Le cumul contre la vertu ?

Publié le 20 mai 2010 par Variae

Le PS confirme, élection après élection, un don remarquable pour susciter polémiques et conflits en son sein, même quand la situation extérieure lui sourit. C’est ainsi qu’alors que l’empoignade générale des primaires n’a pas encore commencé, alors que l’heure est plutôt à l’unanimisme sur le nouveau modèle de développement proposé au vote des militants, un bras de fer s’affirme entre Martine Aubry et les sénateurs de son parti.

Le sujet ? Le non-cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale, censé s’appliquer au PS dès les prochaines sénatoriales. C’est ce qui a été voté par les militants à l’automne. C’est ce qu’entend faire respecter la première secrétaire. Sauf que la situation au palais du Luxembourg est particulière : il pourrait enfin basculer à gauche, basculement qui se jouera probablement sur quelques sièges. Or parmi les têtes de file socialistes de l’élection on trouve plusieurs élus en situation de cumul prohibé selon la nouvelle charte du PS. D’où une opposition de sénateurs socialistes, et en premier lieu du président de groupe Jean-Pierre Bel, à l’application immédiate (et pour le seul PS) de cette nouvelle limitation.

Cette opposition entre le principe et le réalisme, entre Kant et Machiavel, vient illustrer les zones d’ombre du débat socialiste sur le cumul des mandats. Si le diagnostic des sénateurs PS est valide, alors cela veut dire que Martine Aubry prend le risque de perdre une élection majeure, simplement pour défendre une position votée par les militants. On serait prêt à verser une larme devant cet héroïsme beau comme l’Antique, si on ne se souvenait pas d’autres épisodes récents de la vie du PS où le vote des adhérents a été, disons, considéré comme moins contraignant. Ou d’autres moments encore (à commencer par l’actuel processus d’élaboration du projet) où leur association aux décisions sur l’avenir du parti est restée pour le moins timide. Alors pourquoi cette fermeté absolue sur le cumul ?

Il faut se remémorer la genèse et le contexte du vote militant sur la rénovation (dont le non-cumul) du 1er octobre 2009. C’est lors de l’édition 2009 des universités d’été de La Rochelle que Martine Aubry a promis un processus de rénovation rapide du parti, s’engageant notamment sur les primaires et le cumul. Une Martine Aubry affaiblie par la défaite des européennes, durement contestée en interne pour sa gestion du parti, et que l’on disait alors au bord de la démission. A contrario, son discours de La Rochelle (et ses promesses) avait été conçu pour briser cette spirale infernale, et d’une certaine manière effacer auprès des militants le vote douteux de Reims. C’est d’ailleurs à partir de cette période et de ce lâchage de lest que la situation de la première secrétaire s’est améliorée, et que le climat du parti s’est apaisé. On comprend mieux pourquoi il est aujourd’hui impossible, pour elle, de revenir sur ce qui a permis la paix des braves avec les militants.

D’autant plus que dans ce dispositif, le cumul tient une place et un rôle particuliers. Il a permis de canaliser le ressentiment sourd qui montait chez les militants socialistes contre leurs dirigeants, tenus pour responsables des échecs électoraux et politiques du PS, en créant un point de fixation consensuel et facilement identifiable. La cible : les parlementaires, suspectés de sécher les séances de leur chambre, ou d’empocher des revenus sans vraiment travailler. On remarquera d’ailleurs que le texte voté par les militants ne s’attaque pas au cumul en général, mais seulement à celui des députés et sénateurs, en se donnant pour objectif le « mandat unique parlementaire ». Rien n’est dit des cumuls entre mandats locaux, entre mandats locaux et présidences d’organismes, sans parler non plus des situations où des responsabilités importantes au sein du PS viennent se surajouter au panier déjà bien garni de certains élus.

En résumé, le débat sur le cumul a été instrumentalisé, et introduit par le petit bout de la lorgnette, sans vraie concertation avec les militants (les discussions collectives n’arrivant qu’avec la convention sur la rénovation de juin 2010, on a fait participer les militants, à l’automne 2009, à un référendum sans débat, curieuse conception de la démocratie). Il s’est d’emblée limité au plan purement pratique des investitures aux élections, alors qu’il aurait dû commencer par une discussion principielle sur la République que nous voulons.

Pourquoi condamne-t-on le cumul ? Les réponses sont variées, les solutions consécutives aussi. Suspecte-t-on les cumulards d’être deux (ou trois) fois moins efficaces dans leur travail parlementaire ? Si on regarde une récente évaluation du travail des députés, on constate que parmi les 20 députés les plus actifs, 13 sont cumulards, et parmi eux 10 cumulards « durs » (député et maire de ville moyenne ou petite). Ne faudrait-il pas en conclure qu’il faut distinguer plus finement entre mandats réellement incompatibles du point de vue de la charge de travail, ou par exemple entre tailles de villes pour les maires ? Si au contraire on porte la question du cumul sur le terrain de la déconcentration du pouvoir (« un homme, un mandat »), pourquoi ne pas se donner comme objectif l’interdiction de tout cumul, pour quelque élu que ce soit ? Un autre argument courant est celui de la nécessité de renouvellement du personnel politique. Mais dans ce cas, l’interdiction du cumul ne servira pas à grand chose si elle ne s’accompagne pas d’un renouvellement de ceux qui peuvent accéder aux mandats, autrement dit des cadres des partis. Sans cette nécessaire métamorphose, que l’on attend encore au PS, le non-cumul ne servira qu’à faire patienter moins longtemps au portillon les cadres intermédiaires actuels, qui obtiendront plus rapidement le mandat d’élu qu’ils auraient de toute façon obtenu. Ce n’est sans doute pas un hasard s’ils sont souvent les plus ardents défenseurs de la mesure.

On attend toujours une réflexion digne de ce nom sur le cumul, qui ne se limite pas à un storytelling “Martine & les militants contre les barons”. Elle viendra peut-être avec la convention de juin sur la rénovation. En attendant, le PS va pouvoir mesurer l’écart qu’il y a entre des déclarations d’intention abstraites et mal conçues, et la stricte réalité électorale.

Romain Pigenel