Régulation financière : le rôle hélas oublié de l'Etat régalien

Publié le 18 mai 2010 par Copeau @Contrepoints

Le débat sur la "nécessaire régulation" de la finance fait rage, non sans quelque raison. Mais visiblement, personne ne se pose la question des caractéristiques d'une bonne et d'une mauvaise régulation. Aussi beaucoup voudraient qu'il y ait PLUS de règles, et PLUS de régulateurs pour les faire appliquer, croyant que cela suffirait à remettre le secteur financier coupable de tous les maux dans le droit chemin.

Or, les échecs, incontestables, du monde financier actuel, ne sont pas le résultat d'un MANQUE de règles. Il sont celui de l'incapacité, pour des raisons variées souvent évoquées ici, des états, de conserver aux réglementations en vigueur leur cohérence, et la capacité de les faire appliquer.

On ne peut aborder le sujet de la régulation sans tenter d'en définir des objectifs, les modes d'intervention, les mesures du résultat, avec une démarche intellectuelle rigoureuse. Il n'est pas question de faire le tour de tous ces sujets dans un seul article, mais de progresser au fur à mesure vers une approche systématique et cohérente des différents modes de régulation, de leur efficacité.

Voyons aujourd'hui les apports possibles et réels de l'état régalien à la régulation financière.

L'état régalien

L'Etat régulateur a fixé de nombreux objectifs à ses interventions. Sans discuter de la pertinence de ces objectifs ou de leur atteinte effective, citons : la normalisation technique, la fourniture des moyens de l'échange (routes et monnaie), la prévention des risques, la prévention des faillites bancaires, l'aide aux démunis, la redistribution des richesses, la protection de l'environnement... L'état est il légitime à intervenir dans tous ces domaines ? Est-il efficace ? Pourrait-il l'être ? Tous les articles de ce blog traitent peu ou de cela, pêle mêle. Mais quid de ses fonctions basiques ?

Historiquement, le premier rôle des premières formes de pouvoir fut de protéger les communautés des agressions extérieures et des mauvais agissements de certains de ses membres, soit préventivement, soit curativement. Les premières formes de pouvoir étant le plus souvent organisées autour d'un souverain, s'arrogeant le monopole de cette défense, ces missions essentielles furent qualifiées par la suite de régaliennes.

Il existe plusieurs courants de pensée au sein du libéralisme. L'un d'entre eux, le courant anarcho-capitailiste, voit en toute forme d'intervention publique une menace implicite et qui pense que toute problématique doit être prise en charge par des institutions de nature privée. L'autre, le courant libéral "classique", largement majoritaire, estime que la société libérale ne peut se passer d'état, pourvu qu'il respecte un certain cahier des charges, pour assumer ces missions régaliennes.

Laissons de côté les questions de défense, sans rapport direct avec la régulation financière et économique en général, et intéressons nous plutôt à la régulation de la malhonnêteté, tout à fait essentielle dans un état de droit, et plus particulièrement de la malhonnêteté économique.

La régulation de la malhonnêteté : sanction et prévention de la prédation

Il existe trois façons de gagner sa vie : s'inscrire dans un système d'échanges libres, y échanger son travail contre celui des autres, et s'y comporter en honnête homme, c'est à dire, selon l'éthique libérale définie par Jacques de Guénin, "s'interdire d'obtenir quoi que ce soit de quiconque par quelqu'un par coercition ou tromperie". Ce comportement peut être qualifié de "producteur", ou "d'honnête homme".

A l'opposé du spectre, il existe des individus qui trouvent que la coercition et la tromperie ne heurtent pas leur morale personnelle et qu'il y a pour eux avantage à l'utiliser. Ce comportement est typique du prédateur. Il vise à obtenir plus en donnant moins.

Enfin,il existe une troisième famille de comportements, que certains appellent "rentier", "exploiteur" ou "assisté", selon ses préjugés, ou selon que la rente soit d'origine capitaliste, assurancielle, ou d'une politique redistributive des états. La classification des bénéficiaires de ces rentes est l'objet de débats souvent houleux entre libéraux et socialistes, cet article ne l'abordera pas.

