Voilà un livre à la couverture et au titre amusants. Non, intrigants serait plus juste.
« Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire », a-t-on souvent vu titre aussi long ? Et afficher cette injonction sur un panneau planté devant un grillage…
C’est donc avec une certaine curiosité que j’ai entrepris la lecture de ce roman.
Il se passe en Ariège. Papa y mène une vie tranquille, loin de la civilisation. Et un jour arrive Arezki, et lui, ainsi que les préjugés qui accompagnent souvent la venue d’un étranger [préjugés devenant facilement inquiétudes, particulièrement à la campagne] viennent perturber l’agréable routine de Papa et de son entourage.
Premier choc (et pourtant, le mot d’introduction m’avait prévenue) : le style. Hachuré. Littéralement. Avec des phrases. Coupées en deux. En trois, en quatre. Ou en douze. Sans que je ne puisse comprendre. La logique de ce découpage (j’essaye ; et c’est d’ailleurs moins désagréable à écrire qu’à lire). J’arrête - cet extrait sera suffisamment éloquent :
« Lorsqu’à son tour il se mit à courir vers l’étable. Un sprint véloce. A peine rose à l’arrêt. Arezki crut bien que toute cette équipée sauvage. En fait de jantes chromées. Très vite allait virer au rouge mercurochrome. Et comme Papa déjà réapparaissait à l’improviste. De derrière le rideau noir de sa cache improvisée de magicien. Précédé d’un bruit de tondeuse à gazon. Au volant d’un engin étrange. Deux-places. Ce qui en tout nous faisait un curieux équipage. Bois tout étiolé et tôle acide. Musical et folklorique. » (page 87).
Bon, voilà. Cela m’a perturbé, même franchement dérangé. J’ai bien senti que c’était le but, alors au moins, c’est réussi. Mais heureusement que le livre n’était pas plus long (114 pages) : je n’aurais pas tenu plus longtemps.
Et c’est dommage, car il émerge de ces phrases une musique, la mélodie sort peu à peu du marasme sonore que l’on croyait distinguer d’abord. L’univers est intéressant, les personnages qui y évoluent sont attachants. Cela m’a évoqué de douces lumières, des personnalités fleurant bon le terroir, ou les vieilles chansons d’Eddie Mitchell, par exemple. Les faits sont aussi là, incontestables : les préjugés ont la vie dure, à la campagne plus qu’ailleurs, heureusement que parfois, les évènements permettent de rétablir sinon une certaine vérité, du moins une certaine justice. Ce texte pousse à la réflexion tout en évitant avec pertinence les lieux trop communs.
Au final, ce livre est inclassable. En première page, il est taxé de « Récit ». Face à un texte au titre si long, je choisis une caractéristique qui tient en un mot : musical.
Benoit Jeantet répondra aux questions de sophielit demain.