Les sénateurs examinent en ce moment en deuxième lecture une proposition de loi qui porte la création d’un nouveau type de sociétés à capitaux exclusivement publics : les sociétés publiques locales (SPL). Elle viendrait considérablement élargir la possibilité pour les collectivités de constituer des entreprises publiques. Celles-ci disposent déjà des sociétés d’économie mixte (SEM) dont les capitaux sont, comme leur nom l’indique, publics et privés et des plus récentes et expérimentales sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA) ; il ne faut toutefois pas trop se leurrer sur le sens et la portée de ces expériences juridiques, vouées quasiment toujours à une douce et lénifiante pérennité en notre République. Cette nouvelle proposition de loi ne nécessitant pas de décret d’application, la loi une fois adoptée entrerait très vite en vigueur.
Ce texte — fait notable par les temps qui courent — semble jusqu’à maintenant faire l’unanimité parmi les élus. Adopté en première lecture le 4 juin 2009 par le Sénat et le 23 mars 2010 par l’Assemblée nationale, il ne faut pas pour autant occulter qu’il a été initialement présenté par le groupe socialiste du Sénat.
Ce qui différencie ces
SPL des autres sociétés que peuvent créer les collectivités est d’une part leur champ d’activité, particulièrement vaste, bien plus que celui de leur matrice expérimentale, puisqu’elles seront compétentes « pour réaliser des opérations d’aménagement, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel et commercial ou tout autre activité d’intérêt général » (art. 1). D’autre part, c’est qu’elles puissent, d’après le texte en débat, échapper à tout appel d’offres et se dégager ainsi de la législation sur les marchés publics — matrice des contrats administratifs — et un certain nombre d’autres contrats.
Faut-il y voir une remise en cause du consensus juridique patiemment dégagé depuis au moins deux siècles, qui place au pinacle le principe de la liberté du commerce et de l’industrie tout en l’assortissant de quelques dérogations « en raison de circonstances particulières de temps et de lieu » ? S’agit-il seulement d’une nouvelle vicissitude de l’histoire du socialisme municipal, un comble sous un gouvernement dont il ne restera bientôt plus de la droite que les intitulés. Est-ce simplement un usage de leurs prérogatives au-delà de la mesure par les collectivités locales et le Parlement ? Il est vrai qu’elles ne vont pas en s’amenuisant et qu’il fallait un peu s’y attendre… Ce qui est certain c’est que voilà une façon de contourner la jurisprudence européenne sur les missions « in house » en créant de toute pièce des sociétés publiques anticipant la satisfaction de tous les critères. Le droit est une grande école de l’imagination.
Quelle qu’en soit la portée, la conséquence immédiate de la création de ces SPL sera l’affaiblissement du nombre très important de petites et moyennes entreprises locales dont le chiffre d’affaires est essentiellement conditionné par les appels d’offres publics qu’elles remportent. Dans un contexte de crise économique et de difficultés sociales, on aurait pu imaginer plus de modestie, plus de
prudence mais surtout plus de sagesse de la part du législateur.
Qu’une entreprise privée puisse se soucier du bien commun ou de l’intérêt général semble complètement échapper aux promoteurs de cette dernière-née parmi les sociétés publiques. Quant aux vertus de la concurrence, n’en parlons pas… On mesure la distance parcourue si l’on se souvient par exemple que sous l’Ancien Régime un concessionnaire était parfois propriétaire de l’ouvrage concédé — chose impensable aujourd’hui. Dans une France dont l’économie sera entièrement sous la férule de quelques groupes internationaux et des collectivités publiques, il n’y aura que les collectivistes pour s’étonner béatement de l’exode massif de nos plus valeureux entrepreneurs. Il est vrai que cela fera du monde…
Bruno Sentejoie
Les sénateurs examinent en ce moment en deuxième lecture une proposition de loi qui porte la création d’un nouveau type de sociétés à capitaux exclusivement publics : les sociétés publiques locales (SPL). Elle viendrait considérablement élargir la possibilité pour les collectivités de constituer des entreprises publiques. Celles-ci disposent déjà des sociétés d’économie mixte (SEM) dont les capitaux sont, comme leur nom l’indique, publics et privés et des plus récentes et expérimentales sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA) ; il ne faut toutefois pas trop se leurrer sur le sens et la portée de ces expériences juridiques, vouées quasiment toujours à une douce et lénifiante pérennité en notre République. Cette nouvelle proposition de loi ne nécessitant pas de décret d’application, la loi une fois adoptée entrerait très vite en vigueur.
Ce texte — fait notable par les temps qui courent — semble jusqu’à maintenant faire l’unanimité parmi les élus. Adopté en première lecture le 4 juin 2009 par le Sénat et le 23 mars 2010 par l’Assemblée nationale, il a été initialement présenté par le groupe socialiste du Sénat.
Ce qui différencie ces SPL des autres sociétés que peuvent créer les collectivités est d’une part leur champ d’activité, particulièrement vaste, bien plus que celui de leur matrice expérimentale, puisqu’elles seront compétentes « pour réaliser des opérations d’aménagement, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel et commercial ou tout autre activité d’intérêt général » (art. 1). D’autre part, c’est qu’elles puissent, d’après le texte en débat, échapper à tout appel d’offres et se dégager ainsi de la législation sur les marchés publics — matrice des contrats administratifs — et un certain nombre d’autres contrats.
Faut-il y voir une remise en cause du consensus juridique patiemment dégagé depuis au moins deux siècles, qui place au pinacle le principe de la liberté du commerce et de l’industrie tout en l’assortissant de quelques dérogations « en raison de circonstances particulières de temps et de lieu » ? S’agit-il seulement d’une nouvelle vicissitude de l’histoire du socialisme municipal, un comble sous un gouvernement dont il ne restera bientôt plus de la droite que les intitulés. Est-ce simplement un usage de leurs prérogatives au-delà de la mesure par les collectivités locales et le Parlement ? Il est vrai qu’elles ne vont pas en s’amenuisant et qu’il fallait un peu s’y attendre… Ce qui est certain c’est que voilà une façon de contourner la jurisprudence européenne sur les missions « in house » en créant de toute pièce des sociétés publiques anticipant la satisfaction de tous les critères. Le droit est une grande école de l’imagination.
Quelle qu’en soit la portée, la conséquence immédiate de la création de ces SPL sera l’affaiblissement du nombre très important de petites et moyennes entreprises locales dont le chiffre d’affaires est essentiellement conditionné par les appels d’offres publics qu’elles remportent. Dans un contexte de crise économique et de difficultés sociales, on aurait pu imaginer plus de modestie, plus de prudence mais surtout plus de sagesse de la part du législateur.
Qu’une entreprise privée puisse se soucier du bien commun ou de l’intérêt général semble complètement échapper aux promoteurs de cette dernière-née parmi les sociétés publiques. Quant aux vertus de la concurrence, n’en parlons pas… On mesure la distance parcourue si l’on se souvient par exemple que sous l’Ancien Régime un concessionnaire était parfois propriétaire de l’ouvrage concédé — chose impensable aujourd’hui. Dans une France dont l’économie sera entièrement sous la férule de quelques groupes internationaux et des collectivités publiques, il n’y aura que les collectivistes pour s’étonner béatement de l’exode massif de nos plus valeureux entrepreneurs. Il est vrai que cela fera du monde…
Bruno Sentejoie