Magazine Cinéma
Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une pièce d’Esther Vilar
Texte français de Sacha Zilberfarb
Adaptation de Marc Laignier
Mise en scène de Didier Long
Avec Nicole Croisille (Helen), Margot Faure (Yana), Emilie Chesnais (Iris)
Ma note : 6,5/10
L’histoire : Trois femmes, Helen, Yana, Iris, habitent à trois étages différents du même building à New York. Elles ne se connaissent pas. Un jour, le mari d’Helen la quitte pour Yana qui va elle-même être quittée pour la jeune Iris. En proie tantôt au bonheur de la séduction, ou au désarroi de la solitude, les trois femmes vont entamer, par mails exclusivement, une abondante correspondance…
Mon avis : Quelle histoire ! Dans un décor pour le moins minimaliste, un long banc recouvert de zèbre côté jardin, un canapé fauve côté cour, mais efficacement partagé par deux gigantesques panneaux coulissants, ce qui nous permet de savoir immédiatement dans quel appartement on se trouve, deux femmes, puis trois, vont s’échanger sur plusieurs mois une rafale de mails ayant pour seul et unique sujet, Laszlo, un sexagénaire pas si séduisant que ça mais doté d’un solide sens de l’humour.
A ma droite, Helen, épouse légitime depuis 25 ans du dit Laszlo. La classe. Elégante et raffinée, elle est une brillante avocate… A ma gauche, Yana. 35 ans, jolie brune piquante et sensuelle, architecte de son état, qui vient de connaître le coup de foudre dans l’ascenseur de l’immeuble. Comme Laszlo, le fil rouge de la pièce, est un homme comme tous les autres en ce sens qu’il préfère tenir sa liaison secrète, Yana décide de prendre les choses en main et d’avertir Helen de son infortune par le biais d’un mail fort explicite. Il s’ensuit donc un échange de courriels dans lesquels chacune défend son bout de gras (si je puis m’exprimer ainsi). Touchée, mais pas coulée, notre avocate distille force vérités et perfidies pour dévaluer singulièrement la cote à l’argus de son sémillant mari… Follement éprise et n’ayant pour se défendre que la passion qu’elle insuffle à l’entreprenant sexagénaire, Yana met sa plénitude de femme en avant. D’un tempérament fougueux, elle ne prend pas de pincettes et livre complaisamment à sa rivale une abondance de détails dans une manœuvre toute féminine d’humiliation.
Or, pour donner encore plus de piment à la situation, Yana révèle à Hélène un petit défaut de construction dans l’immeuble qui permet de jouer les voyeurs. Evidemment, Helen succombe à une forme de curiosité mortifère et elle s’abonne au spectacle des ébats amoureux de Laszlo et Yana. Evidemment, c’est le genre de postulat qu’il faut bien accepter car il permet à la pièce de prendre une autre dimension psychologique. Chez Helen, la souffrance se tapit derrière l’ironie, pendant que Yana, amazone conquérante et sûre de son pouvoir, se la pète un peu. C’est à la fois une opposition entre deux générations et entre les aspects physique (Yana) et intellectuel (Helen) d’une relation amoureuse.
Au bout de quelques mois durant lesquels ce sacré Laszlo a quitté son 24ème étage conjugal pour s’installer au 30ème de sa nouvelle dulcinée, se déclenche le phénomène mécanique inexorable : les feux de la passion commencent à s’éteindre progressivement. Et ne voilà-t-il pas que notre gaillard, poussé par son insatiable démon de midi, s’amourache d’un tendron de 20 ans, étudiante et bouddhiste de surcroît, résidant elle au 19ème étage !
Et la jalousie de reprendre l’ascenseur. Après avoir stationné longtemps au 24ème, elle vient instiller son venin au 30ème. On devine bien qu’elle ne s’arrêtera pas là.
Car Jalousie en 3 mails, finalement, est entièrement prévisible. Sans me vanter, j’avais subodoré la fin et même envisagé la chute.
Mais avant d’en arriver là, l’auteur s’est ingénié, par femme interposée, à décortiquer les sentiments par lesquels on passe. Amour, désir et jalousie sont intimement imbriqués et corollaires les uns des autres. L’analyse est très poussée, et pour bien la décomposer, il faut des mots. Beaucoup de mots. Cette pièce est très bavarde ; mais c’est indispensable. Finalement, on ne déplore que peu de longueurs (hormis celle où Yana se livre à un descriptif indigeste et fastidieux de la configuration de l’immeuble).
Les trois protagonistes de cette histoire, nos trois « maileuses » frénétiques, sont super bien dessinées. Chacune a un physique bien déterminé et une psychologie comportementale parfaitement définie.
D’une élégance folle, Nicole Croisille est remarquable de bout en bout. On sent bien qu’elle tout le temps sur le fil, sur le point d’exploser, qu’elle a énormément de mal à accepter la trahison de Laszlo. Mais elle garde en permanence sa maîtrise, préférant balancer ses petites piques narquoises et acides. Ce qui est finalement bien plus insidieux et déstabilisant qu’un gros coup de gueule.
Surtout quand on a en face de soi une Yana aussi joliment incarnée par Margot Faure. Elle, s’est la vie, c’est une conquérante. Elle déborde de féminité et d’énergie. Elle ne s’embarrasse pas de fioritures. Son langage n’est pas toujours des plus châtiés et elle aime bien illustrer ses propos d’images crues comme autant de coups de boutoirs pour faire vaciller la citadelle Helen. Touchante de vérité, elle joue fort bien le passage délicat de l’arrogance à la souffrance.
Emilie « Iris » Chesnais, compose elle aussi un personnage bien précis. Petite fille gâtée, elle est totalement immergée dans la pratique et les préceptes d’un bouddhisme un peu exacerbé. Elle prône la grandeur d’âme, l’altruisme et la générosité avec la plus grande sincérité jusqu’au moment où, à son tour, elle vient se faire percuter par Dame Jalousie. Elle a le cœur encore bien trop tendre pour accepter l’échec. Et cette transition est là aussi jouée avec beaucoup de finesse.
Emmenée par une Nicole Croisille véritablement épatante, cette pièce nous entraîne sur un chemin bien tracé. Mais pour attentif qu’on soit et curieux de savoir comment tout ça va se terminer, il nous arrive parfois de s’offrir en douce une petite halte buissonnière. Et à la fin, on en serait presque convaincu par ce qui pourrait être considéré comme un véritable éloge de la jalousie. C’est là tout le paradoxe. Mais je pense que la plus belle conclusion que l’on en retire c’est que « aimer, c’est vivre ». Même si ça fait souffrir…