Le mercredi 12 mai dernier avait lieu le sixième petit-déjeuner « Les Débats du Cri ». Le thème : pour ou contre l’interdiction constitutionnelle des déficits publics ? Pour en débattre, Fabrice Layer, assistant parlementaire du député UMP Marc Le Fur, et Jean-Philippe Feldman, avocat constitutionnaliste.
Fabrice Layer présentait la proposition de loi constitutionnelle de Marc Le Fur, qui vise à interdire les budgets de l’État en déficit à l’horizon 2018.
L’argument est qu’une réforme de la Constitution serait plus dure à défaire qu’une simple loi organique. Pour réviser la Constitution, il faut en effet que le président de la République convoque le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) réuni en Congrès à Versailles. Et cela nécessite une majorité des 3/5e.
Rapidement, les limites de cette proposition de loi sont apparues dans la présentation de Fabrice Layer : cette réforme ne concernerait que le budget de l’État, pas celui de la Sécurité sociale ni ceux des collectivités territoriales, et l’interdiction du déficit exclurait les dépenses d’investissement pour se cantonner aux dépenses de fonctionnement. Fabrice Layer a argué d’un « retour sur investissement » que permettraient les investissements de l’État.
Autant de limites qui ont rendu Jean-Philippe Feldman sceptique quant à l’effectivité d’une telle réforme (voir explications dans la vidéo ci-dessous).
Il a commencé par rappeler que le gouvernement actuel, porté au pouvoir il y a trois ans seulement sur la promesse de ne pas augmenter les impôts, a créé 20 taxes depuis, et étudie la mise en place d’une taxe sur les fruits et légumes. Le scepticisme est donc de rigueur, d’autant que l’argument de la difficulté de défaire cette proposition de loi est spécieux : la Constitution de la Ve République a été révisée 24 fois depuis sa promulgation en 1958, soit plus que la Constitution américaine depuis 1791. Maître Feldman a aussi insisté sur le fait qu’une interdiction des déficits est illusoire tant que les budgets de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales ne sont pas inclus dans la réforme : ce sont ces budgets qui ont le plus augmenté ces dernières années.
Jean-Philippe Feldman a également noté que l’économiste Jacques Delpla, dans une note pour la Fondation pour l’innovation politique, a précisé que « des exceptions à la règle d’équilibre budgétaire existent en cas de circonstances exceptionnelles ». Or, c’est précisément ce prétexte des « circonstances exceptionnelles », depuis le début de la crise financière à l’été 2008, qui est toujours invoqué pour justifier l’explosion des déficits publics.
Jean-Philippe Feldman craint donc que l’exception ne devienne la règle. À cet égard, le partage des dépenses de l’État entre le fonctionnement et l’investissement lui a semblé spécieux : il risque de conduire les majorités parlementaires à faire passer des dépenses de fonctionnement en investissement pour présenter des budgets en équilibre. Affirmant qu’il « n’est pas keynésien », Me Feldman a ajouté que l’investissement par l’État n’est pas facteur de croissance, puisque l’argent qu’il investit quelque part doit bien être prélevé ailleurs. Il y a les investissements qu’on voit et les impôts qu’on ne voit pas… ou qu’on essaie le moins possible de montrer.
La notion-même d’interdiction des déficits publics est d’ailleurs potentiellement dangereuse, a rappelé Jean-Philippe Feldman. S’agit-il d’équilibrer les budgets en baissant les dépenses de l’État, ou au contraire en augmentant les prélèvements obligatoires ? La doctrine fiscale française étant de dépenser d’abord, et de recouvrir les dépenses par l’impôt ensuite, cette interdiction risque donc fort de conduire à un accroissement des impôts.
Plus que du déficit budgétaire, il y a nécessité de réduire les impôts et les dépenses publiques. Pourquoi ne pas instaurer une « flat tax » ?, (impôt proportionnel), s’est interrogé Jean-Philippe Feldman en guise de conclusion.
Alain Dumait, directeur de la publication du Cri du Contribuable, s’est en outre interrogé sur l’entrée en vigueur de cette loi constitutionnelle en 2018. Il aurait fallu un an, de 2008 à 2009, pour passer de 3 % de déficit rapporté au produit intérieur brut (PIB) à 8,5 %, et il en faudrait huit pour revenir à la normale ? Pourquoi ne pas prendre cet engagement maintenant, en 2010 ?
Le président de Contribuables Associés Alain Mathieu, comme Jean-Philippe Feldman, a avoué être sceptique sur le caractère constitutionnel de cette interdiction des déficits budgétaires : lors de l’adoption du Traité de Maastricht, en 1992, il a fallu réviser la Constitution pour que les critères de convergence soient respectés. Ceux-ci prévoyaient un déficit budgétaire maximal de 3 % du PIB, et une dette de l’État maximale de 60 %. Or, depuis lors, sur 18 budgets votés, seuls sept l’ont été en respect de ces règles constitutionnelles. Onze ont donc violé la Constitution. Le récent plan d’aide à la Grèce constitue, également, un viol de la Constitution.
Un engagement pris pour 2018, a ajouté Alain Mathieu, risque de faire croire que l’objectif est atteint, alors qu’il faudrait prendre des engagements concrets de baisse des dépenses publiques, et tant qu’il en est encore temps.