Jean STAUNE : "NOTRE EXISTENCE A-T-ELLE UN SENS ?-Une enquête scientifique et philosophique", Préface de Trinh Xuan Thuan, Presses de la Renaissance, 2007.
Le propos de Jean Staune est, au travers d'une sorte d' " état des lieux" très fouillé (536 pages !) des avancées de la science contemporaine, d'en arriver à réconcilier la démarche et l'esprit scientifiques avec philosophie, métaphysique, voire spiritualité.
Comme il nous le dit si bien, le seul véritable "propre de l'Homme" est de chercher le sens.
Aussi s'est-il fixé l'objectif fort ambitieux, on en conviendra, de chercher - ou plutôt de tenter de discerner - dans le fouillis des disciplines scientifiques dites "exactes" et de leurs découvertes, une certaine lueur qui nous permette de "réenchanter le monde", d'échapper à la terrible formule de Démocrite, reprise par le célèbre biologiste français Jacques Monod "le hasard et la nécessité".
On ne peut que s'incliner devant la rigueur dont il fait preuve, et reconnaître, avec lui, que la science (avec un grand s) manque d'une vision globale.
La science, c'est vrai, n'est plus ce qu'elle était au commencement du XXe siècle. A la grande surprise des divers scientifiques eux-mêmes, que ce soit en astrophysique, en physique des particules, dans le domaine de la biologie, elle débouche désormais sur des questions "embarrassantes" qui la dépassent, des interrogations carrément d'ordre philosophique et métaphysique qu'aujourd'hui l'on peut de moins en moins éluder.
Qu'est-ce à dire ? Les savants seraient-ils, à terme, tous voués à professer, à l'instar d'Albert Einstein, une "religiosité cosmique" ?
Si, certes, nous n'en sommes pas encore là, il reste que la science est maintenant apte à démontrer (au sens purement logique du terme) ses propres limites. Que les théories et théorèmes de la relativité (l'espace ne fait qu'un avec le temps, la gravité courbe l'espace-temps, notre univers est le résultat d'une "explosion" créatrice : le Big bang), des quantas (le principe d'incertitude d'Heisenberg induit qu'aux confins de la matière existe une réalité autre, le "vide quantique", qui échappe au temps et à l'espace, aux "lois de la nature" habituelles tout en générant l'univers; de plus, la "non-localité" implique "L'existence d'une dimension [...] holistique dans l'Univers"; de façon plus générale, "Toutes les recherches actuelles semblent montrer que loin de revenir aux conceptions classiques, la physique se dirige vers des visions encore plus éloignées de nos concepts familiers"), de Gödel (les systèmes mathématiques sont tous voués à l'incomplétude et l' "intuition" révèle l'existence d'un véritable "monde mathématique"), font buter la connaissance contre un au-delà qui lui échappera toujours et que Bernard d'Espagnat nomme "le réel voilé". Que, même au plan de la biologie, le darwinisme (ou plutôt le néo-darwinisme), théorie au fort pouvoir explicatif, achoppe quand il s'agit de rendre compte de certains phénomènes (macro-évolution, répétition des formes, mystérieuse "mémoire" des tissus) et laisse à penser qu'il pourrait y avoir à l'oeuvre d'autres lois que celles du tri des mutations par la sélection naturelle (ici, Staune va jusqu'à avancer l'hypothèse platonicienne d' "archétypes" pré-existants modelés mathématiquement en fonction des lois naturelles propres à notre Univers). Que les sciences du cerveau n'arrivent toujours pas à attribuer d'emplacement neuronal précis à notre conscience (est-elle un pur produit "émergent" de l'activité corticale ou l' "esprit" existe-t-il bien en tant que réalité propre, préexistante à l'Homme ?) et que "certaines expériences semblent montrer que le temps de la conscience ne s'identifie pas au temps des neurones, voire que la conscience peut "jouer" avec le temps".
Beaucoup de scientifiques, c'est un fait, sont troublés, et deviennent, du coup, rêveurs.
Certains se bornent à soupçonner de plus en plus fortement que, l'Univers "fabriquant" du complexe (et du de plus en plus complexe) à partir du simple et l'évolution du vivant ne revenant jamais en arrière, une créature douée de conscience se devait tôt ou tard d'apparaître dans le paysage universel.
D'autres semblent aller encore plus loin : et s'il fallait revenir au dualisme cher à Descartes, au platonisme ?
Et si l'esprit, immatériel, avait une nature quantique ?
Il est certain que ce n'est pas de sitôt que les réponses nous seront livrées.
