Monsieur, liv’ ! (1/2)

Publié le 20 mai 2010 par Tazar


Après « Monsieur, moucher ! » et « Monsieur, gaz ! », voici « Monsieur, liv' ! », la suite des aventures de Monsieur Bob...


Le collège de La roche est un collège où l’on apprend véritablement, entre autres choses, la modestie.

Et où l’on revoit vite ses exigences à la baisse.

Prenons le CDI, au hasard.

Les objectifs s’affinent peu à peu, au fil du temps. C’est ainsi que, à l’occasion des sacro-saintes séances d’initiation à la recherche documentaire à destination des 6°, le « classement des ouvrages de fiction par ordre alphabétique du nom de famille de l’auteur » s’est mué progressivement en « qu’est-ce qu’un nom de famille ? » puis, de manière plus terre à terre, en « qu’est-ce que l’alphabet ? ». « L’acquisition de la classification décimale Dewey » s’est métamorphosée de manière très poétique en « ranger les livres bleu avec les livres bleu ». Quant à la « recherche de périodique à l’aide du thésaurus », assez rébarbative en soi, j’en conviens, elle est devenue par l’inertie des choses « voici le numéro d’Astrapi de juin 2009, consacré aux dieux égyptiens. Recopie sans faire de faute le titre de l’article qui se trouve page 30, non, pas 20, j’ai dit 30 ».

Et, puisqu’il s’agit d’être véritablement très très modeste, une nouvelle mission me monopolise depuis peu : arriver à faire prononcer de manière presque naturelle par un élève la phrase complexe suivante : « Bonjour monsieur, est-ce que je peux emprunter un livre, s’il vous plaît ? ». Phrase si possible prononcée dans son contexte, c'est-à-dire lorsque l’élève veut véritablement emprunter un livre et non pas simplement sortir de la salle pour se moucher un bon coup dans le sweat.

Comme me le répétait souvent mon modèle et maître à penser à l’Ecole Normale de Nice (maître à penser dont j’ai oublié le nom et qui coule des jours heureux à la maison « Au bon repos » de Bourgoin-Jallieu, aux frais des adhérents de la MGEN), il faut toujours partir du vécu verbal de l’élève. Bon, je veux bien, je ne suis pas contrariant. Mais le vécu est quand même ici assez faible.

Il tient d’ailleurs, dans ce cas précis, en une phrase de deux mots : « monsieur, livre ». Plus exactement « monsieur, liv’ ! », prononcée en un souffle, tête tournée, bras devant la bouche et expulsée de manière pas toujours très intelligible.

Partant de là, tu as beau reprendre le petit sauvageon en lui faisant les gros yeux et en lui demandant « Voyons, mon petit, est-ce ça se dit : monsieur, liv’ ? » pour qu’il te réponde affirmativement, sans vergogne et le plus naturellement du monde («  ^^ »). Et sans trouver grand monde parmi ses collègues de travail pour trouver ça choquant.

Dans le même ordre d’idée, « je suis en cinquième » s’énonce « ’quièm’ ! » et « Roger, s’il te plaît, sois cool et passe-moi le sel » se dit « s’l ! ». C’est un coup à prendre et, finalement, tout le monde se comprend très bien.

Mais, bon, nous, les profs, on préfère des phrases construites. On est comme ça, qu’est-ce que tu veux, c’est plus fort que nous...

J’ai, dans un second temps et pendant une autre longue période de gestation, changé ma claquette de pied et tablé sur le processus cognitif de modélisation et de restitution vocale. En clair, pour les non-enseignants, faire répéter comme un perroquet. Je sais, c’est con. Mais, des fois, ça marche.

Pas ici.

- Repeat after me. Brian is in the kitchen. Who is in the kitchen ? Bonjour monsieur, est-ce que je peux emprunter un livre, s’il vous plaît ? 

- Bonjour monsieur… liv’ !

Eh merde, encore raté ! Mais on y était presque.
(A suivre)



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