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Carnets de déroute, suite

Publié le 20 décembre 2005 par Bertrand Gillet
Chapitre 3, quatrième partie
Mardi, 9h00. Le radio-réveil me tira de mes turpitudes nocturnes et autres rêveries psychédéliques par un riff imparable, une pluie d’étoiles en guise de petit matin radieux, dessinée par une guitare au son gorgé de réverbération, superbe. Le nom du combo, scandé par le programmateur radio, l’excellente station Perfumed Garden, sonna comme un doux rappel : Cosmic Charlie, comme le titre des Grateful Dead. Ils étaient parisiens, mais semblaient sortir d’un squat hippie au cœur de Haight-Ashbury, les chœurs portaient haut leur référence californienne façon Pride of Men de Quicksilver Messenger Service, cavalier vif-argent qui fendit l’air de Frisco en l’année 1968  comme une flèche étincelante au préalable trempée dans le poison précieux de l’électricité dissonante. Stoned Dreamer, trip opaque et nébuleux, entraînant comme une cavalerie déboulant plus tôt que prévue, pour danser avec les Indiens une sarabande psychédélique. Trois autres singles déboulent claquant comme un lasso de cow-boy sous acide dévalant des plaines multicolores dans une ligne de fuite snifée,  dérapage d’étoiles à l’horizon avec des chants de chercheurs d’or, des litanies miraculeuses de quakers en plein trip, les mormons ont dépenaillé leurs âmes bien faites pour l’office alchimique. Bref, les titres étaient bons, troussés dans la droite lignée du Brian Jonestown Massacre avec des références explicites piochées dans le terreau des maîtres sixties, je citerai dans le désordre de l’esprit à peine éveillé, Savage Resurrection, Mad River, Kak, la voix quant à elle explorant des territoires morrisonnien brisés comme des tessons luminaires, écrasés dans les cendriers éteints de la mémoire du rock.  Parfaite mise en abîme d’une matière malléable qui définissait dans les cartilages disponibles de mes oreilles affamées, glapissantes, un principe, pas une chanson ou un banal air que l’on sifflote mais un concept, une tapisserie sonore sur laquelle je m’envolais, était-ce encore le signe d’un rêve, m’étais-je sorti du trou noir de mon sommeil, je ne pouvais réellement savoir… Sandoz était-il le prophétique responsable de cet état second ? Je décidais de m’arracher à la lourde réalité physique qui oblige tout corps à tomber sous l’effet de sa masse bien que Monsieur Newton ait quelque peu omis de considérer les possibilités nouvelles qu’offre la drogue lorsqu’elle se faufile, insidieuse, dans les circuits branchés des hémisphères gélatineux du génie humain.  Je me levais péniblement donc, quand mon pied encore sous l’empire de Bacchus glissa sur la bouteille magique qui vint se rompre sur le mur blanc dans un bruit sec et net, presque coupant, coupant court à tous mes espoirs de vie nouvelle où chaque vœu est une table de la loi à lui tout seul. Ma tête s’enfonça alors dans mes mains tremblantes. Je pleurais longtemps…

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