Retenons simplement que l'homme oscille constamment entre la tentation prédatrice et la raison productrice. L'homme est il par nature bon ou mauvais ? Producteur ou prédateur ? Est il amélioré ou corrompu par le système dans lequel il vit ? A ce jour, il n'y a aucune réponse scientifique sérieuse à cette question qui est l'une des sources majeures de réflexions philosophiques, éthiques et juridiques depuis la nuit des temps.

Mais une expérience intéressante apporte quelques éléments de réponse qui en valent bien d'autres. Cette expérience est relatée par Levitt et Dubner (photo) dans le très controversé ouvrage "Freakonomics" qui leur valut un succès d'édition notable, et des polémiques sans fin.

Une histoire de Bagels : 13% de "pourris naturels" ?

Un fabricant de bagels de l'est des USA, M. Feldman, avait imaginé le modèle économique suivant : il laissait une corbeille de bagels à 1$ aux différents étages des grands établissements de Manhattan, et récupérait le soir la corbeille remplie de dollars et des très rares bagels invendus (ce devaient être de très bons bagels !). Naturellement, une partie des clients prenait les bagels sans payer, car le risque juridique était nul : Tout ce que risquaient les consommateurs indélicats était d'une part, que la connaissance de leur méconduite leur vaille une certaine réprobation sociale de leur entourage, et d'autre part, que la livraison de bagels s'arrête si le produit du vol excédait la marge du fabricant. En contrepartie, le bénéfice du vol était faible : celui qui ne payait pas son bagel pouvait être considéré comme un "malhonnête naturel", c'est à dire quelqu'un dont la tentation malhonnête n'était pas "pervertie" par un risque trop grand ou un espoir de gain trop élevé.

Très méticuleux, notre fabricant a consigné toutes ses corbeilles durant des années.

La moyenne retournée pour 100 bagels a toujours été à peu près constante autour de 90$ pour 100 bagels, avec un minimum à 87$ avant l'été 2001. La mythologie autour du nombre 13 trouvera là sans doute un nouveau sujet de création artistique !

Plus intéressant, notre fabricant a trouvé que plus la corbeille était posée dans des étages proches de ceux de la haute direction, moins le retour des corbeilles était bon. Cela n'a rien d'étonnant. Ces places sont rares, chères, et il est compréhensible qu'une partie des personnes qui s'y trouvent aient été sélectionnées par leur aptitude aux "coups tordus". Le même phénomène se retrouve au sommet des pyramides politiques, et, lorsque l'on regarde le who's who des politiciens français qui ont été impliqués dans des affaires plus que douteuses, l'on se rend compte qu'au niveau de responsabilités nationales, le pourcentage de gens à la morale personnelle élastique, donc potentiellement prédatrice, excède très notablement 13%.

Il ne faut pas faire dire à cette expérience plus qu'elle ne dit. Mais on peut raisonnablement estimer que dans un certain environnement institutionnel et culturel qui est celui des quartiers d'affaires aux USA, le taux de "prédateurs naturels" varie autour de 10-13%, avec une certaine propension à augmenter dans certains milieux, notamment aux sommets des pyramides hiérarchiques. Dans un autre pays avec une autre culture, ce pourcentage serait peut être plus faible ou plus élevé. Au fond, plus de 85% d'honnêtes gens, voilà qui est plutôt rassurant pour l'espèce humaine. Mais évidemment, le problème posé à la société est celui du potentiel de nuisance de la fraction malhonnête restante.

Bonnes et mauvaises incitations

Intéressons nous aux facteurs qui auraient pu faire varier ce pourcentage.

Imaginons maintenant que notre fabricant de bagels ait eu à sa disposition un moyen imparable d'identifier les mauvais payeurs et de leur envoyer un gentil courrier de relance avec menace de dénonciation aux autorités. Le plus probable est que la plupart des 13 % de voleurs auraient soit renoncé à consommer un bagel, soit accepté de payer le dollar réclamé. Notre vendeur aurait alors retiré, disons, 94$ par corbeille de 100 bagels, 4 ou 5 invendus, et le taux de fauche serait tombé à 1 ou 2% par un ou deux irréductibles voleurs congénitaux qui ne pourraient pas s'en empêcher et trouveraient le moyen de contourner la surveillance de M. Feldman.

