Guerre de tranchées

Publié le 17 mai 2010 par Toulouseweb

Toulouse et Seattle au cœur d’un nouvel affrontement

L’Airbus A320 et le Boeing 737 doivent-ils céder la place sans plus attendre ŕ des matériels de nouvelle génération ? La question est posée ŕ Toulouse en męme temps qu’ŕ Seattle et envahit l’actualité. C’est un violent bras de fer comme seule l’industrie aéronautique peut s’en permettre. Les intéręts en jeu se montent en effet ŕ des centaines de milliards de dollars et d’euros et couvrent plusieurs décennies. Dčs lors, la moindre erreur de jugement risque d’avoir des conséquences tout simplement incalculables.

Depuis plusieurs mois, Airbus et Boeing ne se quittent pas des yeux. Mais, pour la premičre fois depuis qu’ils fonctionnent dans le cadre d’un duopole, ils doivent aussi porter leur attention sur de nouveaux prétendants canadiens, russes, chinois et bientôt brésiliens. Ils scrutent l’horizon, tel le sous-lieutenant Giovanni Drago dans Le Désert des tartares de Dino Buzzati. Leur forteresse sera bientôt attaquée…

Elle l’est déjŕ par l’avionneur québécois Bombardier dont le futur C.Series est potentiellement gęnant. D’oů la ferme intention d’Airbus d’annihiler le Ťbusiness planť de ce nouveau venu qui prétend sortir des limites du marché de l’aviation régionale. Le tout est de savoir comment procéder.

Remotoriser la famille A320 n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît ŕ premičre vue. Le tandem Snecma/General Electric propose le Leap-X, successeur du CFM56 et Pratt & Whitney avance le PW1000G, turbosoufflante carénée précisément retenue par Bombardier. Mais Airbus voudrait que Pratt et Rolls-Royce s’entendent pour prolonger la vie du consortium International Aero Engines. Ce faisant, Airbus continuerait d’offrir un choix de deux motorisations sans laisser un prétendant au bord du chemin.

Quoi qu’il en soit, cet éventuel A320 de (presque) nouvelle génération, alias NEO, New Engine Offer, exigerait un investissement d’au moins un milliard de dollars sans ętre davantage qu’une solution d’attente. Le jeu en vaut-il la chandelle ? John Leahy, patron de ventes d’Airbus, reconnaît que les arguments en faveur de NEO ne sont pas tout ŕ fait convaincants. En d’autres termes, il préférerait que la famille A320 poursuive sa brillantissime carričre en attendant de laisser la place beaucoup plus tard ŕ un A30X entičrement nouveau livrable ŕ partir de 2020 ou męme 2025. Mais attendre impliquerait de grands risques, compte tenu de l’arrivée annoncée du C.Series puis du C919 chinois, du MS21 russe et d’un Embraer non encore baptisé. Dans le męme temps, Boeing distille de rares informations pour laisser entendre qu’il serait effectivement préférable de ne rien précipiter et de lancer, beaucoup plus tard, un NSR, New Short Range nouveau de bout en bout.

Entre-temps, Airbus investit une centaine de millions d’euros par an pour continuer d’améliorer son avion actuel. Il va ainsi ętre doté de Ťsharkletť (notre illustration), néologisme digne de Buzzati attribué ŕ d’imposantes ailettes d’extrémités d’ailes. Un raffinement aérodynamique contribuant ŕ une nouvelle réduction de 3,5 % de la consommation de carburant. Cette option est livrable ŕ partir de 2012.

Andy Shankland, directeur du marketing (est-ce lui qui a inventé le terme sharklet ?) énumčre les incessantes améliorations apportées ŕ l’inépuisable A320, lancé en 1984 : freins carbone, raffinements aérodynamiques, nouvel intérieur. Du coup, Airbus se découvre un nouveau cheval de bataille : l’A321, version longue du męme avion, se pose en successeur du Boeing 757, qui plus est avec une consommation de carburant inférieure de 17% ŕ l’avion américain en fin de carričre. On croirait assister ŕ une partie d’échecs, chacun des joueurs pouvant ętre victime ŕ tout moment d’une dangereuse distraction. Le coup de l’A321, personne ne l’avait vu venir !

On peut aussi choisir de s’en tenir ŕ un raisonnement de simple bon sens : faut-il vraiment envisager de donner un successeur ŕ un avion produit ŕ 36 exemplaires par mois ? Le fait est qu’Airbus est actuellement confronté ŕ d’autres priorités : réussir le lancement industriel de l’A350XWB et finir de remettre l’A380 sur les rails. Face ŕ ces défis, pour l’instant, Bombardier et ses lointains émules ne font pas le poids.

Pierre Sparaco-AeroMorning