Benoit Jeantet est né en 1970. Après avoir collaboré à plusieurs magazines culturels et scénarios, il élève ses enfants et vient de publier Ne donnez pas à manger aux animaux sous peine de modifier leur équilibre alimentaire (Editions Atlantica).
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1. VOUS ET la lecture ?
Il me faut reconnaître une chose : passer une semaine sans avoir lu une seule ligne, ces choses là arrivent, hélas, et même de plus en plus souvent, vous savez, pour un tas de raisons, assez inavouables je le concède; bref passer quelques jours sans avoir réussi à me poser pour lire et je me sens aussitôt coupable, un sentiment de honte qui m’étreint au point que j’ai presque l’impression qu’au coin de la rue la bêtise la plus crasse sera là à m’attendre, vous savez, avec son marcel à trou taché de gros rouge et dessous à transpirer une de ces bedaines d’hétéro beauf… brr ce que j’ai peur, si vous saviez… Alors, et jusqu’à présent ça s’est toujours passé comme ça, je croise les doigts, touche du bois et tout, pourvu que ça dure…etc… Alors donc, toujours un sursaut se produit, comme je réalise que ma vie sans livre, ça serait un peu comme de la limonade sans bulle, voilà, alors je file plein pot chez le libraire le plus proche : et là vous pouvez me croire, c’est frénétiquement que je pioche, flaire et sans désemparer réclame avis et conseils dudit libraire lequel redoute toujours ces moments là, avant de revenir, un vrai profil de vainqueur pour le coup, les bras chargés de bouquins.
Lecteur compulsif je l’ai été à une époque. Difficile de décrocher. Tenez, fut une période pas si lointaine où je lisais deux à trois livres par jour et de retrouver par intermittence ce temps là, oui, me rassure. Voilà. Malgré tout je réussis encore à lire une dizaine de livres par mois. Des romans et des nouvelles. Beaucoup de nouvelles en vérité. Neufs pour l’essentiel puisque j’essaie, autant que possible, de me tenir au courant des « nouveautés ». Que j’ai encore et toujours le réflexe du fan. Le dernier Nick Hornby par exemple, sa sortie je la guettais oulàlà…. Plein de fièvre. Modiano aussi. En fait trop d’auteurs pour les citer tous. Et puis aussi des livres d’occasion vu qu’à tenter de gagner ma vie dans des secteurs économiques… ahem… au cours aléatoire, on pourrait mieux dire, tant pis, bref j’ai perdu beaucoup de mes moyens…
Le vice de la lecture j’essaie de l’inoculer à qui mieux mieux, par conséquent je prête mes bouquins sans chichi. Bon pour être tout à fait honnête, les seuls livres que je consens à prêter sont ceux que je n’ai pas envie de relire. Par exemple les Richard Brautigan (cet auteur là, je le relis dès que je peux… lui, c’est pas pareil, je l’aime… comme un ami, vous voyez.), les Beckett, Salinger, Stig Dagerman, Faulkner, Giono, Echenoz, Scott Fitzgerald, Kawabata, Cioran et Modiano, comme dit mon fils, là par contre même pas en rêve… De toute façon ils sont couverts d’annotations, soulignés et cornés de partout. Bref même pas en rêve et puis même pas des livres : non ce sont mes vieilles princesses poussiéreuses. Certains j’ai fini par leur ressembler. A force la fréquentation des livres qu’on aime, vous savez, ça doit faire tache et me voici à mon tour corné, tout aussi jauni qu’eux et une odeur moirée de vieux livre flottant en permanence au-dessus de moi… C’est peut-être pour cette raison que le livre électronique, comment dire… mettons qu’à vue de nez ça ne semble pas trop mon histoire même si… je ne sais pas. Au fond je suis déjà très vieux et ces trucs là…
2. VOUS ET les livres ?
Comme je suis donc très vieux en ce moment j’avoue un faible pour la littérature dite pour ado. Je découvre, un peu aussi parce que j’ai envie de partager mon goût de la lecture avec mes enfants, bref je découvre un tas de petits trésors dans la collection Médium de l’Ecole des loisirs, ou chez Exprim’ aux éditions Sarbacane. Pour être précis j’ai adoré Les mots, ça m’est égal (Sarbacane) de Mélanie Cuvelier, et surtout Pas raccord (Sarbacane) de Stephen Chobsky - un très grand roman, une sorte d’ Attrape coeur d’aujourd’hui.
