (hors FCTVA). Nombre de collectivités ont décidé de porter plainte contre l'Etat, considérant que ce dernier ne compense pas financièrement l'intégralité des prestations sociales qu'il lui a transférées au fil des années.
- le renforcement de la péréquation sur les dotations de l'Etat, en modulant ces dotations « selon des critères de bonne gestion pour encourager les collectivités locales à réduire leurs dépenses dans les mêmes proportions que l'Etat. »
- un moratoire sur les normes règlementaires imposées aux collectivités locales, car elles seraient «génératrices de surcoûts» . On peut s’attendre au pire quand on veut alléger la réglementation pour faire des économies.
La Sécurité sociale ne sera pas en reste. Sarkozy a fait siennes plusieurs propositions d’un autre groupe de travail, présidé par Raoul Briet. A savoir :
- la création d’un comité d’alerte pour prévenir d’éventuels dérapages des dépenses d’assurance maladie,
- l’abaissement du seuil d’alerte de progression des dépenses par rapport à l'objectif national fixé à l'Assurance maladie de +0,75% à +0,5% d’ici 2012-2013.
- L’abaissement de l’augmentation des dépenses maladies (ONDAM) de de 3% en 2010 à 2,9% en 2011 et 2,8% en 2012. C'est une évolution contradictoire avec le vieillissement de la population.
Last but not least, Sarkozy souhaite que l’équilibre budgétaire soit inscrit dans la Constitution: « La réforme constitutionnelle prévoirait que chaque Gouvernement issu des urnes s'engage juridiquement, pour cinq ans, sur une trajectoire impérative de solde structurel, ainsi que sur la date à laquelle l'équilibre des finances des administrations publiques doit être atteint. »
Au final, Nicolas Sarkozy s’est conduit jeudi comme un cordonnier mal chaussé, donnant des leçons qu’il n’a jamais respectées. Comble de l’ironie, la grande oubliée de cette seconde conférence sur les déficits publics fut la fiscalité : excepté le toilettage modeste de quelques niches fiscales «et sociales », aucune mesure de prélèvement nouveau, au titre de la solidarité nationale, n’a été évoquée. La rigueur, comme toujours, n’est que pour les plus modestes. Sarkozy s’en est expliqué : « Nous n'engageons pas aujourd'hui un tournant de la rigueur annonciateur de hausses d'impôts massives et de baisses de salaires. Je refuse cette stratégie qui casserait la reprise de la croissance. » Ou encore « Augmenter les impôts ou accepter que les dépenses publiques représentent une part croissante de notre richesse nationale compromettrait gravement notre compétitivité. »
A moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle, Nicolas Sarkozy abat ses cartes, celles d'une politique de classe. Après avoir accusé la finance mondiale d'être responsable de la crise économique, et, par ricochet, de l'ampleur de nos déficits, voici qu'il attaque les plus modestes (les principaux bénéficiaires de ces «dépenses d'intervention»), et épargne les rentiers.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?