Vous me direz, à ce stade, que vous ne voyez pas le rapport avec la crise financière.

Mais imaginons maintenant que, le risque d'être pris étant faible, l'enjeu de la rapine ne soit pas un bagel à un dollar, mais l'argent de l'entreprise et des actionnaires, et qu'un dirigeant haut placé mais peu ou pas actionnaire de sa grande banque ait les moyens, disons, d'exposer sa banque à un niveau de risque insoutenable à long terme, mais permettant à très court terme de se verser des bonus élevés, voire de choisir le bon moment pour vendre son paquet d'actions personnelles au plus haut, avant le grand plongeon : quel pourcentage de dirigeants auraient allègrement franchi le pas ?

Bref, le risque de rencontrer des acteurs économiques malhonnêtes (M) est égal à une fraction incompressible de l'humanité (K) MOINS un terme fonction du risque de se faire prendre et punir (R) PLUS un terme fonction croissante de l'espoir de gain (G).

M= K - (R) + (G)

Une bonne régulation de la prédation suppose donc que R soit élevé et G faible. Comme, dans la haute finance, réduire l'espérance de gain lié à la tricherie G est difficile (la finance brasse de toute façon beaucoup d'argent), augmenter la valeur de R, donc le risque de punition, est vital.

Sans risque de sanction, il n'est point de régulation possible

Tout comme l'histoire des bagels de M. Feldman, les comportements des dirigeants de certaines banques avant le déclenchement de la crise (et après aussi...) montrent qu'en l'absence de risque de sanction, ou du moins lorsque le risque de sanction perçu est faible, alors l'occurrence de tricheurs est inévitable, et que la propension à la tricherie – et le pouvoir de nuisance sociétale qui en résulte - est fonction sans doute croissante de ses bénéfices attendus. Et peut être, à partir d'un certain point, exponentiellement croissante.

Pour avoir négligé cet aspect inhérent à la nature humaine, certains économistes, y compris libéraux, ont cru que les simples "forces de marché" auraient pu éviter d'en arriver là, du moins à une telle échelle. Le plus emblématique d'entre eux est Alan Greenspan qui a déclaré au Congrès, alors qu'il était entendu en tant qu'ex président de la FED, que :

“I made a mistake in presuming that the self-interests of organizations, specifically banks and others, were such as that they were best capable of protecting their own shareholders and their equity in the firms,”

« Je me suis trompé en présumant que les intérêts propres des organisations, spécialement des banques et autres, étaient tels que les actionnaires et leur capital dans ces firmes n'en serait que mieux protégé. »

L'erreur de Greenspan vient de ce qu'il n'existe pas d'intérêt des organisations, mais que des intérêts des individus qui la composent. Si la plupart des salariés ont intérêt que leur entreprise soit durablement bien portante, certains peuvent faire un calcul différent et essayer de prendre beaucoup très vite, et laisser aux suivants le soin de réparer les dégâts éventuels.

Les économistes ne sont pas tous de bons sociologues, et à leur décharge, reconnaissons que l'inverse est également vrai. La sagesse populaire sait depuis longtemps que lorsque l'on ouvre un pot de confiture devant un enfant, il va plonger les mains dedans si rien ne l'en retient. La peur de la sanction est absolument indispensable pour réduire la probabilité qu'un dirigeant non ou peu actionnaire de son entreprise n'arbitre en faveur de ses intérêts à court terme, et contre ceux de ses actionnaires à long terme.

Et pour que la peur de la sanction soit effective, il faut que quelques conditions soient remplies.

Tout d'abord, les moyens de détection de la prédation doivent exister. Ensuite, il doit être possible de se saisir de la personne et des biens du prédateur, afin de pouvoir d'une part rembourser, autant que faire ce peut, les préjudices causés aux victimes, et ensuite punir le prédateur pour son mauvais comportement, et ce de façon à ce que la perte liée à la découverte de son méfait soit supérieure, voire très supérieure au gain qu'il en a retiré.

