L'impossible Utopie ?
Le monde de Pollen (2002) pourrait à première vue paraître utopique. Fondée quelques siècles plus tôt, la colonie humaine de cette planète se distingue par une organisation sociale fortement codifiée et encadrée, avec pour objectif premier l'éradication de la violence, et notamment de celle faite aux femmes par les hommes. Ainsi, ses sept villes aux noms de pierres précieuses — chacune d'une couleur du spectre lumineux, rappel de Chromoville — sont peuplées de deux tiers de femmes pour un tiers d'hommes. Cet équilibre est obtenu par un contrôle des naissances in vitro qui permet d'obtenir des triades de jumelles (8) constituées de deux filles et d'un garçon. La violence étant considérée par essence masculine, la paix règne donc sur Pollen, mais cette situation n'est pas du goût de toutes, notamment en raison de l'existence du Bouclier, l'énorme satellite dédié à la défense de la planète.
En effet, Pollen a été victime au début de son histoire d'une attaque de pirates de l'espace, contraignant sa société féministe à créer un corps de guerriers — bien entendu des hommes — vivant en orbite et destiné à défendre la planète contre une nouvelle attaque. Afin de pouvoir les contrôler, et de s'assurer que l'agressivité masculine ne va pas se retourner contre les Polléniennes, celles-ci contrôlent la reproduction des guerriers en leur fournissant leurs épouses, via une cérémonie où les jeunes soldats viennent les choisir. Chaque femme envoyée sur le Bouclier est destinée à avoir deux enfants, deux garçons qui deviendront des guerriers… et, pour que la population du satellite reste stable, seul un guerrier sur deux est autorisé à se marier. Notons enfin que la reproduction se fait in vivo ; les femmes du Bouclier sont donc contraintes d'accoucher « à l'ancienne ».
Tout ce système social complexe repose sur la maîtrise de la fertilité : les habitantes de Pollen sont stériles, et seule une manipulation inconnue des occupants du Bouclier permet d'enfanter à celles choisies comme épouses. De plus, le César du satellite — dont la société s'inspire de Rome — est désigné par la Matriarche de la planète, qui a les moyens d'exercer sur lui un contrôle sinon total, du moins définitif.
Cette description suggère que la structure sociale globale possède deux faiblesses fondamentales, liées à l'être humain et à sa nature. Primo, chaque épouse envoyée sur le Bouclier faisait à l'origine partie d'une triade, laquelle se retrouve dès lors amputée ; or le lien émotionnel/sentimental le plus fort est ici celui qui unit les membres d'une triade. Secundo, la moitié des guerriers n'a pas accès au mariage ; on imagine sans peine les conséquences de cet état de fait sur leur sexualité. L'utopie pollénienne repose sur la frustration d'une partie de la population, et le message du livre est clair : qu'elle soit dirigée par les femmes ou par les hommes, une société humaine ne saurait engendrer qu'inégalité et injustice.
Une justice que seule une égalité absolue entre hommes et femmes pourrait rendre possible ?
Roland C. Wagner