Lors de l’examen de la loi Grenelle 2, les députés ont entériné la suppression de l’avis conforme des Architectes des bâtiments de France dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysagé (ZPPAUP). Ce conflit opposait depuis plusieurs mois les tenants de la sauvegarde des centres anciens à ceux du développement durable. La limitation du pouvoir des architectes des bâtiments de France offrira t-elle une nouvelle chance au renouvellement des formes anciennes ou sera-t-elle le crépuscule du patrimoine ?
Les centres anciens, même dans leur partie les plus modestes, avant d'être "patrimonialisés" (voir muséifiés), appartiennent au registre du « durable » puisqu'ils s'inscrivent souvent avec vigueur dans une durée multiséculaire pourtant réactualisée à chaque génération par les multiples usages qu'ils ont abrités et abriteront. L'opposition se juge plus aux faibles performances énergétiques de certaines constructions ainsi qu’à la poussée des énergies renouvelables et plus précisément des panneaux photovoltaïques en toiture. Quelle conciliation pouvons-nous attendre ?
Rappelons qu'à côté des secteurs sauvegardés (créés en 1962 à portée muséal), les ZPPAUP (crées en 1983 et actuellement au nombre de 610), sont des zones de protection où chaque collectivité élabore un règlement spécifique dont la gestion était laissée aux services instructeurs et à l’architecte des bâtiments de France, qui, usant de son avis conforme lors de la délivrance des permis de construire, avait là un puissant outil de régulation... que certains détracteurs considéraient comme abusif. La décision de suppression de cet avis provient en fait d'une revendication politique qui veut que l’autorité administrative qui a créé la ZPPAUP doit pouvoir la gérer comme elle l'entend. Au sein de ces périmètres, l’aire de protection de 500m autour d’un monument historique ne s’applique plus, et l'architecte des bâtiments de France s’y voit maintenant relégué au rang de conseil.
Le Grenelle 2 prévoit la disparition des ZPPAUP au profit des « aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine », nouvellement inscrites au code du patrimoine sans que l'on puisse sentir une réelle différenciation, avant publication des décrets d'application, hormis la suppression de l’avis conforme. Elle traduit l’opinion générale qui veut que la multiplication des règles rend tous travaux en zone protégée très difficiles. Il est vrai qu'associer réglementation thermique, règles d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite et préservation du patrimoine s’apparente à un savant jonglage qui rebute bon nombre d’investisseurs habitués à des bilans opérationnels plus profitables. Même les bailleurs sociaux ont aujourd’hui du mal à intervenir en centre-ville avec le désengagement financier de l’Etat. Comme trop souvent, on a essayé de traiter le symptôme plus que le mal en érigeant l’avis de l’ABF en verrou administratif dont le symbole brûlé sur la place publique permet désormais d’envisager un avenir "durable" aux centres anciens.
La réédition récente de l’excellent livre de Françoise CHOAY, « l’Allégorie du patrimoine », rappelle ce vieux débat entre conservation et évolution. Le dix-neuvième siècle a inventé la ville comme objet patrimonial propre alors qu'avant, seuls les monuments remarquables comptaient. Ruskin, Camilo Sitte, ou encore Viollet-le-Duc ont théorisé les méthodes de conservation et de mise en valeur de la ville ancienne tandis qu'Haussmann effectuait des percées meurtrières dans le tissu urbain parisien au nom de l'hygiénisme. Si l'enseignement des architectes des bâtiments de France repose sur des principes scrupuleux à l'égard du patrimoine tirés de la charte de Venise (1964), la dynamique inverse est aussi vraie. Au nom de la salubrité et maintenant des énergies renouvelables, le patrimoine urbain est sommé de s'adapter, par la violence s'il le faut.
Les problématiques rencontrées en centre ancien sont certes variées et contradictoires : préservation du patrimoine, amélioration des performances énergétiques, sécurité incendie... Les solutions doivent pourtant être recherchées dans la compatibilité entre les différents règlements en vigueur en excluant d'éventuelles dérogations. L'enjeu est bien là : agir en mode associatif, sans stigmatiser une contrainte pour la rendre inopérante. La richesse urbaine s'est construite sur la conciliation des contraires depuis l'établissement des premières cités antiques jusqu'à aujourd'hui. La ville est le lieu par excellence du rapport de force et la question qui se pose maintenant à nous est celle de la concertation. On ne peut être que d'accord si la suppression de l'avis conforme signifie le retour à une collégialité de discussion où tous les acteurs de la ville s'expriment pour établir un projet commun de territoire. Rien ne va plus s'il s'agit au contraire du fait du prince pour autoriser des programmes ou des travaux dénaturant le patrimoine... Afin de s'assurer d'une approche positive, il faudrait créer ces instances de discussions capables de rechercher les solutions compatibles, or nous en sommes loin.
Viollet-le-Duc, dans ses Entretiens sur l'architecture, écrivait : "faites que nous puissions oublier tout ce qui s'est fait avant nous. Alors nous aurons un art neuf, et nous aurons fait ce qui ne s'est jamais vu; car s'il est difficile à l'homme d'apprendre, il lui est bien plus difficile d'oublier". Concordance des temps, alors que le Grenelle 2 était voté, s'ouvrait au centre G. Pompidou l'exposition "Dreamlands" dont le sujet est la transformation de la ville traditionnelle en métropole d'opérette. De Dubaï à l'exposition universelle de Shangai, le carton-pâte fait des merveilles. Ces exemples excessifs montrent que d'autres choix sont possibles tandis que le modèle français de préservation du patrimoine urbain se lézarde peu à peu sous la poussée de la mise en valeur spectaculaire des reliques du passé.
Si le rempart de l'avis conforme était dérisoire face à ce choix de société, il est grand temps de clamer la valeur d'usage du patrimoine et de faire naître un débat constructif sur les vertus des aspirations des habitants dans les centres anciens tout en conservant les préceptes salvateurs de lisibilité et de réversibilité dans nos interventions. Sinon ce sera la défaite de plusieurs siècles de réflexion patrimoniale. Espérons qu’il est vraiment difficile d’oublier.