Bref, il faut que les gens honnêtes puissent avoir la possibilité de se comporter comme des prédateurs vis à vis des prédateurs. Autrement dit, la prédation est indésirable lorsqu'elle est "offensive" et s'exerce du prédateur vers l'honnête homme, mais elle est hautement indispensable lorsqu'elle est "défensive" et s'exerce des honnêtes gens envers les prédateurs "offensifs".

Seul problème, qui va décider qu'une personne est un prédateur, et qui va dans les faits pouvoir exercer la contre-prédation ?

Pourquoi l'Etat ?

Le problème est que les personnes en charge de la "prédation contre les prédateurs" doivent pratiquer la "prédation honnête". Dur paradoxe, quand votre spécialité est justement l'emploi de la coercition contre des tiers. Or, n'oublions pas que, d'après les bagels du bon M. Feldman, il y a dans chaque groupe une moyenne de 10 à 13% de malhonnêtes congénitaux (aux réserves sur l'universalité de ce chiffre près), et que le ou les organismes contre-prédateurs n'échapperont pas à cette fatalité. Or, si le contre-prédateur utilise sa force contre l'honnête homme, il cesse lui même d'être un honnête contre-prédateur défensif, désirable, et devient un prédateur offensif, nuisible.

Des polices et justices purement privées, sans qu'il existe une puissance qui les dépasse capable de briser leurs aspirations prédatrices, tendront à se comporter comme n'importe quel CEO de Countrywide ou de Lehman Brothers : parce qu'elles comporteront en leur sein une proportion suffisante de gens malhonnêtes, elles transgresseront l'interdit pour maximiser leur avantage, elles tricheront avec l'honnêteté pour "recevoir plus en donnant moins". Pire même, il est probable que leur nature attire à elles d'authentiques prédateurs attirés par les perspectives de gain liés à un usage détourné de la force : elles concentreront dans une même entité une capacité d'usage de la force supérieure à la normale et une propension à la prédation tout aussi hors norme.

La seule réponse, nécessairement imparfaite (mais l'homme est imparfait, rien de ce qu'il crée ne peut être parfait), mais praticable, que les humains ont expérimentées pour que le contre-prédateur soit cantonné dans les limites de la sanction des malhonnêtes, est la démocratie fondée sur la séparation de divers pouvoirs, avec un pilier législatif fondé sur les principes simples de la Rule of Law, et des systèmes d'équilibre entre pouvoirs empêchant que l'un prenne le pas sur les autres et puisse se muer en prédateur incontrôlable. C'est ainsi que les armées sont divisées en corps sous commandement différents, que la gendarmerie est clairement identifiée comme une composante spécifique, complémentaire des polices civiles, qui peuvent être nationales ou locales, le tout sous le contrôle de trois piliers (exécutif, législatif, judiciaire) qui doivent s'équilibrer et empêcher l'un d'entre eux de sombrer dans l'excès prédateur.

Certes, les échecs de l'état contre-prédateur comme les exemples d'états dont les représentants deviennent eux mêmes prédateurs existent, et prennent une ampleur inquiétante dans le contexte actuel. Mais une organisation totalement privée du maintien de l'ordre, dans le même contexte, n'obtiendrait pas de meilleurs résultats.

En effet, sans crainte d'une sanction par un acteur auquel l'impôt donne une puissance financière, et la démocratie une légitimité populaire hors d'atteinte d'un opérateur privé, alors les forces de contre-prédation privées ne sauront résister longtemps à la tentation prédatrice. Le chaos dans lequel se sont enfoncés des sociétés où les prérogatives régaliennes relevaient de facto quasi-exclusivement de l'action privée, tels que le Liban d'avant 1976 ou la Somalie, dès qu'un prédateur un peu puissant a été lâché dans ces sociétés, montre empiriquement que hélas, sauf à inventer quelque chose de nouveau, des pouvoirs publics sous contrôle populaire démocratique ayant les moyens effectifs de lutter contre les prédateurs sont le seul moyen, fut-il très imparfait, d'éviter une telle évolution de la société.

