Les éditions José Corti publient Journaux 1959-1971, d'Alejandra Pizarnik dans la collection Ibériques.
Alejandra Pizarnik,
Journaux
Présentés par Silvia Baron Supervielle, traduits par Anne Picard
Collection
Ibériques, José Corti 2010
320 pages - 22 €
L’auteur
La poète argentine Alejandra Pizarnik (dont le prénom de naissance était
Flora) est née le 29 avril 1936, à Buenos Aires où ses parents d’origine russe
étaient arrivés dans les années trente, fuyant l’antisémitisme. Elle perd son
père très tôt et sa mère sombre alors dans une grave dépression. Elle commence
à publier ses poèmes dès l’âge de 20 ans ; elle fait des études de lettres et
de peinture et s’installe en 1960 à Paris se liant avec André Pieyre de
Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar. Elle travaille comme correctrice
d’épreuves, traduit Hölderlin, Artaud, Michaux, Aimé Césaire et Yves Bonnefoy.
Elle rentre en Argentine en 1964 en raison de la dépression de sa mère. En 1969
une bourse de la fondation Guggenheim lui permet de séjourner aux États-Unis et
d’écrire un essai sur Erzebeth Bàthory. Elle se donne la mort le 25 septembre
1972, à l’âge de 36 ans. Elle avait noté dans son Journal, en 1962 « Ne
pas oublier de me suicider » (Bio-bibliographie parue dans Poezibao, lire
la suite)
A propos de ce livre
Depuis les années 50 jusqu’à son suicide, en 1972, Alejandra Pizarnik n’a
eu de cesse de se forger une voix propre. Conjointement à ses écrits en prose
et à ses poèmes, le journal intime qu’elle tient de 1954 à 1972 participe de
cette quête. Une voix creuse, se creuse, avant de disparaître : « Ne
pas oublier de se suicider. Ou trouver au moins une manière de se défaire du
je, une manière de ne pas souffrir. De ne pas sentir. De ne pas sentir
surtout » note-t-elle le 30 novembre 1962.
Le journal d’Alejandra Pizarnik se présente comme une chronique des jours
hybride, qui offre à son auteur une sorte de laboratoire poétique, un lieu où
s’exprime une multiplicité de « je », à travers un jeu spéculaire. Lire la
suite
Ce qu’ils en disent
Philippe Lançon, Libération, 13 mai 2010 :
Elle fut l’astre de la poésie argentine des années 60, ses «Journaux» sont
traversés par les thèmes de la mort, du désir, de la liberté.
La mort fouette la jeunesse, ennuie les imbéciles et ne réjouit pas les autres.
Alejandra Pizarnik, l’un des grands poètes argentins, est morte à 36 ans,
le 25 septembre 1972, dans son petit appartement plein de livres à Buenos
Aires, après avoir pris du Seconal. C’était une petite femme célèbre, primée,
vivace et malheureuse, au regard intense, avec une jolie bouche, une lèvre
inférieure qui fleurissait légèrement vers son propre désir, et que ses
dernières photos nous montrent fanée en grâce. La veille du suicide, elle avait
demandé à une amie d’achever de faire le tri dans son journal, tenu depuis
1959, de façon à lui donner une unité de style et de perspective : comment
lire, écrire, vivre et mourir. (lire l’article
ici)
Extraits
samedi 24 novembre 1960
Tout est substituable. Tout est remplaçable. Tout peut mourir et disparaître :
derrière il y a toujours les remplaçants, un peu comme dans les fêtes foraines,
ces figurines qui s’abattent après chaque tir de carabine et qui sont immédiatement
remplacées par d’autres, d’autres toujours et encore. Il n’y a donc rien qui
oblige à vivre et rien qui n’y oblige pas. Tout, ou presque tout, est mensonge puisque
les choses tombent ou peuvent tomber. La seule chose fiable est cette soif de
quelque chose qui fait vivre. Mais elle n’est pas absolument fiable car elle
doit coexister avec d’autres faims, d’autres soifs alterner avec elles, et elle
peut disparaître plusieurs années avant de réapparaître. (p. 54)
Mardi 21 juillet 1964
[...] quel besoin ai-je de faire des vers comme Pound ? Pourquoi la
paralytique voudrait-elle danser ? Marcher, d’abord. C’est ça : dire.
(À qui) ?. Mais non. D’abord le vers d’Artaud : « il fallait d’abord
avoir envie de vivre ». (p. 227)
6 novembre 1967
Je sens de plus en plus que mon domaine est la prose. Poème en prose ou n’importe
quoi en prose. Je ne peux pas faire des vers dans un langage étranger et
exécré. Je veux le mimer mais en prose. Prose parfaite – impossible désir –
dont la finalité serait [illisible] la prose de ma terrible langue.
Pendant ce temps, je classe des choses en vue d’un livre. Sans ferveur ni
passion : il faudrait que ça sorte et puis au diable.
Il y a un poème qui m’intéresse « Pour le repos d’Ahasvérus ».
Je veux écrire sur le juif errant.
(p. 285)
lundi 12 janvier 1970
Je regard le début de la 5e
Élégie de Rilke et il me vient à l’idée que Pour un funambule de Genet est
une « réponse à ce poème. Surtout lorsqu’il demande « pour qui, par
amour pour qui ? – cette volonté toujours insatisfaite » du
funambule.
(p. 343)