L'énorme livre de Jean Staune est complet, solide, brillant et, je le répète, inattaquable sur le plan scientifique.
Parvient-il pour autant à nous convaincre ? Je n'irai pas jusque là.
Parfois, l'on ne peut s'empêcher de penser qu'en dépit de tout son sérieux, il se laisse un peu emporter par son élan spéculatif et par son désir de "réenchanter le monde".
Cependant, le livre n'est pas exempt d'hypothèses très séduisantes, telles, par exemple, celle des différents "niveaux de réalité", ou encore, celle du caractère quantique de l'univers mental (pourquoi pas, quoiqu'il ne faille pas non plus faire du quantique un fourre-tout où l'on placerait tout ce qu'on n'explique pas encore).
Staune, me semble-t-il, se situe un peu à l'opposé d'Edgar Morin. Si ces deux penseurs ont en commun de reconnaître au réel toute sa complexité et toute son inconnaissabilité, Morin fait, précisément, de la complexité, "l'alpha et l'oméga" du monde. Il a volontiers recours aux notions d'"émergence" ("le tout est plus que la somme de ses parties"), d'empilement des niveaux et de "réflexivité", que je trouve plus prudentes et plus subtiles.
Staune, lui, en vient ouvertement à évoquer "l'Être" et à convoquer les traditions religieuses.
Même s'il prend bien soin de signaler les dangers de l' "anthropomorphisme" spirituel, on ne l'en sent pas moins fortement tenté de rehausser l'Homme, de le relier à "quelque chose" face auquel, qu'on le veuille ou non, il ne "fait pas le poids", de lui "remonter le moral", avec un sens de la charité très chrétien.
Mais prudence...Se garder de projeter, sur la réalité, nos désirs. Se méfier. Toujours. Ce n'est pas parce que l'être humain a besoin que l'existence possède un sens que les faits doivent obligatoirement accéder à sa demande.
Oui, la réalité ultime est fondamentalement incompréhensible, inaccessible. L'Homme, de son côté, a développé un imaginaire et une affectivité qui ont horreur du vide. Ne perdons jamais ça de vue...
Personnellement, je serais assez encline à me fier aux mathématiques, qui postulent l'existence de deux infinis.
A aucun moment Jean Staune n'évoque ce concept. Je trouve ça dommage.
L'infini ressemble-t-il à l'esprit humain, et à l'Esprit ? Dans la mesure où (de par ses dimensions) il est inconnaissable, inembrassable, la question, à ce qu'il me semble, s'annule d'elle-même.
L'esprit ne serait qu'une particularité (parmi tant d'autres) de la nature humaine que cela ne m'étonnerait guère.
Etant donné le rôle que jouent les probabilités dans la théorie quantique, je serais également portée à soupçonner que, "derrière le rideau", dans les coulisses de notre Univers, se cachent ce que la Bhagavad-Gita appelle le "Non-manifesté", à savoir des infinités de possibles, susceptibles d'engendrer des univers multiples. Comme le veut d'ailleurs une certaine hypothèse de l'astrophysique, chaque univers-bulle serait doté de ses lois physiques bien à lui, dans le cadre desquelles seulement certains possibles pourraient se voir sélectionnés.
Dans une telle perspective, la Vie et notre conscience ne seraient que des possibles activés parmi tant d'autres. Des possibles autorisés par le carcan des "lois naturelles" de notre Univers.
Quant au reste, j'ai la faiblesse (je le confesse) de penser que toute chose, tout être, tout Univers n'est qu'une part de l'unité du monde, laquelle est infinie, et qu'il est illusoire, naïf de chercher un amalgame quelconque entre ledit Tout si vaste et une simple particularité.
Jean Staune nous le dit lui-même, "il y a une incomplétude radicale". Eh bien, mon "opinion" (si tant est qu'on puisse en hasarder une, dans un pareil domaine !) est que si l'incomplétude est, c'est parce que l'infini existe.
Lisez toutefois "Notre univers a-t-il un sens ?", car c'est un ouvrage qui alimente fort la réflexion, un livre très actuel.
Son plus grand mérite est peut-être, outre celui de nous apporter des tonnes d'informations sur la recherche actuelle, de nous démontrer à quel point la science, à présent, alimente la philosophie.
A quand, dans les lycées français et dans leurs classes de philo, une étude de Kant doublée d'une étude des quantas ?
Mais, me rétorquerez-vous, avec un petit sourire entendu accroché au coin des lèvres, l'incomplétude n'est-elle pas partout ?
P.Laranco.