Les anti-libéraux utilisent souvent l'image du renard libre dans le poulailler libre pour discréditer l'idée libérale. Mais les libéraux classiques l'ont toujours rappelé : sans un berger armé pour faire comprendre au renard qu'il a intérêt à contrarier sa nature prédatrice pour pouvoir lui aussi vivre en paix, la coexistence des deux sera impossible. Quand bien même les poules seraient armées elles aussi, face au renard, la lutte serait de toute façon très inégale. Hayek ou Bastiat ont reconnu la nécessité d'un pouvoir public pour limiter la prédation offensive. Le marché fournit un excellent cadre aux échanges libres entre producteurs, mais les outils qu'il a développés pour cette fin ne se révèlent pas aussi bien adaptés à la gestion du rapport de la société à ses prédateurs.

Nous voyons donc pourquoi l'état régalien est un élément indispensable au bon fonctionnement des sociétés humaines. Le problème de nos sociétés modernes est que l'état, en voulant s'investir dans l'économique, le social, le technologique ou le culturel, semble avoir totalement négligé ses devoirs en terme de répression des prédateurs, quelle que soient la forme qu'ils prennent, bandits de banlieue ou grands financiers en costume de luxe. Pis même, trop souvent, le berger semble avoir passé un accord avec le Renard.

Quand l'état protège le prédateur

Les constructions juridiques actuelles rendent difficile la poursuite au pénal de comportements plus que litigieux comme on peut le voir dans le cas de l'affaire des fonds "créés pour chuter" par des banques telles que Goldman Sachs. Nul doute qu'une législation plus basique aurait considérablement réduit l'incitation de cette banque aujourd'hui au centre de bien des scandales à créer certains montages litigieux.

Mais il y a pire. Dans un certain nombre de cas, l'état, loin de poursuivre des personnes dont le comportement a été pour le moins douteux, semble les protéger.

Quelques dirigeants d'établissement financiers semblent avoir, disons, très largement profité de leurs "erreurs de jugement" sur les produits structurés de crédit, entre autres, et n'ont pas personnellement à ce jour beaucoup souffert des pertes que leurs décisions à court terme ont causé à leurs établissements, à leurs actionnaires, à leurs salariés licenciés. Nous pouvons citer entre autres Angelo Mozilo, le CEO de la banque Countrywide, qui aurait semble-t-il régulièrement harcelé Fannie Mae et Freddie Mac pour qu'ils achètent en portefeuille des obligations émises par des MBS packagées par ce même monsieur Mozilo, et qui, sentant parfaitement la nature fragile du montage, aurait revendu la plupart de ses actions avant la débâcle finale. M. Mozilo est actuellement sous investigation par la SEC, mais pour l'instant, aucune charge ne semble retenue à son encontre. Il est également soupçonné d'avoir octroyé à des membres du congrès des prêts particulièrement avantageux : pas de suites non plus.

Nous pouvons également nous rappeler d'un autre personnage (déjà cité ici), Franklin Delano Raines, ex CEO de Fannie Mae jusqu'en 2004, qui fut convaincu par la SEC d'avoir enjolivé les comptes de sa sociétés pour permettre à lui même et son staff de toucher de gros bonus au début des années 2000, reportant les pertes aux années suivantes, et engageant sans états d'âmes Fannie Mae dans la politique de crédits faciles qui allait mettre à genoux cette entreprise garantie par l'état US quelques années plus tard.

Image : J.Johnson (haut), F.D. Raines (Bas), et A. Mozilo (Droite).

