Un monde hors la loi

Publié le 20 mai 2010 par Hermes

Suivre l’information revient de plus en plus, pour le « citoyen », à gravir, tel un Sisyphe malheureux, une montagne dont le sommet ne lui est plus seulement invisible mais, même, incertain. Une montagne dont les deux versants seront le rire et les larmes de ce Sisyphe égaré.
Sysiphe ne voit plus le ciel.
Situation hors de contrôle : pour le sujet comme pour l’objet.
Alors que faire sinon, dans un même geste, s’en réjouir et s’en lamenter si la machine est devenue folle, que le « deus ex machina » est devenu le machina ex deus?
Quand l’événement non seulement échappe à tout entendement mais que son défi à la logique suffit à le propulser comme événement, déni de l’humain face à l’écran nu de toute transcendance. Depuis Nietzche, l’idéal lui-même est hors sagesse, mirage de l’humanité.
Nous voici donc ballotés au gré d’un Grand Ordinateur réduit à sa vérité simple et ultime : un univers cybernétique qui s’est emparé de nos savoirs et qui, fondamentalement a-moral, se réduit à un ensemble hétérogène de logiciels brassant les flux croisés du hasard, de la nécessité, du désir, de l’utopie et de la surveillance généralisée.
Un monde parfait parce que hors raison, hors désignation, dans lequel l’homme ignore s’il est bourreau ou victime, puissant ou faible, prédateur ou généreux… Non pas l’ère de l’indistinction mais celui d’une schizophrénie avancée qui remet en cause la notion même de pouvoir et, surtout, de ces « lois » sur lequel celui-ci s’est toujours constitué.
D’abord cette « loi » qui aujourd’hui hante nos discours, taraude le politique et nous renvoie à la folie d’une irréalité : La loi des marchés !
Aussi opaque qu’évanescente même si elle nous gouverne à partir d’un temps et d’un espace improbables, qu’elle ne s’articule à aucun individu, aucun groupe immédiatement ou clairement identifiables. Dans leurs meilleures intentions, nos chefs d’Etat les plus influents s’apparentent à ce Don Quichotte luttant contre des moulins à vent.
L’Histoire serait-elle devenue folle ?
Trop de lois tuent la loi, dit-on. Mais c’est oublier que dans le même temps où le législateur devient boulimique, la Loi, celle qui régule, celle qui explique et tient son autorité d’un principe de causalité, est en faillite. Non seulement d’un point de vue moral mais, et c’est plus grave, par son décrochage avec la réalité.
Lois du marché ou lois de la nature se bousculent désormais dans le règne de l’absurde et du télescopage. Et ne se contredisent pas toujours quand on cherche des règles alors qu’ il n’y en a pas et qu’on croit –ultime religiosité - que le Grand Ordinateur dans sa promesse de bonheur et d’immortalité saura nous prévenir des séismes, des volcans, de l’accidentel ou de la chute des étoiles.
En ce moment où tout déraille, quand l’économie échappe à tout contrôle comme le pétrole quand il jaillit de trop grandes profondeurs.
Quand l’ultra libéralisme est un au-delà de la conscience et de l’imaginaire, une excroissance aveugle de l’économie de même que ces forages à des distances telles qu’ils deviennent des défis au bon sens et que tout prend le parfum grisant d'un jeu de roulette russe.
Le principe de sécurité obsessionnel de nos sociétés cache en réalité cette insécurité croissante du monde.
Les marées noires nous feront donc oublier l’Océan de nos anciens poètes?
Mais saurons-nous encore lire ? C'est-à-dire retrouver une régulation de signes quand la géographie comme l’Histoire dérivent. Quand la « mondialisation » n’est qu’une contraction du temps, qu’un dessèchement de l’espace ? Quand le paradis thaïlandais se lézarde ? Quand la Chine devient une caricature dangereuse de l’Occident - lequel se rêve bouddhiste ?
Nous sommes entrés dans une grande dépression - économique, écologique, politique, culturelle. Les politiques improvisent, se contredisent, n’ont plus prise sur le réel. Leur parole elle-même est dévalorisée. Car leur seule victoire et notre seul espoir serait la destruction de cette nébuleuse néolibérale qui échappe à toute loi et qui donc, de fait, est une négation même de l’idée de politique et d’une règle de vie commune.
Ainsi sommes-nous dans un système au-delà de la démocratie mais aussi au-delà de la dictature car il ne porte aucune idéologie, aucune finalité si ce n’est qu’un présent monétarisé pour le profit comptable de « groupes » sans identité. Le néo-libéralisme n’est pas national, pas internationaliste, pas raciste, pas ceci ou pas cela : il n’est rien. Et ce Rien nous gouverne.
On peut être saisis par l’affolement muet des gouvernements, quels qu’ils soient et partout dans le monde. Tous cloués dans la simple gestion devenue impossible du seul présent. Comme si dans une faillite générale des idéologies, ils n’étaient plus que des aéropages, dubitatifs, interrogeant le Grand Ordinateur qui les régit.
Si bien qu’ici le pouvoir absorbe l’opposition qui n’en est plus une quand l’opposition entre dans un pouvoir qu’elle croit contrôler, etc. Jeu de dupes, effets de miroirs quand, en réalité, le pouvoir n’est plus rien. La parole politique est devenue l’illusion du pouvoir. Ou peut-être seulement l’expression des derniers sursauts de quelques egos fiévreux et boursouflés…
Alors l'espoir, la justice sociale, le progrès partagé... Faut-il se résigner à ne plus rien attendre?
Non. Debout la politique!
Mais Sarkozy se terre désormais dans son bunker. Pour attendre son heure ou sa fin. S’y est-il lui-même confiné ? Qu’importe puisque, là encore, il n’y a pas de loi, mais seulement le déplacement non programmé des choses comme la dérive des continents…