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Interview de J.-K. Huysmans. Affaire Adelswärd-Fersen, 4e partie

Par Bruno Leclercq

Interview de J.-K. Huysmans. Affaire Adelswärd-Fersen, 4e partie
Affaire Adelswärd-Fersen, 4e partie
Quand Huysmans s'en mêle

Nous avons pu constater en suivant les premier jours de l'affaire Adelsward à travers les articles de la presse quotidienne, que celle-ci a beaucoup titrée sur les « Messes noires » qui se seraient déroulées dans la garçonnière du jeune baron-poète, avenue de Friedland. Le corps des articles ne s'appesantissait pas sur le sujet, par manque d'informations d'une part et tout simplement parce que les bacchanales des mercredis et dimanches, n'avaient rien à voir avec les messes noires. Déjà dans son entretien avec Fernand Hauser dans La Presse, du 11 juillet, M. Valles, le juge d'instruction chargé de l'affaire disait : « ils avaient en vue, des fins moins mystiques que la célébration du culte de Satan. ». Un occultiste rencontré sur le trottoir devant l'immeuble par le même journaliste faisait lui aussi la différence entre les pratiques occultes et les réunions de l'avenue de Friedland :

« - Des messes noires, me dit-il, il en est célébré fort souvent, à Paris, et on ne peut rien contre nous ; nos cérémonies sont strictement privées ; les ostensoirs sont consentants... Alors ?... Et, du reste, soyez certains que nos messes sont très mystiques et très édifiantes... On n'y accomplit pas les horreurs que vous pouvez croire... Les gens qu'on a arrêtés dans cette maison n'étaient pas des sataniques ; c'étaient simplement des érotomanes... Il y a une nuance...!

- Une nuance... si petite...

Mon interlocuteur me confie encore qu 'en certaines maisons où l'on célèbre assez publiquement des messes blanches, en l'honneur d'Isis, on célèbre, dans d'autres circonstances, et moins publiquement, des messes noires en l'honneur de Satan.

Mais il m'affirme que, dans ces messes, blanches ou noires, tout se passe très correctement.

« Au reste, ajouta-t-il, il n'y a que des grandes personnes ».

Ce n'est donc pas un hasard de lire dans le même journal, du 12 juillet après l'article de Fernand Hauser sur la littérature de Jacques d'Adelsward, un entretien avec Joris-Karl Huysmans qui démystifie, lui aussi, les actes du baron et de ses amis.

A PROPOS DE MESSE NOIRE

Interview de M. Huysmans

On a parlé, à propos des tristes personnages de l'avenue de Friedland, un peu imprudemment peut-être, de Messe noire.

Qu'est-ce que la Messe noire, cette cérémonie satanique qui est mêlée au scandale qui vient de soulever l'indignation publique ?

Nous l'avons demandé à l'auteur de Là-Bas :

- Des messes noires ? Nous dit M. Huysmans. Mais, cher monsieur, il n'y a pas là trace de messes noires. Il fallait à ces sadiques un dieu. Cela faisait mieux d'avoir dans leur appartement des guirlandes de roses et des têtes de morts. Mais il ne faut aucun de ces objets pour célébrer la messe noire. Pour cette cérémonie infernale, il faut un prétre pour officier, une femme nue et un enfant pour égorger. Je crois qu'aucun de ces personnages n'est passé par le rez de chaussée de l'avenue Friedland.

En disant ces mots, M. Huysman se lève et va à l'un des rayons de sa bibliothèque. Il en revient avec un livre rouge – est-ce le rouge de l'enfer ? - et me dit :

- Voici le récit exact d'une messe noire. Pour l'instruction et la curiosité de vos lecteurs, lisez et écrivez. Ces documents sont authentiques. Ils viennent des archives de la Bastille et ont été réunis par M. Frantz Funck-Brentano. La messe noire que vous allez décrire a été célébrée par l'abbé Guibourg.

L'abbé Guibourg

Guibourg se prétendait bâtard de la maison de Montmorency. Il avait soixante-dix ans. Son teint était lie de vin. Il tournait complètement un oeil. Dans ses monstrueux offices, il égorgea les propres enfants qu'il avait eus de sa maîtresse, une grosse fille rousse, la « Chanfrein ».

Pour obtenir de la messe noire le résultat désiré, il fallait qu 'elle fut célébrée trois fois de suite. Au château de Villebousin se rencontrèrent un jour Mme de Montespan, l'abbé Guibourg et « une grande personne » qui fut certainement Mlles Desoeillets. Dans la chapelle du château le prêtre dit la messe sur le corps nu de la favorite (Mme de Montespan) couchée sur l'autel. A la consécration, il récita la conjuration dont il donna le texte aux commissaires de la Chambre :

« Astaroth, Asmodée, princes de l'amitié, je vous conjure d'accepter le sacrifice que je vous présente de cet enfant, pour les choses que je vous demande, qui sont que l'amitié du roi, de monseigneur le Dauphin, me soit continuée et honorée des princes et des princesses de la cour, que rien ne soit dénié de tout ce que je demanderais au roi, tant pour mes parents que serviteurs ».

Guibourg avait acheté un écu l'enfant qui fut sacrifié à cette messe et qui lui fut présenté par une grande fille ; et ayant tiré du sang de l'enfant qu'il piqua à la gorge avec un canif, il en versa dans le calice, après quoi l'enfant fut retiré et transporté dans un autre lieu.

-Voici le compte rendu d'une des messes, me dit M. Huysmans, messe qui fut dite sur le corps de Mme de Montespan ; voici maintenant d'autres détails.

Quelques détails

La fille de la Voisin, écrit La Reynie, a vu dire de la sorte des messes sur le ventre de sa mère, par Guibourg. Elle aidait sa mère à préparer les choses nécessaires pour cela.

Un matelas sur des sièges, deux tabourets aux deux côtés où étaient les chandeliers avec des cierges. Après quoi, Guilbourg venait de la chambre à côté revêtu de sa chasuble – blanche semée de pommes de pins noires. Après quoi, la mère faisait entrer dans la pièce la femme sur le ventre de laquelle la messe devait être dite. La fille de la Voisin ajoute :

« Lorsque je fus plus avancé en âge ma mère me permit d'assister à ces messes et j'ai vu que la dame était toute nue sur le matelas ayant la tête pendante soutenue d'un oreiller sur une chaise renversée, les jambes pendantes, une serviette sur le ventre, une croix à l'endroit de l'estomac. Le calice sur le ventre. »

M. Huysmans ferme son livre.

- Croyez-vous, me dit-il qu'il y avait une femme pour se prêter à cette cérémonie chez ces messieurs ? Non n'est-ce pas ? Donc pas de messe noire, pas de cérémonies démoniaques, mais simplement des individus de mœurs bien tristes.

La Presse, 12 juillet 1903


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