A ce jour, Raines, un membre de l'establishment démocrate, n'a pas été poursuivi par la Justice de son pays. Pas plus que son prédécesseur, un certain James Johnson, dont certaines décisions pourtant ont prêté à discussions... Pas plus que M. Mudd, son successeur, qui a, malgré les avertissements de son département des risques, cédé aux pressions des politiques qui voulaient que Fannie (et Freddie) subventionnent par tous les moyens le crédit pour l'accès à la propriété, en rachetant des quantités considérables de MBS émises par MM. Mozilo et alter ego, faisant monter l'effet de levier de son entreprise à 80 fois ses fonds propres, en intégrant tous les engagements hors bilan de l'entreprise. Ni Johnson, ni Raines, ni Mudd, ni les dirigeants de Merill, de Lehman, de Wamu, de Wachovia, et sans doute bien d'autres, ne pouvaient ignorer que de telles pratiques étaient contraires à des années d'expérience et de savoir accumulé sur les bonnes et mauvaises pratiques en matière de saine gestion des établissements financiers.

Tous ces gens savaient que les escrocs risquent gros aux USA (Bernard Madoff ne dira pas le contraire, bien qu'il ait fallu beaucoup de temps pour découvrir sa pyramide de Ponzi), mais que si leurs méconduites pouvaient être assimilées à de simples erreurs de jugement, alors ils pourraient espérer prendre l'argent et filer, car ils pouvaient compter sur l'appui indéfectible de leurs amis à Washington pour réparer leurs erreurs, de préférence avec l'argent du contribuable.

Cette forme de capitalisme un peu particulier et hautement nuisible, le "predatory capitalism", a pris un essor tout à fait particulier au sein de grands établissements dont les plus grands actionnaires ne possèdent qu'une fraction du capital total, et obtiennent des conseils d'administration des contrats de travail qui tiennent du mercenariat plus que de la protection de l'intérêt à long terme des actionnaires.

De l'art de choisir ses complices

Bernard Maddoff avait omis d'associer l'état à ses combines : cela lui sera fatal, et il pourra y penser longtemps au fond de sa cellule.

Les dirigeants des GSE ou des banques qui leur refilaient des crédits frelatés, au contraire, faisaient partie du schéma mis en place par l'état pour atteindre un objectif politique, "multiplier le crédit aux ménages modestes", qui autorisait toutes les contorsions du droit pour y parvenir. C'est ainsi que toutes les tentatives de rendre plus transparentes certaines opérations de titrisation se sont heurtées au fait que deux acteurs sous parapluie public, Fannie Mae et Freddie Mac, étaient les premiers utilisateurs de ces "SIV" basés off shore, qui leur permettaient d'émettre ou de garantir des obligations représentant 80 fois leurs fonds propres, un effet de levier qui garantissait au staff de ces entreprises de confortables primes tant que tout allait bien, mais qui était insoutenable en cas de retournement de conjoncture.

Plusieurs fois, entre 2002 et 2006, quelques parlementaires éclairés ont tenté de réformer Fannie et Freddie : à chaque fois, il s'est trouvé une majorité de politiciens pour rejeter la réforme. Fannie et Freddie ont dépensé plus de $100 millions en lobbying pour arriver à ce résultat.

En s'autorisant à intervenir dans le fonctionnement de l'économie, soit pour "la stabiliser", "la piloter", ou "corriger les résultats du marché", l'état développe des liens avec les grands décideurs économiques. De fait, ces personnes, intelligentes et dotées de grands moyens, peuvent aisément infléchir les mesures que l'état est amené à prendre pour parvenir à ces résultats pour créer un cadre juridiquement favorable à des agissements peu ou pas défendables, mais très lucratifs à court terme.

L'intervention de l'état dans la sphère économique est donc vouée à réduire l'efficacité de son action régalienne, notamment contre le capitalisme de prédation.

Camouflage et hypertrophie textuelle

Le droit, outil essentiel au service de la morale, de la protection des gens honnêtes contre les prédateurs, est aujourd'hui perverti par une inflation textuelle dont les bandits en col blanc savent tirer parti. Le droit est devenu l'instrument de camouflage favori du prédateur furtif. "Lorsqu'il y a inflation de textes, on dévalue le droit" : Jamais cette citation d'Alain Madelin ne parait aussi actuelle que lors des événements auxquels nous sommes en train d'assister.

Le droit devrait donc non pas tenter de décrire absolument toutes les situations et comportements possibles et imaginables, mais au contraire en revenir à des principes simples : Obligation de transparence dans les opérations financières, allant jusqu'à la décomposition en "investissements primaires" des éventuels produits dérivés détenus dans les comptes, sincérité des comptes présentés, visibilité de l'ensemble des acteurs de marché.

