Si, depuis plus de 60 ans, quelque chose a rendu célèbre le Fonds Monétaire International, c'est bien les manifestations publiques de rejet que subissent ses employés et ses experts chaque fois qu'ils se présentent devant un pays pour recommander ou superviser un processus de stabilisation ou d'assainissement économique. « Le Fonds Monétaire International est le cerbère du dollar yankee », dit une fois l'assassin Che Guevara, mettant en relation les deux ennemis mortels de la gauche latino-américaine.
Moins connu cependant est le fait que le plus important des pères de la créature, Harry Dexter White, était un communiste convaincu, dont il est largement prouvé que dans les années '40 il passait des informations confidentielles qui allait atterrir à Moscou en passant par les membres du parti communiste des États-Unis. White était un haut fonctionnaire du Trésor des États-Unis, sous l'administration Roosevelt, qui fut chargé de dresser un plan de réforme du système monétaire international, en vue de le mettre en pratique une fois terminée la Seconde Guerre mondiale. C'est ainsi que durant les dernières années du conflit, il eût de longues conversations avec le représentant britannique, rien moins que John Maynard Keynes – qui, lui aussi, préparait un projet de réforme, mais en ayant quelques points de divergences avec White. L'histoire est connue : c'est finalement le projet américain qui prévalu – connu justement sous le nom de « Plan White » – et qui servit de base aux accords historiques de Bretton Woods, dont une des principales concrétisations fut précisément la création du Fonds Monétaire International.
Dès les années '40, le FBI avait enquêté sur White et avait trouvé des indices assez nets de sa collaboration – même si au travers de tierces personnes – avec les Soviétiques. Toutefois, jamais il ne fut poursuivi ni inquiété car on craignait qu'un procès rendît publiques les sources d'informations des services secrets américains. Le gouvernement se limita donc à le retirer discrètement du service. Le cas White fut alors considéré pendant longtemps comme un épisode supplémentaire de la chasse aux sorcières où un haut fonctionnaire avait été persécuté pour ses idées. Mais d'autres découvertes démontrèrent par la suite que les soupçons du FBI étaient parfaitement fondés.
En 1999, furent rendues accessibles aux chercheurs une partie des archives secrètes du KGB. C'est ainsi qu'on y trouva de nombreuses références codées où non seulement White apparaît comme un informateur privilégié de l'Union soviétique, mais également comme un de ses agents actifs aux États-Unis les plus précieux. Face aux preuves, le fait a été parfaitement accepté par les spécialistes de l'histoire économique de la période de la Seconde Guerre mondiale. Mais d'autres, spécialement au FMI, ne furent pas très heureux de ces conclusions. C'est ainsi qu'un des fonctionnaires de l'organisme, James M. Boughton, n'hésita pas, après que furent révélées les nouvelles preuves, à publier dans les pages de History of Political Economy – sans doute la plus importante revue consacrée à l'histoire de la pensée économique – un article au titre aussi expressif que surprenant : « L'affaire Harry Dexter White : toujours sans preuve ». Le verdict de l'Histoire semble cependant assez clair. White ne passa sûrement jamais directement et personnellement des informations à des agents soviétiques ; et il ne fut pas non plus membre du parti communiste américain. Mais il y a peu de doutes qu'il passait des informations confidentielles à des agents de ce parti et qui étaient fort appréciées par les Soviétiques dans ces moments cruciaux où se dessinait le monde qui allait durer jusqu'à la chute du Mur de Berlin.
Dans les États-Unis de ces années-là, beaucoup de gens avaient de claires sympathies pour l'Union soviétique. Le cas White n'avait donc rien d'exceptionnel. Mais il est vraiment curieux que ce soit lui qui fut chargé de définir la structure et le mode de fonctionnement de ce qui allait devenir une des bêtes noires de la gauche à travers le monde durant des décennies. En fait, ce ne serait pas une si mauvaise idée que les actuels dirigeants du FMI, au lieu de cacher cette affaire sous le tapis, la diffuse à travers le monde. Peut-être que leurs fonctionnaires seront, finalement, accueillis avec enthousiasme par les habitants des pays dont les gouvernements réclament l'aide économique, au lieu d'être hués et lapidés comme à l'accoutumée.