(Ces chroniques sont parues dans La Presse Littéraire n° 11)
CODEX ATLANTICUS n° 16
« Le Codex Atlanticus paraît théoriquement une fois l’an, au solstice d’été, quand tout va bien. » Après être passée par différentes présentations et avoir connu des périodicités très diverses, la revue animée par Philippe Gindre est désormais devenue une anthologie fantastique annuelle. Des auteurs contemporains, des nouvelles courtes et, chaque fois, un ou deux textes d’auteurs anciens, oubliés ou méconnus car l’oubli ne doit pas être une sorte de sanction, et le passé contient des trésors à exhumer.
On retrouvera entre autres dans cette 16e livraison Philippe Gontier, Timothée Rey, Kevan Stevens, Sylvie Huguet, Léonor Lara, l’espagnol Santiago Eximeno, et en invités du passé, Maurice Level et Charles Asselineau, ce dernier resté principalement dans la mémoire littéraire pour son amitié avec Baudelaire. Les illustration sont signées Dominique Laronde, Ferran Clavero, Philippe Gontier et Daria Bianchi.
L’éditeur de cette belle revue, qui allie la qualité des textes et des dessins et le soin apporté à la réalisation, est la Clé d’Argent, association créée en 1987. Celle-ci doit son nom à une nouvelle de l’écrivain américain Lovecraft, ce qui, pour les fondateurs Philippe Gindre et Philippe Dougnier, est une manière de rendre hommage à ce personnage littéraire hors normes et d’indiquer que c’est la littérature fantastique au sens large qui les intéresse. Ni l’horreur purement physique, ni le merveilleux ou l’imaginaire pur, mais tout ce qui se trouve à mi-chemin, tout ce qui bouleverse subtilement le réel, ou notre perception du réel.
La Clé d’Argent publie également des auteurs classiques et contemporains du fantastique, des essais, et deux collections d’ouvrages populaires Ténèbres & Cie, et Le Club Diogène. Son site internet vaut le détour, il est riche, agréable, bien structuré, et surtout il permet aux visiteurs acheteurs de commander directement et de payer en ligne grâce au système PayPal, une manière de compenser l’absence de diffusion en librairies. Car, dit Gindre, « Combien de petits éditeurs se sont effondrés financièrement ces dernières années pour avoir voulu à tout prix se faire diffuser par les réseaux classiques ? » Mais depuis 20 ans, l’affaire tourne, à son rythme. « Jusqu’à présent nos livres ont toujours fini par trouver leurs lecteurs, c’est l’essentiel. »
Codex Atlanticus, La Clé d’Argent éditeur, 22 avenue Pompidou, 39100 Dole. 80 pages, 10 €.
CONTRELITTERATURE n° 19
« Non pas une littérature contraire, mais le contraire de la littérature » est-il précisé en sous-titre de cette revue qui s’inspire du mot de Joseph de Maistre : « Le rétablissement de la monarchie, qu’on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution. » Sur le thème du « Théâtre du Verbe », ce numéro 19 met en scène Antonin Artaud, Valère Novarina, Malcolm de Chazal, Roberto de Simone, Fabrice Hadjadj, Henry le Bal. Suit un dossier poésie consacré à Patrice de la Tour du Pin, une étude sur la musique de Philip Glass et les actes de la journée Talvera du 9 décembre 2006
Alain Santacreu opère le rapprochement Novalis/Novarina en nous rappelant d’abord le texte fondamental et énigmatique de Novalis, écrit en 1798, « Le monologue » : « C’est une drôle de chose que de parler et d’écrire ; la vraie conversation, le dialogue authentique est un pur jeu de mots. Tout bonnement ahurissante est l’erreur ridicule des gens qui se figurent parler pour les choses elles-mêmes. » Novarina, l’un des dramaturges les plus novateurs du théâtre contemporain avec une vingtaine de pièces, affirme parallèlement qu’écrire est une « cure d’idiotie » et cherche le moment « où la parole a lieu toute seule ». Françoise Bonardel livre un article intéressant sur Antonin Artaud et la tragédie du Verbe : « Artaud aurait-il intenté au langage un si virulent procès s’il n’avait été assuré de l’existence d’un autre langage, plus organique d’ailleurs que verbal ? »
Définissant la « contrelittérature », Alain Santacreu précise qu’elle n’est pas un mouvement artistique mais un état d’esprit à la fois réactif et progressiste : « Réactif, parce qu’il repose sur une anthropologie ternaire fondamentale qui inclut le spirituel dans l’homme ; et progressiste, parce qu’il se fonde sur une positivité du temps ». Pour les tenants du Manifeste Contrelittéraire, qui veulent se situer dans une « écologie de l’esprit », la littérature est apparue au 18e siècle et correspond à l’émergence de l’esprit philosophique de la modernité ; elle fut le choc en retour du rejet de la dimension mystique par le christianisme occidental, et se caractérise aujourd’hui par la littérature du moi, la platitude narcissique et le nombrilisme des egobiographies. La contrelittérature veut réintroduire la mystique dans l’œuvre artistique, renouer avec la tradition du Livre et une antériorité oubliée. En théâtre, elle cherche un dépassement du spectacle et des simulacres de l’acteur, le corps du spectateur devenant le lieu dramaturgique de la dépossession, et se réclame des principes d’Antonin Artaud. L’action créatrice est donnée à l’homme, comme par surcroît, après effacement de son ego.
Même si sa vision peut paraître radicale, cette revue ambitieuse, exigeante, ouvre des chantiers de réflexion passionnants en convoquant de grands noms de la littérature et de la pensée.
Contrelittérature, L’Ancien Presbytère, 28170 Saint-Ange. 44 pages, 6 €. http://talvera.hautetfort.com