Lorsque des acteurs de marché plus performants que la moyenne, comme Harry Markopolos, ont flairé l'arnaque Maddoff, celui ci a réussi à endormir la SEC qui l'a pourtant contrôlé plusieurs fois. Une fois "blanchi" par la SEC, Maddoff pouvait se prévaloir d'une nouvelle virginité et séduire de nouveaux investisseurs. Si au lieu d'être réservée à un bureaucrate de la SEC peu inspiré, toutes les opérations du fonds Maddoff avaient été scrutables par le grand public, nul doute que des dizaines de Markopolos auraient compris le danger bien avant qu'il n'atteigne la cote de 50 milliards... Et même le plus benêt des inspecteurs de la SEC aurait pu bénéficier de ce travail d'observation collectif et confondre l'escroc.

Mais il n'y a aucune chance pour que des lois de transparence voient le jour outre Atlantique, et par la même au niveau international : la plus grande opération de camouflage d'opérations douteuses jamais mise en place est tenue par un opérateur sous statut particulier, la FED, qui a reçu du gouvernement l'onction pour prendre en pension des obligations "toxiques" détenues par des banques en difficulté contre du cash, et ce sans dévoiler les banques bénéficiaires de ces largesses, afin, officiellement, de ne pas entacher leur... Stabilité. L'administration Obama vient une fois de plus de réussir à faire rejeter les propositions parlementaires d'audit de la FED dans la nouvelle réglementation bancaire, qui ne fera que remplacer quelques milliers de pages d'effets pervers par d'autres milliers de pages d'effets pervers.

L'argent facile ainsi gagné par les acteurs les plus déficients du marché servira une fois de plus à alimenter toutes les fraudes, toutes les gabegies, toutes les "erreurs de jugement providentielles", et prises de risques court-termistes.

Malhonnêteté des rues

Bien que cela puisse paraître éloigné des questions financières - mais l'est-ce tant que cela ? - il n'est pas inutile de rappeler le terrible échec de notre état en matière de lutte contre la délinquance "ordinaire", celle des rues et des cambriolages.

Depuis 40 ans, notre état n'a guère été plus efficace à traiter la malhonnêteté des rues que celle des bureaux lambrissés et des salles de marché. Voici les statistiques de l'évolution des actes de délinquance enregistrés entre 1960 et 2000.

Source : insee

En outre, ces chiffres ne tiennent pas compte des cas de plus en plus nombreux où les victimes ne portent pas plainte, pour éviter toutes représailles, phénomène régulièrement mis en évidence par des enquêtes de victimation anonymes.

Pendant toutes ces années, l'état Français (avec les collectivités locales), qui n'a jamais vraiment été nain, est passé de 36% à 54% du PIB en terme de dépense totale, une croissance de 50% ! Aucune déduction en terme de causalité, par contre, il est certain que le surcroît de dépenses et d'ingénierie sociales initiées par l'état durant cette période n'a fait aucun bien aux statistiques sur la sécurité.

On peut affirmer sans trop de crainte d'être contredit que les théories post soixante huitardes, excusatoires au possible et voulant à tout prix voir en toute crapule une "victime de la société", ont durablement pourri les relations entre prédateurs et producteurs, que ce soit à l'école, dans l'entreprise ou dans les prétoires, et, sans doute pire encore, au sein des familles.

Mais le rôle de l'interventionnisme de l'état dans l'expansion de la délinquance ne s'arrête pas là. Lorsque l'état oublie son rôle régalien pour se concentrer sur l'interventionnisme économique et social, sous les auspices de théories excusatoires dominantes, il engendre un certain nombre d'effet pervers :

