Avi Buffalo

Publié le 18 mai 2010 par Bertrand Gillet

Avis de beau temps sur la pop californienne.
Il y a quelques jours de cela, on m’a appelé « Musicologue de merde ». Ainsi commence cette chronique.
Ce qu’il y a de génial dans les sixties, beaucoup de choses à cette époque furent à dire vrai éblouissantes, ce sont les labels. Leurs noms résonnent encore dans mon esprit. Ils frappent l’imaginaire. Deram, Island, Parlophone, Emi/Harvest, Immediate… Immédiats, impactants, ils véhiculent la légende, c’est leur métier, leur fonction, leur sacerdoce. Leurs signatures sont restées comme des pierres angulaires de la pop : Moody Blues chez Deram, les Beatles chez Parlophone, Traffic et Fairport Convention sur Island, Stones et Small Faces sûr Immediate, Pink Floyd chez Emi. Des firmes qui firent rêver à l’époque où le business ne sombrait pas dans la folie spéculative, où les plateaux télé ne déversaient pas encore leurs flots incessants d’intellectuels triomphants annonçant avec arrogance et bêtise la fin du Libéralisme. Il faut dire que pendant ces mythiques années soixante, les pontes de maisons de disques se la jouaient hippies ou tout du moins se plaisaient à fricoter avec les rock stars. Ces bastions, qu’ils fussent piliers du système ou tenants de la culture underground, fascinaient aussi par leurs étonnants logotypes. Songeons à Vertigo, label prog et ses circonvolutions graphiques, Virgin Records promoteur du Krautrock et du bizarre dont les deux fillettes palindromiques étalaient leur nudité dessinée au côté d’un reptile aussi visqueux qu’inquiétant. A l’époque le rock, en quête d’image, puisait dans les tous les registres, psychédélique et fantastique notamment. Fin des 80s, Bruce Pavitt et Jonathan Poneman montent à Seattle Sub Pop qui ajoutera à son catalogue quelques noms mythiques dont Nirvana pour l’album Bleach. Depuis, les groupes les plus en vue se font un plaisir d’y figurer : parmi eux, The Vaselines adorés de Kurt Cobain, Flaming Lips, Sebadoh et plus récemment Fruit Bats, The Shins, Vetiver, Fleet Foxes, Comets On Fire, Iron And Wine, Beachwood Sparks, The Go ! Team… Les derniers à avoir été repérés sont quatre, relativement jeunes mais ne pourraient être qualifiés de babies rockers sans provoquer une pluie de baffes : ils s’appellent Avi Buffalo. Patronyme des plus cryptiques, pourtant Avi n’est que le diminutif de leur leader songwriter Avigdor Zahner-Isenberg. Pas simple à lire sur un pochette de CD ou sur une plateforme de vente digitale : donc peu vendeur. Le côté vampire prince des Carpates pouvant faire un tantinet peur. Ce qui nous intéresse ne tient pas dans un nom en « The » ou même dans la pochette relativement atroce disons-le. La musique saura offrir des trésors de grâce à qui passera outre les deux épreuves citées ci-dessus. En dix titres seulement (ouf, enfin une tracks list raisonnable), Avi Buffalo brasse de nombreuses influences qui ne sentent ni le renfermé ni la resucée foireuse et paresseuse. Folk en apparence, les chansons révèlent rapidement leur foisonnante complexité. Particularité intéressante, la plupart des titres commencent dans l’acoustique pour se parer, au fur et à mesure que les minutes solaires défilent, d’orgue, d’instruments à vent et d’élégants arpèges électriques à l’onctuosité presque jazzy. Des rythmes alanguis dressent un canevas douillet permettant à la voix et aux chœurs de s’exprimer clairement. La carté, le mot est juste. Chaque titre est une aurore à la manière de cette semaine astrale que Van Morrison avait composé durant l’automne 68. On retrouve en filigrane cette conception inclassable de la musique. Etre là où l’on ne vous attend pas. Ici, le folk ne veut pas nécessairement dire musique des sous-bois et des montagnes comme se plaisent à l’écrire certaines plumes enhardies. Il peut se concevoir à Malibu, à Venice ou à Long Beach. A la chemise bucheron on préfèrera donc le t-shirt American Apparel et les skates graphés. Cette pop des sphères ancrée au bord de l’océan et à la mélancolie jamais claustrophobique, touche, émeut, rassure. Et ne tourne pas en rond. Chaque morceau semble refuser de se terminer, il s’éternise dans un brouillard chaotique, psyché, parfois bruitiste, tantôt céleste comme le mirifique Coaxed au saxophone Van Morrisonien. Les entames de titres n’en demeurent pas moins sublimes, riches, comme le superbe Five Little Sluts (cinq petites putes). What’s In it For? Quant à lui est la pièce maîtresse du disque, un hymne, les chœurs féminins s’enroulant autour du refrain comme une écharpe quand les climats marins soufflent sur la Californie des vents contraires, ceux des amours adolescentes. Et puis il y a la voix d’Avigdor. Mutante, elle se situe entre Neil Young et David Bowie, en version juvénile. Neil Bowie dirons-nous. Parfois délicieusement agaçante (Summer Cum et sa silly little melody), souvent troublante, au bord de la fêlure comme sur Five Little Sluts, elle peut se faire chaude, douce pour invoquer Jessica (mais avec ces tournures inquiétantes, ces aigus aux nombreuses psychoses). Loin de s’arrêter en si bon chemin, Avigdor multiplie les faits d’arme. En plus d’interpréter avec force ses compositions, son jeu de guitare fluide, très Harrisonien, s’engage parfois dans des embardées sauvages qui n’ont rien à envier au Loner pour leur capacité à oser cette violence tendue du solo que l’on n’observe guère plus aujourd’hui (Remember Last Time). Le jeune homme et ses trois nubiles acolytes signent une première œuvre accomplie, délicate et tempétueuse. On y retrouve les affres que nous avions connues quand nos vingt ans rimaient avec questionnement. La révolte et le mal-être n’étaient jamais bien loin. Nous nous construisions alors. Un âge non pas naïf mais clairvoyant, lucide. Et heureux cependant. Ce disque en témoigne et nous dit au fond « Ne refuse pas de regarder le temps passer ». Carpe Diem. Merci la Californie, merci Sub Pop et Avigdor.

http://www.myspace.com/avibuffalo



19-05-2010 | Envoyer | Commentaires (1) | Lu 2681 fois | Public Ajoutez votre commentaire