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Together in presque Paris.

Publié le 18 mai 2010 par Reenco

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Il a 77 ans, elle en a 84.

Et ils m'ont fait le plus beau des cadeaux.

Cinq ans que j'attendais ça, cinq années que j'ai trouvées très longues, même si je les voyais chaque fois que je descendais dans le sud.

Elle n'a plus sa santé de jeune fille, il commence à fatiguer un petit peu. Ils vivent depuis cinquante ans à dix minutes de la Méditerranée, sous un soleil presque permanent.

De leur grande maison entourée de centaines de mètres carrés de pins, cyprès et autres arbres fruitiers, dans leur village bordé de garrigue, Paris, c'était le bout du monde.

S'y rendre, pour eux, relevait de l'organisation d'un voyage d'un mois de l'autre côté de la Terre.

Elle y était passée le temps d'une après-midi, l'année de ses quatorze ans, pour donner un récital avec sa troupe de chant sur la place du Trocadéro. Il y a soixante-dix ans, donc.

Il y arrivait par le train, en venant de Montargis, lorsqu'il était encore militaire, dans les années 70, pour en reprendre un immédiatement en direction de Montpellier, chaque semaine, pendant un an.

Aucun des deux n'avait vraiment vu la couleur de Paris.

Lorsque j'ai décidé d'y vivre, il y a cinq ans, qu'ils m'ont accompagnée jusqu'à mon siège dans ce train qui me séparait d'eux pour la première fois en vingt-deux ans, Paris est devenue une voleuse d'enfant à des années lumière.

Le temps passant, les problèmes de santé grandissant en même temps que leur âge, je m'étais fait une raison. Jamais mes grands-parents ne connaîtraient l'existence que je mène aujourd'hui, l'endroit où je vis, le quotidien de la femme que je suis devenue grâce à leur éducation.

Et pourtant.

Il y a deux mois, ils m'ont téléphoné comme chaque semaine, mais cette fois pour m'annoncer qu'ils avaient décidé d'entreprendre le périple tant redouté.

L'effet de surprise passé (deux jours plus tard), j'ai commencé à compter les jours. Les longs jours.

A 800 kilomètres, un branle-bas de combat s'était mis en place. Mes soeurs mises à contribution pour acheter les billets de train et être sûrs de ne pas faire d'erreur, l'achat de la valise, des polaires (oui, parce que pour un sudiste, l'Ile de France, c'est le Pôle Nord, même en mai), les plantations de certains légumes afin qu'ils soient prêts à temps pour me les amener, la fouille du grenier pour me ramener ma boite à couture, les coups de fil à tous les oncles, tantes, enfants, petits-enfants pour informer que de telle à telle date ils seraient absents de la maison car ils seraient à Paris ! (Paris- Banlieue, c'est la même, pour eux).

De mon côté, j'ai investi dans de nouveaux oreillers, parce que je m'en serais trop voulu qu'ils aient un mauvais sommeil chez moi, dans du Saint-Hubert 41 Oméga 3 et du vin rouge qu'ils ont l'habitude de boire à chaque repas.

Les deux mois d'attente passés, je les attendais sur le quai de la gare, le coeur battant à mille à l'heure, stressée comme une pieuse qui recevrait le Pape, en me répétant "Cinq ans que je les attends, dans cinq minutes, ils sont là !".

Quatre. Trois. Deux. Un.

Le train s'est arrêté, je les ai vus à travers la vitre, et dès qu'ils ont descendu la marche, je me suis jetée sur eux en les serrant contre moi comme jamais. Ils m'ont serrée aussi fort, et nous avons éclaté de rire, probablement fait de trac et de joie, parce que nous étions en train de vivre un évènement fort en émotions. Une vieille dame, assise dans le train qui nous observait à travers la vitre nous a lancé un sourire d'une immense tendresse.

Ces cinq jours sont passés à une vitesse folle. Cinq jours pendant lesquels j'ai oublié le reste de la vie. Tout le reste. C'était la première fois en vingt-sept ans que je les avais pour moi toute seule, que je ne les partageais pas avec mes vingt-quatre cousins et cousines, je n'en aurais pas laissé une miette.

Je les ai observés découvrir cet autre monde, qui pour eux n'existait jusque là qu'à la télévision. J'ai ri aux éclats de voir mon grand-père essayer de comprendre le fonctionnement des transports en commun, notamment le RER, je me suis marrée en l'écoutant pester à cause du monde dans les rues parisiennes, j'ai passé des heures sur le canapé près de ma grand-mère à apprendre à faire des mailles doubles, triples et autres torsades avec les aiguilles qu'elle m'avait offert pour Noël. J'ai adoré leur montrer ma ville (toujours bardés des fameuses polaires sous une doudoune!), les voir dégainer l'appareil photo (numérique, ouaipe, ils sont dans le coup mes granps !) toutes les dix  secondes, leur faire goûter à mon restaurant favori, observer les oiseaux sur le lac avec mon grand-père, m'expliquant comment distinguer les merles mâles des femelles.

J'ai vu les étoiles dans leurs yeux lorsque je leur ai annoncé que je les emmenais au théâtre, pour la première fois de leur vie, sur les grands Boulevards. Et quelle ne fut pas leur surprise, quand ils ont découvert qu'ils allaient y voir Jean-Luc Reichman, qu'ils adorent regarder chaque jour à la télévision. Leurs éclats de rire résonnant dans la salle du théâtre des Variétés n'ont fait que confirmer que ce cadeau (fait par ma Maman), les enchantait.

Nous avons parlé des heures et des heures, du phonographe autour duquel mon Papi dansait en famille après les repas lorsqu'ils était enfant, de la graisse de boeuf que ma Granny mélangeait aux cristaux de soude pour faire du savon pendant la guerre, joué au Trivial Poursuit en piquant des fous rire incontrôlables, surtout quand ils ont du lire des mots en anglais, nous avons dessiné notre arbre généalogique autant que nous pouvions, contacté des établissements dans lesquels auraient travaillé certains de nos aïeux au 18ème siècle, nous avons chanté à tue-tête sur du Boris Vian et les Compagnons de la Chanson en préparant les repas, je leur ai appris à cuisiner de la lessive maison, j'ai fait des smoothies à la fraise à mon Papi que nous avons bu aux goûters, comme des enfants, sous le regard amusé de Granny.

Cinq jours de bonheur, comme il peut rarement en exister d'autres dans une vie.

Mais ce que j'ai préféré, c'est observer ces deux amoureux, aussi fous l'un de l'autre qu'il y a cinquante-cinq ans, marcher main dans la main, se prendre dans les bras, se soucier de tout pour l'autre, se regarder avec un amour non dissimulable.

La séparation, sur le quai de la gare, a été une déchirure qui était à prévoir. Les larmes de mon Papi, soit-disant causées par une poussière venue d'on ne sait où juste au moment de dire au revoir (un ancien militaire ne pleure pas, hein), ont rendu ce moment encore plus émouvant.

Lorsque ma Granny a annoncé "On reviendra", mon coeur s'est remis à battre à mille à l'heure.


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