Plus l'état se donne le pouvoir de redistribuer le fruit d'importantes ponctions fiscales à telle ou telle catégorie, plus il créée d'incitation au lobbying pour appartenir aux catégories bénéficiaires de ces largesses. Il en résulte une prise d'importance excessive du rapport de force entre groupes de pression et donnateurs publics.
L'expression de ce rapport de force peut dégénérer si la justice se montre incapable ou n'a plus la volonté de réprimer les violations des droits de propriétés qui en résultent, ce qui conduit des groupes à privilégier l'action violente pour s'approprier des avantages que leur mérite propre n'aurait pu leur procurer. Mouvements pseudo-syndicaux violents, revendications communautaristes extrêmistes, justifications du terrorisme, prospèrent sur ce terrain fertile.
Plus ces comportements d'appropriation imméritée par pression collective sur l'état deviennent "légitimes" aux yeux d'une population anesthésiée par leur répétition, voire leur normalisation, plus l'atteinte violente aux droits de propriété est légitimée dans l'esprit d'un nombre croissant d'individus. "Pourquoi pas moi si cela marche pour d'autres".
Le manque d'exemplarité de l'état, sa tendance à l'auto-protection de ses brebis galeuses, et son incapacité à sanctionner réellement les délinquances de type financier renforcent l'attractivité de toutes les formes de prédation en augmentant l'acceptabilité sociale de la "magouille".
Et par conséquent, l'appareil policier-judiciaire se voit submergé par la constatation de nouveaux cas de violation de la loi, qu'il se donnera de moins en moins la peine de réprimer.
Rappelez vous la formule : M=K-R+G ; L'inefficacité judiciaire créée des vocations à la délinquance. L'individu évalue son espérance de gain en fonction des risques encourus, et si cela ne contrarie pas sa morale personnelle, il choisira les voies de la spoliation si elles lui semblent plus prometteuses que celles du travail. En l'absence de changement de cap, nous sommes en présence d'un risque d'emballement incontrôlable de la délinquence, dans une période où la police et la justice n'auront pas plus de moyens pour faire face à cette explosion.

Par la faute d'un état qui ne sait plus les faire respecter, violer les droits de propriété d'autrui devient un mode d'accroissement de plus en plus ordinaire de son patrimoine.

Pire, "battre le système" devient un jeu : les fraudes aux largesses de l'état prennent un tour endémique, des plus petites aux plus amples.

Pendant ce temps, la France qui travaille s'appauvrit : obligée de dépenser plus pour protéger son capital, elle investit de fait moins pour développer les biens et services répondant aux besoins actuels et futurs.

Prenons l'exemple du logement : la sur-protection du mauvais payeur, considéré par avance par la loi comme une victime, alors que son propriétaire n'est aux yeux des lois et souvent, de ceux censés l'appliquer, qu'un vil rentier, conduit un nombre croissant de propriétaires à préférer garder leurs logements vides, et ne rend possible la construction de logements locatifs qu'à grand renfort de carottes fiscales qui ruinent le contribuable... et désorganisent totalement le marché du logement. Un tel gâchis de ressources se fait d'abord au détriment des plus modestes que l'ingénierie sociale voulait pourtant "protéger".

Conclusion

En matière de répression de la prédation et de la malhonnêteté, l'état, quelles que soient ses imperfections aussi inévitables que celle des êtres humains qui le composent, est indispensable.

Or, force est de constater que non seulement l'Etat, un peu partout dans le monde, tend à démissionner de ses responsabilités en la matière, et que pis encore, il se fait parfois complice des prédateurs les plus malins et les mieux organisés.

Un état moderne n'est pas un état qui prétend être l'ingénieur social de toute vie, de toute carrière, de toute production. Un état moderne est celui qui permet aux acteurs privés de la société de se prendre en charge, et qui assure un cadre où l'honnête homme aura peu à craindre de l'inévitable présence de prédateurs, fraudeurs et profiteurs en tout genre.

Pour cela, l'état doit abandonner toute une batterie d'interventions prétextes à toujours plus de fourre-touts législatifs dans les failles desquelles tous les aigrefins s'engouffrent avec délectation, et revenir aux fondamentaux du droit : découvrir et sanctionner sans faiblesse ni excuse ce qui sépare le producteur du prédateur.

Faute de quoi les états devront faire face à une explosion de la prédation, qu'elle s'habille en col blanc ou en blouson noir.