Dernièrement j’ai relu Le cœur est un chasseur solitaire de Carson Mc Cullers. Une immense écrivaine. Vraiment. D’elle il faut tout lire. Je dis ça après…
Sinon je viens de terminer, à regret tant je m’y sentais bien dans ce livre, En Patagonie de Bruce Chatwin, un de mes travel writer favori avec, bien sur, Nicolas Bouvier. Et puis deux livres réjouissants, très poétiques, avec Paris à la fois pour décor et comme personnage à part entière : Paris insolite, sale, libertaire et urbain, textes de Jean-Paul Clébert et photos de Patrice Molinard ; et Rue des maléfices de Jacques Yonnet. En ce moment je dévore Dan Fante, sur les conseils d’un ami. Dan Fante, vous savezc’est le fils de John Fante. Son Régime sec (13e note éditions) est une perle. Autre perle : Quien es de Sébastien Doubinsky. Pas mal de poésie aussi que j’emporte toujours dans les transports en commun. Jacottet. Laforgue. Antoine Emaz. Je guette impatiemment le prochain Jean-Noël Sciarini, Le garçon bientôt oublié. Et je pense que dès…tout de suite en fait…je vais me replonger dans Le chameau sauvage de Philippe Jaenada. Lui c’est le Bukowski français, si je peux me permettre. Il a d’ailleurs reçu le prix de Flore en 1997 pour ce roman et j’aimerais tant qu’il soit lu davantage… Les prix en principe ça devrait servir à ça : faire office d’ouvroir potentiel à un lectorat plus vaste. Quand il consacre Marie Ndiaye ou Jaenada là, ok, j’y suis sensible.
3. VOUS ET l’écriture ?
En principe j’écris tous les jours. Chez moi. Ailleurs je n’y arrive pas. Mais les principes vous savez…Donc un peu, beaucoup… etc… chaque jour. L’hiver me parait plus propice.Je ne sais pas pourquoi. La nuit le gel fait grincer les armoires. La nuit de l’âme est plus noire…Tout ça. J’évite les saisons intermédiaires, plus propices à la lecture, enfin il me semble. L’été je ne parviens presque jamais à écrire. L’été, on transpire trop et pour des riens. L’été, la peau racle les draps d’un peu trop près… J’ai besoin d’avoir froid pour écrire. Je sais que ça peut paraître bête. Mais avec le temps mes manies évoluent. Quand même. Auparavant il me fallait le calme absolu et là travailler en musique (de la pop et du folk) depuis quelques moins j’avoue que… ça me désinhibe. Me soutient. Je ne sais pas bien comment expliquer ça… Lorsque je suis en train décrire je relis Brautigan et c’est tout. Ne me demandez pas pourquoi. Moi-même je n’en ai aucune idée. Disons que ça c’est fait comme ça.
4. VOUS ET Internet ?
Des blogs littéraires mais pas que, je pense le plus grand bien. Et ça je le souligne trois fois et en rouge. Vif. Certains j’y vais flâner chaque jour. Là encore il s’agit d’une véritable addiction. Il y en a à tomber. De véritables blogs tenus par de grands critiques littéraires au sens premier du terme : éclairer une œuvre au mépris des impératifs de promotion. Je pense à Bartleby les yeux ouverts, auquel on doit aussi Fric Frac club. Si l’envie m’est venue d’aller voir de plus près Quien es de Doubinsky c’est pour l’essentiel à ce blog que je le dois. Je songe aussi à Sitarmag. A Kally Vasco qui déborde largement le cadre littéraire. Au tiers livre de François Bon, interactif au sens noble du terme.
Ce qui est en train de se jouer sur la toile c’est tout bonnement une somme d’expériences littéraires, écrire numérique ce n’est pas un vain mot et je réalise que c’est souvent là que ça se passe. Il y a un tel foisonnement. Une telle prolifération des idées. Vraiment. C’est… Et là je ne parle même pas des blogs d’auteurs. Prenez l’autofictif d’Eric Chevillard, par exemple, là on touche au sublime. Mes petits blogs à côté, il me faut bien l’admettre et qu’on n’y voit surtout ni malice, ni fausse modestie avec embusqué derrière son petit cabotin… non mes petits blogounets ne valent pas tripette. Même pas la peine d’en parler. Aucun intérêt.
5. VOUS ET vos projets ?
Des projets j’en ai beaucoup. Certains en cours, donc par superstition, c’est ridicule je sais, j’éviterai de les évoquer. Pour ce qui est des salons, oui j’aimerais mais bon ça ne dépend pas que de moi donc…
Ecrire, ça risque de paraître prétentieux ou pathétique, ou les deux à la fois, tant pis, mais je crains de ne pas savoir faire grand chose d’autre. A part courir. Mais on ne peut pas vivre de footings au petit matin. Ça se saurait sinon. Voilà…