Pour un débat non constructif, éloge du braillard

Publié le 20 mai 2010 par Vogelsong @Vogelsong

La légitimité d’une contestation ne réside pas dans une proposition alternative, mais dans l’inhumanité de ce qu’elle dénonce.” J. Généreux – La dissociété

Exhorter au pragmatisme et aux “solutions”, tel est le management catéchiste pratiqué par le politicien post-moderne. Celui, qui face aux défis perdus par avance (Mondialisation, Europe, Retraites), glorifie le verbe, simule l’action. Par un mimétisme consternant, les apparatchiks de toutes obédiences se livrent aux mêmes simagrées. Prenant exemple sur leurs “aînés” ou mentors, il n’est pas rare que face au néant de leurs propres “réponses” empiriques, ils dégainent, narquois, le perpétuel : “Mais qu’est ce que vous proposez, vous ?“. Il en va de même pour les commentateurs qui se repaissent de formules magiques capables de “changer les choses”, “de faire bouger les lignes”. Dans la société du débat, où tout le monde a un avis, une solution, on omet la plus élémentaire des prudences. Questionner la question au lieu de s’engouffrer dans la répétition tels des perroquets.

La religion du pragmatisme


Sur le dossier des retraites, lors du petit jeu de cache-cache, X. Bertrand pour faire accoucher le Parti socialiste, déclara fin avril “ce qui est dramatique, c’est que M. Aubry nie la réalité au lieu de se positionner sur le terrain des idées et des propositions”, puis l’a exhortée à faire des “propositions“. Mi-mai, il mit bas. Aux injonctions et au principe de réalité, l’impératif de solution constitue le minimum pour intégrer le cercle des prétendants aux responsabilités. Et ce, en temps et en heure. Réforme Balladur en 1993, réforme Fillon en 2003, la question des retraites aurait dû être enterrée. C’est ce qui fut dit. C’est en 2010 qu’elle refait surface. C’est donc en 2010 qu’il faut y répondre. Séance tenante. On l’aura bien compris, il ne s’agit pas de régler le problème, mais de continuer de le gérer entre “gens responsables”. Vous prendrez bien un peu plus que 60 ans ou beaucoup plus que 60 ans ? Faudra-t-il faire contribuer les pansus, un peu, ou moyennement ? Une folie politique qui entraîne M. Aubry, leader du parti progressiste à se prononcer sur un sujet nécessitant une évaluation globale de la situation et du contexte économique. X. Bertrand, à la tête de l’UMP, s’est spécialisé dans la gestion de crise par petits morceaux. En l’occurrence, aborder les pans à laisser capoter, l’un après l’autre avec le pragmatisme de celui qui ne voit pas plus loin que le pas de sa porte. Comment esquiver la question lancinante “comment sauver les retraites ?” dont se gobergent inlassablement les commentateurs en vue, “car c’est une question cruciale“. Comme s’ils s’y intéressaient réellement… Et comme on est toujours l’UMP de quelqu’un, le PS inflige la même fadaise aux formations de gauche radicale, inaptes au pouvoir, et incapables d’échafauder des propositions “sérieuses”. C’est à ce (vil) prix que se fabrique un consensus sur un sujet de société. Pas le haut et par pressions successives sur les plus contestataires afin qu’ils rendent gorge. Se résolvent à tenir une position conforme ou se voient discrédités pour utopie déraisonnable.

L’étroitesse du possible


Dans ce cadre, les champs du possible se sont dangereusement amenuisés. Que l’UMP poursuive un projet catégoriel à connotation inhumaine fait sans doute partie de la panoplie des possibilités offertes à la démocratie. Projet majoritaire sur la planète. Que ce type de pensée soit devenu le pivot autour duquel toutes les problématiques, au préalable bien arrimées, doivent trouver une issue, laisse présager du type de société et du délabrement politique dans lequel la France (comme ses voisins) se débat. On aura traité par exemple le sujet des retraites sans aborder les aspects globalisants du problème. Réduire le financement des anciens à la durée de cotisation des actifs et à la participation possible des fortunes consiste à faire l’impasse sur les éléments centraux. Quid de la mondialisation dans de la compétitivité qui devait apporter son lot de prospérité ? Il faudrait des encyclopédies et la mobilisation de toutes les intelligences pour entrevoir la lumière. Mais l’adaptation à l’environnement devient le stade ultime du renoncement politique. L’abdication face aux “partenaires” européens impose une descente perpétuelle et infinie vers l’abîme. La France n’a plus d’autre projet de société, autre que la course éperdue vers des mirages et une accoutumance aux relents anesthésiques à la nouvelle donne économique. Et dans ce cadre, toute critique ou contestation s’avère nulle et non avenue. Penser dans les clous, sous peine de passer pour braillard stérile. Proposer dans l’espace prédéfini de ce qui est “possible” ou plutôt “probable”…
Ce qui aboutit, comme le démontre A. Minc, bateleur crépusculaire et probabiliste de la pensée de gouvernement : “Il vaut mieux des rustines qui comblent la moitié du trou plutôt qu’un trou qui double.

Les sociétés souffrent, mais la cavalcade continue. La dénonciation des projets inhumains qui conduisent une grande partie des peuples à une survie augmentée est réduite à l’anecdotique infécond. Pourtant, les Français passeront en moyenne 14 années devant leur télévision, une bonne vingtaine au turbin, souvent ennuyeux. Une multitude vit à crédit dans des habitations trop petites et hors de prix. Leurs enfants inhalent les microparticules que produit la vie “moderne”. Une capacité d’adaptation hors norme qui fait le bonheur des cyniques. Les sujets de progrès ne manquent pas. Le temps pour les aborder non plus (il en est tant perdu…). Ce qui manque, c’est un consensus du rejet. Un consensus sans proposition, pour déclarer que la situation est intolérable. Que la semi-vie proposée à une majorité pour que se poursuive le lent glissement dans les eaux glaciales de la modernité n’est pas raisonnable. C’est seulement ensuite que viendront les propositions…