Je voudrais parler ici d'une série très peu connue en France et d'un auteur largement sous-estimé en terre francophone : Willy Vandersteen. Pourquoi est-il si mal estimé ? Je ne sais. On trouvait rarement des albums de Bessy ou de Bob et Bobette en France, on n'en trouve presque plus, mais bizarrement ils étaient présents en Alsace sans doute parce qu'ils avaient aussi du succès en Allemagne.
Vandersteen est d'abord un auteur flamand. C'est très important pour le comprendre. La plupart des auteurs belges que nous connaissons en France sont ou bien des Bruxellois, ou bien des Wallons de Charleroi, Liège notamment. Rares sont les Flamands comme Bob De Moor, Jo-El Azara, Berck. Il existe une fracture linguistique au sein de la Belgique qui s'illustre dans la bande dessinée dès les années cinquante. Très peu de dessinateurs néerlandais parviendront à se faire publier en France et seulement durant les années octante, surtout à cause du regain d'intérêt pour la ligne claire : Swarte, Kuijpers, Kresse (l'un des auteurs de westerns les plus formidables que j'ai pu lire). Pourtant, il existait à cette même époque une presse néerlandaise ou flamande d'égale valeur à la presse francophone.
Que vient donc faire Vandersteen dans l'affaire ? D'abord, c'est le grand auteur flamand qui publie dans le principal journal flamand De Nieuwe Standaard. C'est le principal rival d'Hergé après la guerre. Suske en Wiske ne sont pas seulement des concurrents de Jo, Zette et Jocko, mais aussi de Tintin lui-même ! Le marché de langue néerlandaise se trouve interdit à Tintin si Vandersteen ne se tintinnise pas. La vente de Kuifje, la version de Tintin en terre de Vondel aurait été affectée. Il fallait rallier le concurrent à soi, c'est ce qui se fait dès 1948 et il donne alors dans l'hebdomadaire une histoire on ne peut plus belge : Thyl Eulenspiegel ! Cela se produit au même moment que les éditions du Lombard se développent en France, mais les petits Français ne peuvent pas lire cette histoire très belge.
Le but est clair : il faut viser un public national bien précis, sauf dans le cas de Tintin qui est international, ni belge, ni français tout en étant les deux. On assiste alors à une édulcoration de la bande dessinée de Vandersteen : exeunt la tante Sidonie trop caricaturale, ou le colosse Jérôme. Lambique maigrit, Bobette devient aussi sage que Zette et Bob aussi courageux qu'un boy-scout. La ligne graphique devient presque aussi claire que celle d'Hergé et ce sans céder à la fantaisie. Et bien entendu, ces albums ne seront pas vraiment commercialisés en France ou en Belgique francophone, puisque c'est en fait flamand avant tout et que Tintin est surtout universel ! De l'art d'étouffer son rival en l'embrassant...
Mais qu'est-ce que ce fantôme espagnol qui figure dans le récit ? C'est le fantôme d'une Belgique qui était unie et qui vivait pourtant sous un occupant étranger. Nous voyageons alors dans le temps pour revivre ce qui a existé, grâce aux images. Le fantôme espagnol, c'est un peu la marque que Hergé a voulu imposer à Vandersteen au long des huit formidables albums qu'il a publié dans Tintin et au Lombard. Une forme de révolte qui s'exprime en citant les oeuvres les plus belges. Ce fantôme, c'est celui de la Belgique unie qui disparaissait déjà. C'est aussi celui d'une bande dessinée inventive qui ne voulait pas se plier à des règles industrielles. Il y a une profonde dérision du système des studios dans ce premier album et c'est aussi une critique de la bande dessinée comme industrie qui se prend pour de l'art. Et puis une réflexion sur le sens des images.